La garantie "Foie du Sud-Ouest" des produits Labeyrie

08 novembre 1991
02m 02s
Réf. 00166

Notice

Résumé :

Face à l'augmentation des importations de foies gras et dans l'attente de l'obtention d'un certificat de conformité, l'entreprise Labeyrie de Saint-Geours-de-Maremne décide de garantir la provenance de ses produits en accolant une étiquette "Garantie Foie du Sud-Ouest" sur ses emballages.

Date de diffusion :
08 novembre 1991
Source :
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Éclairage

La vidéo s'ouvre sur certaines images furtives d'un camion transportant des cartons de foie gras d'importation, et intercepté à Montfort-en-Chalosse par des éleveurs en colère ; le contenu détruit ou mis en évidence sur les marches de la mairie de ce chef-lieu de canton et devant la permanence du député de la circonscription Henri Emmanuelli. La cause de cette action de commando : la concurrence, jugée déloyale, de certains départements comme la Vendée qui prenaient une place de plus en plus importante sur "le marché du gras". L'extension de la zone de production à 40 départements français hérissait la susceptibilité gasconne. Surtout, étaient accusés les importateurs de foie étranger, foie issu de canettes. Les prix sur les marchés traditionnels ou au marché au cadran à Montfort-en-Chalosse étaient inférieurs à ceux qui étaient pratiqués quinze ans auparavant. De 30 et même 33 francs le kg en 1975, les prix en 1991 culminaient à 22/25 francs le kg de foie gras frais.

Conscients de produire un mets d'exception, dû à un savoir-faire ancestral et un terroir exceptionnel et réservé aux tables festives et restaurants étoilés, les Landais se sentaient dépossédés du privilège de détenir entre leurs mains un produit de haute valeur gastronomique, rare, donc cher. La "démocratisation" de la consommation de foie gras leur semblait à la fois un leurre et une aberration économique. Le foie gras, produit de luxe, devait le rester afin d'être bien rémunéré.

Les années 1980 avaient vu émerger les notions de qualité, de gavage au maïs grain entier, de gavage exclusivement de mâles, d'étiquetage, de certificat de conformité, de production industrielle, de circuits courts, et surtout la généralisation de normes sanitaires rigoureuses dans les salles de gavage, d'abattage et de découpe...

Les efforts de la profession et de l'interprofession seront récompensés par l'obtention en 1999 de l'IGP (Indication Géographique Protégée), et en 1997 du Label Rouge pour les produits du canard gras.

La tradition

L'élevage des canards est de très ancienne tradition dans les Landes [1]. Chaque ferme élevait, pour la reproduction, un "jeu", c'est-à-dire, 4 ou 5 canes de Rouen ou canes communes et un mâle de Barbarie. Le produit est un hybride stérile et muet, appelé canard mulard. La production fermière ne dépassait pas 25 à 40 canards qui étaient gavés pendant trois semaines, deux fois par jour, au maïs grain entier, légèrement bouilli. Il se consommait très peu de foie à la ferme. Les foies gras étaient vendus sur les marchés pendant la saison hivernale. Noël et le jour de l'an absorbaient une part importante de la production. La viande de canard était mise en confits, conservées dans la graisse dans des "toupies", pots de terre cuite ou de grès. Les redevances, dues par le métayer au propriétaire, comportaient la fourniture d'au moins une paire de canards gras.

La révolution du gras

Le tournant de l'élevage intensif, dit plus tard industriel, a été pris dans les années 1960/70. Deux éléments ont joué dans cette véritable révolution de l'élevage landais et français. C'est d'une part le gavage hors saison hivernale et progressivement toute l'année, grâce aux chambres froides dont se sont équipés tous les éleveurs. D'autre part, la forte demande avait provoqué une hausse substantielle des prix et augmenté rapidement l'offre. Parallèlement, les producteurs se sont organisés en coopératives ou en circuits courts de vente directe à la ferme. Toutes les professions, tout au long de la "filière gras", ont accompli de profondes mutations

Le cadran de Montfort en Chalosse

Malgré tout, bon nombre d'éleveurs prenaient conscience que la maîtrise de leur produit leur échappait. Un groupement de producteurs "Landes Foie Gras" a mis en place un système de transaction qui existait depuis longtemps, pour les légumes en Bretagne notamment : la vente au cadran. Ce moyen évite le contact physique entre vendeurs et acheteurs et pallie les inconvénients des transactions de gré à gré pratiquées sur les marchés traditionnels en rendant difficiles les ententes ou connivences d'avant marché. Ainsi, en 1981, le marché de Montfort-en-Chalosse, le plus important de la région, a laissé sa place au marché au cadran. Sur fond de rivalités syndicales entre MODEF [2] et FDSEA [3], de nombreuses péripéties ont émaillé le parcours de ce "marché" qui a duré une dizaine d'années. Son ambition était de moraliser les transactions et de tirer un meilleur parti d'un marché maîtrisé.

