Retour à accueil

Interview d'Hélène Darroze

30 décembre 2004
04m 36s
Réf. 00298

Notice

Résumé :

Interview d'Hélène Darroze, chef doublement étoilé au Guide Michelin, qui évoque son parcours, son amour pour la cuisine tel un gène transmis par ses parents et ses grands-parents, et son statut de femme chef dans un milieu majoritairement masculin.

Type de média :
Vidéo - Journal télévisé
Date de diffusion :
30 décembre 2004
Source :
France 2 (Collection: 13 heures le journal )
Personnalité(s) :
Hélène Darroze
Thèmes :

Éclairage

Née en 1967 à Mont-de-Marsan, Hélène Darroze incarne l'excellence d'une véritable réussite à la fois ancrée dans ses racines landaise et comme grand chef de renommée européenne.

C'est en 1999 que la jeune et talentueuse cuisinière, qui avait pris la succession du Relais et Château promu par son père et hérité de plusieurs générations, ferme la maison familiale pour gagner la capitale. Avec une formation en école de commerce, elle qui était née dans les fourneaux, allait rencontrer son destin avec l'aide et la complicité de sa famille et les précieux conseils d'Alain Ducasse qui "l'installe" en cuisine. Véritablement adoubée par le chef qui la sort de ses fonctions administratives pour la positionner dans la suite logique de cette lignée des Darroze cuisiniers, elle progresse rapidement jusqu'à l'obtention de 2 étoiles au Michelin.

Véritable femme de tête et de cœur, elle devient un des symboles de la tradition landaise revisitée, inspirée, exportée vers Paris, rue d'Assas puis jusqu'à Londres à la tête des cuisines du célèbre Connaught, un hôtel restaurant très haut de gamme.

Toujours fière de ses racines qui ont forgé son savoir-faire, ses valeurs, sa persévérance et sa véritable culture, Hélène Darroze affiche un véritable choix de vie, éprise de liberté et d'un véritable engagement envers ceux qu'elle sert. Outre sa famille, elle évoque sans cesse le travail d'une équipe dans son parcours et ses réussites.

Dans le mythique Saint-Germain des Prés, qu'elle partage avec l'emblématique quartier de Mayfair à Londres, elle dévoile ses attachements et affiche ses émotions, deux univers intérieurs qui guident sa créativité culinaire et ses écrits. En 2005, elle a livré un ouvrage, Personne ne me volera ce que j'ai dansé [1], révélant ses talents et sa ténacité et qui lui a valu reconnaissance et récompense, dix ans après ses premières reconnaissances comme jeune chef par les Guides Champérard et Gault et Millau. C'est également en 1996, sollicitée par les Relais et Châteaux, qu'elle cuisine pour des chefs d'Etat, à savoir Jacques Chirac et Elmut Kohl.

Encore et toujours tenace, elle est aujourd'hui un modèle pour de nombreux jeunes et surtout des jeunes femmes qu'elle a toujours encouragées dans ce métier exigeant et sensible, livrant un univers d'émotions qui avait parfois été mis en retrait par des modes culinaires prônant de véritables savoirs techniques et audacieux - comme la cuisine moléculaire des dernières années -.

Hélène Darroze se plait à rappeler qu'elle n'a pas une formation de cuisine, parfois elle dit même le regretter, mais elle est sans conteste une fierté pour le terroir landais dont elle continue à défendre la qualité de ses produits, même outre Manche, au pays des adversaires du gavage...

Elle accueille à présent dans un espace qui propose plusieurs options, celui de la Salle à manger mettant en valeur les produits du Sud-Ouest, tandis que le Salon propose des créations plus innovantes et la boutique permet à tous de repartir avec des découvertes où les armagnacs familiaux occupent une place de choix.

[1] DARROZE, Hélène, Personne ne me volera ce que j'ai dansé, Paris : Le Cherche-Midi, 2005, 320 p.

Bibliographie générale :

- BARREAU Jacques, Les Hommes et leurs aliments. Esquisse d'une histoire écologique et ethnologique de l'alimentation humaine, Paris : Messidor/Temps Actuels, 1983, 381 p.

- COURTINE, Robert Jullien, La cuisine des terroirs. Traditions et recettes culinaires de nos provinces, Lyon : La Manufacture, 1994, 575 p.

