Gilles Jacob commémore le 45ème Festival

15 mai 1992
14m 30s
Réf. 00441

Notice

Résumé :

Entretien avec Gilles Jacob à propos de son livre "Les Visiteurs de Cannes", qui commémore la 45ème édition du Festival.

Type de média :
Date de diffusion :
15 mai 1992
Source :

Transcription

Interviewer
Gilles Jacob : "Les visiteur de Cannes," vous avez pensé aux visiteurs du soir ?
Gilles Jacob
Bien sûr. Il y a un petit clin d'oeil à Marcel Carné. Et en fait, c'est un livre qui voulait traiter tout le cinéma et notamment tous les grands artistes qui sont venus à Cannes depuis vingt ans et même davantage que nous voulions honorer en même temps que nous voulions commémorer le festival de Cannes.
Interviewer
Est-ce que pour vous, dans le cinéma et tous les réalisateurs que vous connaissez, qui se trouvent à l'intérieur de ce livre, il y a une corrélation entre la magie et le cinéma ?
Gilles Jacob
La magie, c'est leur art. Le cinéma, c'est une industrie. Donc, nous, ce qui nous intéresse, c'est l'art. Et ce que nous avons voulu, c'est que le plus grand nombre de réalisateurs possibles soient dans ce livre. Pourquoi ? Pour que non seulement les gens qui aiement le cinéma, les cinéphiles, les amateurs, mais même le grand public soient, d'une part, intéressés, que ça le fasse rire, soient touchés par tout ce qu'il raconte, puisqu'en somme, ce sont des souvenirs, ce sont des lettres, ce sont des bouts de scénario, ce sont des films en train de se faire. C'est une foule de choses qui, à mon avis, peut intéresser tout le monde. qui doit intéresser tout le monde. Et c'est surtout magnifiquement illustré comme, peut-être, vous le montrerez à vos téléspectateurs.
Interviewer
Tout à fait. Quels sont les noms qui vous manquent ? Ceux qui n'ont pas voulu.
Gilles Jacob
Pas beaucoup. Il y a Bertolucci qui n'a pas pu parce qu'il était en plein tournage, en pleine préparation d'un film qui s'appelle Bouddha. Il y a, comme ça, trois, quatre noms qui manquent. Mais là, quatre vingt des plus grands. On peut en citer quelques-uns, si vous voulez : Fellini, Bergman, Woody Allen, Scorcese, Jean-Paul Rappeneau, Costa Gavras, Coppola, Satyajit Ray, Kurosawa... Je peux vous en citer, comme ça, des dizaines et des dizaines.
Interviewer
Et pour la plupart, on sent que Cannes, au-delà même de l'épiphénomène, c'est très important pour eux. C'est très important pour leur carrière, pour leur oeuvre, pour l'évolution de leurs rapports avec le public, également.
Gilles Jacob
Cannes, c'est un tremplin. Ils sont tous passés par là. Ou bien ils ont été découverts par Cannes, comme par exemple Satyajit Ray, qui vient de mourir, qui a été découvert à Cannes. Ou bien, ils ont été confirmés à Cannes, ou bien ils ont eu un grand hommage palme d'or ou les hommages sociaux, ou bien les trois. Parce que très souvent, les gens sont revenus. On recevait Wim Wenders, tout à l'heure. Il racontait que sur quinze films qu'il a faits, il est venu neuf fois à Cannes. C'est vous dire qu'il y a des fidèles, des amis fidèles.
Interviewer
Il y a Carlos Saura qui est venu à Cannes, également.
Gilles Jacob
Oui, et d'autres : Woody Allen, Fellini, énormément.
Interviewer
Mais Woody Allen, il manquerait. Il n'est jamais venu, lui.
Gilles Jacob
Non, mais de temps en temps, il nous donne ses films et ça nous fait plaisir. Parce que c'est, quand même, un des plus grands auteurs de cinéma.
Interviewer
Et un avis personnel : si vous, vous aviez à choisir parmi tous ces cinéastes et un film, quel serait le cinéaste et le film qui serait, quelque part, dans votre mémoire, dans votre tiroir le plus secret, enfoui le plus profondément ?
Gilles Jacob
Ecoutez, il y en a des dizaines, et même des centaines et des milliers parce que je vois cinq cent films pas an, depuis des années et des années. Vous imaginez que ça fait beaucoup. Mais si j'ai mis Federico Fellini sur la couverture de ce livre, c'est, qu'évidemment, j'ai une grande tendresse pour lui. Et je choisirais, pas ses films, "Huit et demi", "La Dolce Vita", "Prova d'Orchestra", "Roma". Tous ces films, je les aime. Mais il n'est pas le seul. J'aime beaucoup Bergman. J'aime beaucoup une quantité des metteurs en scène qui sont dans le livre.
Interviewer
Fellini, c'est le cinéma-cinéma. C'est le créateur du cinéma pour le cinéma. C'est merveilleux car il ne se sert que de matière cinématographique pour faire du cinéma. Surtout depuis quelques temps, depuis "La Dolce Vita".
Gilles Jacob