Vers un label ?

Un landais "cap e tot" [4], chef de la plus grande entreprise de "gras" du département, ne se contente pas de cette situation et veut bousculer les choses. Robert Labeyrie, fils de cheminot, licencié en droit et commerçant, spécialisé dans le saumon, fournit en foie gras dès 1946, le restaurant Lasserre à Paris. Il se sent capable de garantir sur l'étiquette apposée sur ses produits, la haute qualité par un certificat basé sur la confiance des éleveurs et des consommateurs [5]. Brocardée par les uns ("c'est un gadget"), cette initiative éveille l'intérêt de beaucoup, mais ne résoudra pas l'épineuse question des importations. Marcel Saint-Cricq, responsable au sein de la FDSEA du secteur palmipèdes, pense qu'il faut aller plus loin, et qu'"une initiative privée ne doit pas dévaloriser un capital de notoriété par un (vague)certificat de conformité".

De fait, le label AOC [6] tant espéré et même programmé pour 1992, ne verra jamais le jour. Les années 1990 concrétiseront les signes de qualité qui s'imposent à tous, négoce privé et coopératives.

Label rouge et IGP feront leur entrée dans le paysage du foie gras landais dont l'histoire, parfois tourmentée, réserve encore des imprévus.

[1] Les Landes, mais en réalité la Chalosse située dans la boucle de l'Adour, aux confins du Béarn, "pays" de petites propriétés familiales et de très petites exploitations, vouées à la polyculture et à l'élevage de volailles.

[2] MODEF, Mouvement de Défense des Exploitations Agricoles, syndicat marqué nettement à gauche, fortement implanté dans les Landes, s'oppose à la FNSEA

[3] FDSEA, Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles

[4] "cap e tot" expression gasconne, "la tête aussi", se dit de quelqu'un d'entier, de persévérant

[5] DELAUNEY, Michel , Un délice nommé foie gras. Une histoire d'Adour, Paris : les Presses du management, 1999.

[6] AOC, Appellation d'Origine Contrôlée

Maurice Gassie

Transcription

Jacques (de) Bort
17 novembre, ces canards se sont vendus en moyenne au marché au cadran de Montfort à 22 francs le kilo. Il faut revenir, nous dit-on, 15 ans en arrière à pareille époque pour avoir un cours aussi bas à quelques jours des fêtes. Et à entendre les producteurs, c’est encore et toujours la faute aux importations pratiquées par les conserveurs. Autant dire que l’on peut s’attendre à d’autres interceptions de camions et un déballage de foie gras étranger sur la chaussée. A Saint-Geours-De-Maremne, Labeyrie, le numéro un du foie gras en France tente une parade à ce malaise en accolant cette petite étiquette.
Eric Dropsy
Labeyrie fait tous ces produits de canard avec des canards venant du Sud-Ouest, des Landes, du Gers ou des Pyrénées Atlantiques, et, effectivement, on est capable aujourd’hui, d’apporter cette garantie.
Inconnu
Bien c’était toujours une bonne chose. Maintenant, être [incompris] de l’importation, ça…
Yves Labadie
C’est un gadget. On sait que tout le monde fait venir des produits de la Vendée et des produits d'importation. Donc on peut y apposer l’étiquette que l’on voudra.
Eric Dropsy
Nous avons eu des contrôles répétés, effectivement, des services officiels pour, effectivement, vérifier ce que nous allons [incompris] sur nos étiquettes est justifié. On a mis au point toute une procédure de suivie de notre matière première depuis l’arrivée jusqu’au produit transformé qui justifie pleinement ce qu’on mentionne aujourd'hui.
Jacques (de) Bort
Il est vrai qu’il s’agit, là, d’une initiative privée qui n’a rien d’officielle et qui ne réglera pas dans l’immédiat le problème des importations, elle n’en a pas la prétention. Ce sceau a au moins le mérite de vouloir créer un vrai contrat de confiance pour les producteurs mais également pour les consommateurs. Cette démarche, d’ailleurs, paraît intéressante et aller dans le bon sens pour la plupart des producteurs et des conserveurs de cette filière gras, mais il faut aller plus loin.
Marcel Saint-Cricq
Il ne faut pas que ce capital notoriété soit dilapidé par certaines entreprises. Nous souhaitons que la référence géographique s’accompagne d’une certification de conformité, qui sera garant d’une qualité certaine pour le consommateur.
Jacques (de) Bort
Ce certificat de conformité garantissant l’origine et la qualité, est actuellement en préparation et devrait voir le jour en 92 en attendant le fameux label AOC.