- FLANDRIN, Jean-Louis et MONTANARI, Massimo (dir.), Histoire de l'alimentation, Paris : Fayard, 1996, 919 p.

- MONTAGNE, Prosper, Larousse Gastronomique, Paris : Larousse, 1938, 1088 p.

- TOUSSAINT-SAMAT, Maguelonne, Histoire naturelle et morale de la nourriture, Paris : Bordas, 1987, 592 p.

Bibliographie spécifique :

- COUSSAU, Jean, Cuisine du Sud-Ouest d'hier et d'aujourd'hui, Bordeaux : éditions Sud-Ouest, 2006, 157 p.

- DARROZE, Hélène, Personne ne me volera ce que j'ai dansé, Paris : Le Cherche-Midi, 2005, 320 p.

- Site Internet d'Hélène Darroze

Malika Boudellal

Transcription

(Musique)
Présentateur
Et cette invitée est une femme, je disais, c’est une invitée E et c’est une des rares femmes en France qui soit chef avec deux étoiles. Vous êtes ?
Hélène Darroze
On est deux avec Anne-Sophie Pic, oui.
Présentateur
Voilà, vous êtes deux. Donc, cela c’est très rare. Vous arrivez du Sud-Ouest, c’était à Villeneuve-de-Marsan que votre père avait déjà un Relais et Châteaux.
Hélène Darroze
Voilà, papa avait un Relais Châteaux dans le Sud-Ouest, à Villeneuve-de-Marsan, dans les Landes, que j’ai travaillé avec lui pendant 3-4 ans quand même, je travaillais là.
Présentateur
Bon, alors, le père était dans la partie, le grand-père aussi ?
Hélène Darroze
Moi, je suis la quatrième génération.
Présentateur
Et l’arrière grand-père, quatrième génération.
Hélène Darroze
En fait, c’est presque génétique oui là.
Présentateur
Bon, et c’était quand même l’idée de votre père de vous mettre derrière les fourneaux parce que vous avez fait Sup de Co, alors c'était pas tout à fait ça.
Hélène Darroze
Je crois que papa avait beaucoup plus envie que ça soit mon frère qui soit un jour cuisinier que moi. Maintenant, je crois qu’il en est très très heureux et c’est vrai qu’au départ, moi, j’ai fait des études de commerce et c’est après, avec la maturité, on réalise qu’on a une passion et que c’est mieux de la vivre et en fait quoi.
Présentateur
Alors, vous avez fait un stage chez Ducasse, c’est ça ?
Hélène Darroze
Ah, plus qu’un stage, je suis restée pendant presque 3 ans chez Ducasse.
Présentateur
Bon, c’est assez venu.
Hélène Darroze
Pas tellement en cuisine, plus dans ses bureaux qu’en cuisine, je suis restée 3 mois en cuisine simplement, et c’est Alain Ducasse qui après m’a dit, allez, mettez-vous derrière le piano, allez-y, faites-moi confiance.
Présentateur
A quel moment vous avez senti que c’était votre truc de faire la cuisine ?
Hélène Darroze
En fait senti, depuis toujours je cuisinais hein, à Sup de Co justement, tous mes copains étaient très contents d’être copains avec moi parce que c’était table ouverte tous les soirs, oui, c’est ça. Donc j’ai toujours eu envie de cuisiner, j’ai toujours cuisiné, j’ai toujours été très très gourmande.
Présentateur
Alors, on voit là des images de vous en cuisine, avec un beau chapeau d’ailleurs, dans votre restaurant, il est Rue d’Assas ?
Hélène Darroze
Voilà, c’est ça dans le sixième arrondissement hein.
Présentateur
Vous êtes venue vous installer à Paris et vous avez conquis là votre deuxième étoile.
Hélène Darroze
Voilà, c’est ça.
Présentateur
Ce qui est quand même assez exceptionnel. En cuisine, vous avez combien de personnes, dans une batterie, combien de personnes ?
Hélène Darroze
Aujourd’hui, pâtisserie compris, on est une vingtaine à travailler en cuisine aujourd’hui.
Présentateur
Bon, et quand on est femme, qu’on n’est pas très grande, comment on assure son autorité ?
Hélène Darroze
Ecoutez-moi, ça me pose, ça me pose aucun problème. Je crois qu’à mes collaborateurs non plus en général. Cela se passe très très bien. L’autorité, elle se fait dans la discussion, dans le respect de l’autre, dans le, et puis toujours montrer l’exemple. Toujours…