Oui, c'est un démiurge, c'est-à-dire qu'il recompose le monde à son image et il recrée. Alors, il y a des gens comme ça, comme Kubrick, comme Fellini. C'est la tendance spectacle, fantasmagorique du cinéma. C'est le courant Méliès. Et puis, il y a un courant qui est le courant Lumière, beaucoup plus proche de la réalité. Et il y a, par exemple, le courant Rossellini. Il y a ces deux grandes tendances qui sont, toutes les deux, dans le livre.
Interviewer
Alors, est-ce que vous pensez que... Bon, ce livre, bien sûr, va servir pour l'histoire. Vous avez oublié, tout à l'heure, de parler de l'histoire. Est-ce que dans, imaginons, dans vingt ans, dans trente ans, il y aura un second tome ?
Gilles Jacob
C'est tout à fait possible parce que vous avez raison de dire que c'est un livre référence qui va servir, non seulement, pour les écoles de cinéma mais même pour le public, comme on le disait. Et c'est sûr que tôt ou tard, on fera un deuxième tome.
Interviewer
Il y a une dame, ici, à Cannes, qui nous reçoit depuis très longtemps. Elle est journaliste. Elle n'est pas très connue du grand public. Mais elle est très importante. Elle s'appelle Louisette Fargette. Elle est à Cannes depuis 1949. C'est elle qui établit le contact entre les journalistes et puis le festival. Mais c'est beaucoup plus que cela. C'est un petit peu la figure emblématique du festival. C'est pour ça que nous allons y consacrer ce sujet. Or, Louisette, et bien, c'est son dernier festival. Elle n'est pas atteinte par la limite d'âge, non, non, pas du tout. Elle avait encore quelques temps à faire. Disons tout simplement, sans rentrer dans le détail, qu'on la pousse un petit peu, quoi. C'est des choses qui arrivent dans toutes les institutions, même au festival de Cannes. Ce qui est certain, c'est que Louisette est la mémoire vivante de ce festival. Et il est certain, également, que nous la regretterons. Attention, émotions !
Libraire
(bruits)
Louisette Fargette
Quarante-trois ans. J'aimerais mieux, aujourd'hui, me dire : " J'ai quarante-trois ans et j'irais jusqu'au cinquantième et peut-être au-delà ".
Interviewer
C'est un regret ?
Louisette Fargette
Je me suis tellement attachée au département dont je suis responsable que je vais partir, avec, quand même, une petite larme. Je ne sais pas comment je vais faire le jour où je dirais au revoir à tout le monde. Je partirais avec élégance et avec la plus grande courtoisie.
Interviewer
Mais vous avez toujours été élégante, de toute façon, depuis toujours. C'est le trait qu'on vous vous reconnaît. C'est à ce trait-là qu'on vous reconnaît, en vérité.
Louisette Fargette
J'ai donné une grande partie de ma vie à Cannes. J'ai vu le festival comme une petite manifestation réunissant à peine trois mille participants tous confondus. Aujourd'hui, nous atteignons le chiffre de vingt mille. Il y avait deux cent journalistes. Aujourd'hui, nous en dénombrons à peu près trois mille cinq cent. Cinq cent techniciens de télévision. Il y a, ici, présentes, deux cents équipes de télévision.
Interviewer
Est-ce que vous croyez, Louisette, que le festival est un virage. Et si oui, est-il un bon virage ?
Louisette Fargette
Je pense qu'il faut réagir devant cette affluence. Car cette affluence risque de nuire à la réputation-même du festival. Lorsque vous sortez du palais et que vous arpentez la croisette, il y a ce flot mélangé : public, marchands de toute sorte. C'est un peu... Ça risque d'être très négatif pour Cannes.
Interviewer
Qu'est le souvenir le plus... celui que vous conserverez, en vérité, lorsque dans votre imaginaire, vous penserez à Cannes ? Quelle est la première image qui viendra à votre esprit ?
Louisette Fargette
Le palais Croisette, le palais Croisette où j'ai vraiment été près de toutes les grandes stars de l'époque. Je n'oublierais jamais les rapports amicaux que nous pouvions avoir avec Jean Cocteau, La Bégum, qui était présente à toutes les manifestations, Gary Cooper qui était présent, ici. Je les ai cités, déjà, tous. Grace Kelly qui représentait vraiment le bonheur. Je la revois encore. Et c'est très très présent dans ma mémoire. Les batailles de fleurs avec les landaus fleuris où nous étions, nous, sur les marches du palais avec des grands paniers de fleurs, elle, nous lançant des fleurs, nous lui en lancions. Bon, il fallait une évolution car Cannes ne présentait que deux films par jour. Aujourd'hui, j'ai certains journalistes qui, vraiment, sont des mangeurs de pellicule, qui voient jusqu'à sept films par jour.
Interviewer
Louisette, est-ce vous alliez au cinéma ? Est-ce que vous, vous voyez les films ?
Louisette Fargette
