Fouilles archéologiques dans le lac de Sanguinet
Notice
Les fouilles archéologiques menées depuis le début des années 70 dans le lac de Sanguinet ont révélé 3 sites : le village gallo-romain de Losa, le village fortifié de l'Estey du Large datant IIe siècle av. J.-C. et enfin le site de Put Blanc, village de pêcheurs du début de l'âge du fer, célèbre pour ses nombreuses pirogues. Les vestiges découverts au fil des différentes missions sont présentés au musée de Sanguinet.
Éclairage
Sanguinet, au bord de l'étang éponyme, est une petite bourgade du pays de Born limitrophe du département de la Gironde. Une cité balnéaire familiale connue aujourd'hui de tous les archéologues. D'où vient cette notoriété ?
Sanguinet, Losa, au IIIe s. dans l'Itinéraire d'Antonin [1], devient parrochia de Sanguinet dans les textes médiévaux rappelant une forme collective du gascon sanguin, "lieu où poussent les cornouillers". Cet appellatif roman sert effectivement à désigner la nouvelle agglomération établie au sud de l'antique quartier de Louse rappelant la station de Losa sur le chemin côtier qui mène, dans l'Antiquité, de Bordeaux vers l'Espagne [2].
La montée des eaux du petit ruisseau de la Gourgue (du gascon gorga, "gorge, ravin, défilé") à la suite de la fermeture du cordon dunaire et de la formation du lac a en effet contraint les hommes à se déplacer : ce sont donc trois sites archéologiques, s'étendant de l'âge du Bronze à l'époque romaine, qui y ont été fouillés, entre 1976 et 1998, fournissant un important mobilier, notamment des pirogues monoxyles d'un intérêt majeur. Mais le lac n'avait pas encore livré tous ses secrets.
Le musée archéologique, rénové depuis lors, présente en effet désormais au public le fruit de plus d'une trentaine d'années de fouilles en "immergeant" le visiteur dans cet univers très particulier. Qu'y découvre-t-on ?
Tout d'abord, le site de "Losa", situé jadis à 7 lieues romaines de Boios, selon l'Itinéraire d'Antonin, village "étape" construit autour d'un fanum dont les substructions de grès ferrugineux (fer des marais) demeurent en place. Du mobilier domestique "classique" y a été trouvé en abondance ainsi que des monnaies - un sesterce de Marc Aurèle et un antoninien de Gallien notamment - permettant de dater l'occupation des lieux du Ier au IIIe siècle après J.-C. La présence de souches d'arbres au milieu des ruines laisse entendre que cette petite agglomération a été détruite avant son immersion que l'on peut dater des environs du Ve siècle, époque à laquelle le lac a dû atteindre son niveau actuel.
La présence de jattes à anses internes à usage domestique et de grandes jarres à brai, témoins d'un premier centre artisanal de production de goudron, au milieu de vestiges liés à la vie quotidienne, caractérise ce site qui a fourni trois pirogues monoxyles [3].
Puis le site de "L'Estey du large", de la fin de l'âge du Fer (IIe s. av. J.-C.), qui se concrétise, à 8 mètres de profondeur, par une double enceinte de pieux de chêne formant une ellipse. Quelque 30 000 fragments de céramique y ont été prélevés ; la céramique commune non tournée y est la plus abondante, laissant supposer qu'il s'agit même d'un atelier de production locale dont la protection était précisément assurée par une palissade. Des amphores du Ier siècle avant J.-C. en assurent la datation ainsi qu'une petite monnaie en argent présentant à l'avers une tête de cheval stylisée et une monnaie locale dite "tarusate".
Ensuite, le site de "Put blanc" où trois habitats du premier âge du Fer (750 à 400 av. J.-C.) ont été repérés par 12 à 13 mètres de fond : 23 pirogues datant de l'âge du Bronze au premier millénaire après J.-C. se concentrent dans ce secteur, laissant penser à l'emplacement d'un premier port à la pointe orientale du lac primitif.
Un habitat très structuré a été repéré par ailleurs à 13 mètres de profondeur : des fonds de cabanes en troncs sont encore en place et les tessons de poteries sont abondants ; un petit vase décoré symbolise la vie dans ces lieux délaissés des hommes il y a plus de 2000 ans.
Détail intéressant : un peu partout ont été prélevées des scories attestant les prémices d'une industrie métallurgique à partir du minerai de fer fourni par le "fer des marais".
Les 15 plongeurs bénévoles du CRESS [4] ont donc bien raison d'être optimistes en cette journée des musées de 1998.
Fouillant toujours l'ancien lit de la Gourgue, à des profondeurs toujours plus grandes, dans des conditions toujours plus difficiles, ils ont identifié depuis deux autres sites : "La Forêt" (600-200 av. J.-C.) où l'on retrouve, comme à "Put Blanc", des fonds de cabanes et des pieux mortaisés, et "Matoc" (1500 à 450 av. J.-C.), encore plus en aval et par 17 mètres de fond, d'où ils ont remonté une lance et un vase.
Peu à peu s'éclaire ainsi le mode de vie de populations de pêcheurs capables de construire des bateaux robustes, insubmersibles et conçus pour la navigation en mer : un trésor archéologique inestimable pour les spécialistes, constitué de quelque 33 pirogues monoxyles, dont 29 réalisées en pin et 4 en chêne.
De cet exceptionnel chantier les rapports annuels du CRESS rendent compte chaque année [5].
[1] L'Itinéraire d'Antonin, daté de la fin du IIIe siècle, qui donne la liste des étapes (mansiones) qui jalonnent quelque 372 voies sur 85000 km dans tout l'Empire.
[2] BOST, Jean-Pierre et BOYRIE-FENIE, Bénédicte, "Auguste, la Gaule, et les routes de l'Aquitaine : la voie directe de Dax à Bordeaux", Bulletin de la Société de Borda, 1988, 2e tr. p.13-20.
[3] Monoxyle : taillé dans une seule pièce de bois.
[4] Centre de Recherche et d'Études Scientifiques de Sanguinet.
[5] Interview de Bernard Maurin sur l'Extranet public des Landes : "Plus on s'enfonce sous les eaux du lac et plus on remonte le temps"