Présentateur
Parce qu’on dit que c’est un milieu très macho la cuisine, ce sont des chefs, ils gueulent très fort.
Hélène Darroze
Moi, je n’en ai jamais souffert mais j’ai eu la chance de naître dedans, quelqu’un comme Pierre Troisgros m’a fait sauter sur ses genoux. Donc, c’est peut-être pour ça que j’en souffre moins que certaines.
Présentateur
Et vous n’avez pas entendu des ambiances de cuisine où cela criait très fort, où on pouvait même filer des claques aux gens ?
Hélène Darroze
Moi, j’ai jamais vécu ça, moi, j’ai jamais vécu ça, moi en tout cas, j’ai jamais vécu ça et chez moi, tout se passe dans la discussion et dans le silence et la concentration, c’est ce que je dis souvent, j’ai besoin de beaucoup de concentration.
Présentateur
Pourquoi aussi peu de femmes à ce niveau-là de la cuisine française ?
Hélène Darroze
Pour une raison très simple, parce qu’à un moment donné, il faut choisir entre sa vie peut-être un peu familiale et personnelle et puis un métier où on est pris tous les soirs, ou c’est euh, je dis hein.
Présentateur
Ah c’est pour ça ?
Hélène Darroze
Je… D’abord, c’est un métier physique, il faut avoir, il faut avoir de l’endurance, il faut avoir une bonne santé, et puis c’est vrai que, et ben comme je dis, on n’est pas là le soir pour raconter l'histoire pour donner le bain et à un moment donné, et ben il faut…
Présentateur
Vous-même, vous n’avez pas d’enfant ?
Hélène Darroze
Non, pas encore, mais j’espère que ça arrivera un jour. Mais moi, je sais que, avec moi, j’ai des jeunes femmes qui travaillent aujourd’hui et qui se posent la question, qui se disent, ben moi, je voudrais trouver un travail, un horaire continu parce que ben, je veux une vie de famille aussi. Donc, à un moment donné, il y a un choix à faire.
Présentateur
Alors c’est ça ou c’est l’imagination parce que j’ai noté des propos qui étaient pas très, très sympa, de Bocuse je crois, je ne sais pas si vous vous souvenez de cela, qui avait dit que bah, grosso modo, si les femmes n'avaient pas de place en cuisine, c’est parce qu’elles n’étaient pas très imaginatives et qu’elles faisaient la cuisine de leur mère.
Hélène Darroze
Ah bon, je ne me souviens pas de cela parce que, au contraire, monsieur Bocuse nous encourage énormément. Donc, non, je pense que…
Présentateur
C’est je vous avoue il y a deux ans en fait, grosso modo.
Hélène Darroze
Non, ouais, non. Je pense que c’est, à un moment donné, c’est vraiment une question de choix. Je pense qu’à un moment donné, on se dit si c’est un sacrifice qu’on fait quelque part.
Présentateur
Mais la cuisine que vous faites, est-ce qu’elle est aussi imaginative que celle des grands chefs, dont on dit quelquefois qu’ils font quasiment de la chimie et plus de la cuisine ou est-ce qu’elle est plus proche quand même de la cuisine des grand-mères.
Hélène Darroze
Moi, moi, c’est une cuisine très cuisinée, cela c’est certain. C’est une cuisine qui s’attache à cuisiner les choses, à les cuisiner même longuement, généreusement, c’est quelque chose qui me… et c’est après, je le fais avec ma personnalité, avec mes émotions. Moi, je dis, c’est une cuisine qui part de, du fond du ventre, qui part du cœur et chaque fois, je donne un peu de moi.
Présentateur
Instinctive ?
Hélène Darroze
Oui, très instinctive, et puis qu’en plus, je ne l’ai pas tellement apprise, mais à chaque fois, c’est un peu de moi qui part, à la fois mon éducation que j’ai reçue dans les Landes, avec cette, ce goût des produits du Sud-Ouest, et cetera, euh et puis ce respect du produit, et ensuite, toutes mes expériences et mon vécu.
Présentateur
Votre rêve, c’est une troisième étoile ou c’est un enfant d’abord ?
Hélène Darroze
C’est d’abord un enfant, c’est d’abord un enfant.