Depuis que ce nouveau palais a été inauguré, j'ai vu un court métrage.
Interviewer
Mais est-ce que c'est une décision ou est-ce que c'est parce que c'est impossible ?
Louisette Fargette
Mais je ne peux pas ! Je ne peux pas voir les films, ici. D'abord, je ne suis pas réceptive car si je m'absente dix minutes de mon bureau, je me dis : " Le téléphone sonne ", " Il y a quelqu'un à ma porte ", " Il y a un problème à régler ". Non, non, ce n'est pas une décision. C'est que je ne peux pas... je ne suis pas réceptive.
Interviewer
Vous avez parlé, tout à l'heure... Donc, on fête le quarante cinquième. Vous avez dit que vous auriez aimé aller jusqu'au cinquantième ?
Louisette Fargette
Cinquantième, peut-être pas. Tant que j'ai la force, et je suis encore pleine d'énergie, on dit le mot " retraite ". Je n'aime pas beaucoup ce mot. Mais ce n'est pas parce que je quitte Cannes que je vais m'arrêter. Je vais poursuivre d'autres activités dans d'autres festivals d'un niveau plus petit.
Interviewer
L'année prochaine, au mois de mai, vous serez où ?
Louisette Fargette
Sûrement pas sur la croisette.
Interviewer
Donc, 92, c'est les adieux ?
Louisette Fargette
92, ce sont les adieux. Mais vous resterez quand même près de moi. Je penserais à vous toujours.
Libraire
(bruits)
Interviewer
Au revoir, Louisette. Ici, à Cannes, bien sûr, on parle cinéma. On voit du film, mais tout ça peut s'échapper, un petit peu, parce qu'on dort, là-dessus. Alors, il reste les livres. Et les livres, c'est là, dans le fond, qu'on parle le mieux, ou du moins qu'on écrit sur le cinéma. Et c'est un petit peu l'aide-mémoire de tout ce qui s'envole, de tout ce qui s'échappe. Alors, une petite librairie perdue à Cannes, mais dans laquelle on trouve des trésors, des trésors cinématographiques sur papier.
Libraire
Les festivaliers adorent les livres. Surtout les festivaliers étrangers. Le problème, c'est que si on a un hit-parade à établir, les cinéphiles italiens et allemands seraient en tête.
Interviewer
Et les anglais aussi ?
Libraire
Les anglais également, oui, mais enfin, ce n'est pas pareil. Mais les italiens sont vraiment des dévoreurs de livres.
Interviewer
Et qu'est-ce qu'on achète ? Qu'est-ce qu'on vous demande le plus ?
Libraire
En période de festival de Cannes, ce sont surtout des ouvrages sur les réalisateurs, sur l'histoire du cinéma, sur les tendances, certains genres cinématographiques qui sont les plus demandés. C'est surprenant. C'est même plus demandé que les stars.
Interviewer
Est-ce qu'il existe de bons documents ? Des documents définitifs ? Par exemple, je pense une Histoire du cinéma mondial ?
Libraire
Le cinéma mondial ? Oui, il existe quelque chose. L'Histoire du cinéma mondial de Georges Sadoul était en cinq ou six volumes, je ne m'en rappelle plus. Ça, c'était un très bon livre. Ensuite, il existe différents ouvrages qui sont édités dans différents pays sur le cinéma national. Une histoire du cinéma français s'est développée par différentes cinémathèques. On fait, pareil, des ouvrages dessus. Ou même, il y a les éditions Pygmalion qui, maintenant, se sont lancés dans une édition un petit peu coûteuse, peut-être, qui couvre, mettons, cinq ans, cinq ans par cinq ans, toute l'histoire du cinéma français.
Interviewer
Quel est votre document le plus rare ?
Libraire
Je ne pense pas avoir un document particulièrement rare. Disons qu'on a beaucoup de documents, rien de particulièrement rare, je vais être franc.
Interviewer
Je vois que vous avez des photos, également. On vous demande des photos de stars, de vedettes ?
Libraire
Oui. Alors, les photos de vedettes sont très demandées. Ce qu'il se passe... Mettons, par exemple, si vous avez la chance d'avoir, au bon moment, la photo d'une star qui est présente à Cannes, tout le monde va se précipiter dans la boutique et en vous demandant : " Je veux la photo de tel acteur. Il est là-bas, au coin de la rue. Il est en train de manger. Je vais lui faire signer un autographe". Alors, vous avez le stock de photos qui s'épuise comme ça. En cinq minutes, vous n'avez plus rien.
Interviewer
Voilà. Nous sommes arrivés au terme de ces trois rendez-vous cannois, de ces trois rendez-vous avec le festival. J'espère qu'ils vous ont convenus, qu'ils vous ont distraits, et surtout, surtout, qu'ils vous ont donné l'envie, l'impérieuse envie d'aller au cinéma, d'aller dans les salles obscures voir, recevoir la magie. Cette magie qui n'a pas de nom. Cette magie que rien ne peut pas remplacer, et qui est celle du septième art. Au revoir, merci et à bientôt, j'espère.
(Musique)