Septembre 1944 le dernier train de déportation de la prison de Loos

01 septembre 1944
06m 20s
Réf. 00041

Notice

Résumé :
Le Train de Loos est le dernier convoi parti de France vers les camps de la mort. Fin 1944, alors que la région du Nord retrouve sa liberté, plus de 1200 résistants et patriotes du Nord et du Pas-de-Calais sont emmenés dans la prison de Loos vers l'Allemagne. En effet, l'état major nazi donne l'ordre de vider les prisons.
Date de diffusion :
06 septembre 1969
Date d'événement :
01 septembre 1944
Source :
ORTF (Collection: Spécial Nord )
Thèmes :
Lieux :

Éclairage

Durant les derniers jours du mois d’août 1944, la prison de Loos n’échappe pas à l’exaltation qui s’empare de la population du Nord-Pas-de-Calais. Femmes et hommes en sursis pour la plupart, les détenus suivent avec avidité les derniers événements. Durant la dernière semaine du mois d’août, l’atmosphère a encore changé. L’espoir d’une future délivrance maintient le moral au plus haut. Heureusement ! car les conditions de vie sont devenues insoutenables. Les cellules regorgent de prisonniers, elles accueillent 12, 15 personnes.

Les SS ont fini par obtenir de prendre en charge les détenus politiques enfermés dans les prisons au nord de Paris. Ils vont les regrouper dans la prison de Loos et former le dernier convoi de déportés quittant le nord de la France pour les camps nazis. Il est probable que ces détenus politiques pourront servir de monnaie d’échange, d’otages avec les alliés. Les SS fanatiques, remarquablement organisés et efficaces, vont mettre en place un plan de transport et réquisitionner tous les moyens pour parvenir à leur fin. Ainsi des prisons de Béthune, Valenciennes, Douai, Arras, les détenus politiques sont acheminés vers Loos par train, par autobus, alors que l’armée allemande pressée se replie en hâte vers la Belgique et qu’elle aurait bien besoin de ces moyens de transport. Pour arriver à la prison de Loos, ces détenus mettront beaucoup de temps, l’aviation alliée est omniprésente, attaque les gares, les convois. Arrivés à Loos, ces malheureux sont entassés dans les cellules déjà surchargées. On utilisera les locaux de la prison Saint-Bernard, annexe de la prison de Loos, pour y attendre le départ.

Le 1er septembre, dans les cellules de Loos, l'appel des partants se fait dès 5 heures du matin dans l'excitation générale. 80 rotations entre Loos et Tourcoing, de 8 h à 17 h, vont amener en gare de Tourcoing environ 1 250 détenus politiques. La dernière rotation arrivera trop tard. Les détenus seront libérés sur place. Vers 17 h 45, le train de Loos s'ébranle, prend la direction de Mouscron. Les détenus dans l'angoisse croient encore au miracle d'une libération par l'aviation alliée, par la résistance locale française, puis belge, mais en vain. Elle échoue en raison d’une série de contretemps et de hasards malheureux. Beaucoup y laisseront la vie, Yves Le Maner dans son ouvrage consacré à cet épisode [1], donne le chiffre de 275 rescapés !

Chacun des témoins interviewés donne une vision du moment précis où les Allemands ont réuni les prisonniers pour les conduire vers le train à Tourcoing et où leur vie a basculé, alors que la Libération était si proche : Jean-Marie Fossier (commandant FTP, à Loos depuis plus de 10 mois, déporté à Buchenwald, libéré le 11/04/1945), Jean Vandeneeckhoutte (de Chéreng, libéré le 1/05/1945), Roland Vanbreugel (de Saint-Amand, libéré le 3/05/1945), Léon Basier (de Paris, déporté à Dachau, libéré le 29/04/1945), Henri Deudon (de Denain, déporté à Dachau, libéré le 29/04/1945), André Symoens (de Lille, libéré le 3/05/1945), Jean Repaire (de Tours, déporté à Dachau, libéré le 29/04/1945) et Robert Tonnoir (de Trith-Saint-Léger, déporté près de Schwerin, libéré le 3/05/1945).

Le train de Loos reste une énigme douloureuse. Comment une telle fatalité a-t-elle pu poursuivre 1250 hommes alors que la région est pratiquement libérée, que la Résistance harcèle l’armée allemande ? Après le retour des rescapés, des hommes ont cherché, en vain, à comprendre.

Un Mémorial du train de Loos a été réalisé en face de la prison où 12 plaques de bronze portant les noms des 871 déportés ont été apposées.



[1] Le Maner Yves, Le « Train de Loos ». Le grand drame de la déportation dans le Nord-Pas-de-Calais (préface d’Annette Wieviorka), Saint-Omer 2003, 263 p.
Martine Aubry

Transcription

Claude Laplaud
De nombreux résistants ont été arrêtés en juillet et août 1944, la prison de Loos regorge de prisonniers. Certains connaissent la détention depuis d’interminables mois, parfois même au secret dans une cellule de force, attendant d’être fixés sur leur sort. Jean-Marie Fossier, c’est en 1942 que vous êtes arrêté par les allemands, je crois.
Jean-Marie Fossier
Oui, c’est en effet au mois de mai 42 que j’ai été arrêté par les allemands, conduit dans différentes prisons avant de venir ici à Loos où, au moment de l’évacuation, en septembre, j’avais dix mois et demi de solitude. Dans cet isolement total, il n’y avait en effet aucune nouvelle qui nous parvenait ; mais l’agitation permanente qui était apparue dans la prison depuis cinq à six semaines nous indiquait que de graves évènements se passaient.
Claude Laplaud
Je crois qu’on peut affirmer aujourd’hui que ce dernier train de Loos était prévu dès le 25 août.
Jean Vandeneeckhoutte
Dès le 25 août.
Claude Laplaud
Pour quelles raisons, oui ?
Jean Vandeneeckhoutte
À mon avis, que les raisons étaient que les allemands tenaient absolument à pouvoir emmener vers l’Allemagne certains chefs importants qui se trouvaient encore dans les cellules et qu’ils tenaient à embarquer avec eux, quoi !
Claude Laplaud
Oui, est-ce que Parman était présent à ce moment-là ?
Jean Vandeneeckhoutte
Parman se trouvait certes à Loos au moment de ce triage des prisonniers divers quoi !
Claude Laplaud
Comment avez-vous appris que vous alliez quittez la prison de Loos ?
Roland Vanbreugel
La veille au soir, il y avait eu un grand remue-ménage dans les cellules, et dans la prison, et…
Claude Laplaud
Ça faisait beaucoup de bruits ?
Roland Vanbreugel
Oui, et d’après les prisonniers qui venaient des prisons extérieures, ils disaient qu’il y avait une avance de l’armée alliée.
Claude Laplaud
Oui, et à ce moment-là, je crois qu’il faut préciser que les armées alliées étaient à Lens, je crois.
Roland Vanbreugel
Les armées alliées étaient à Lens.
Claude Laplaud
C’est-à-dire à 30 kilomètres environ de Loos ?
Roland Vanbreugel
Oui.
Claude Laplaud
Justement Monsieur Basier, vous deviez être fusillé, je crois le 5 septembre lorsque vous avez appris que vous alliez partir, et vous avez cru tout de suite que vous étiez, que vous n’alliez pas être fusillé ?
Léon Basier
Aussitôt oui, c’est la seule impression que j’ai eue, j’ai dit, tiens, si je pars, je pourrais encore échapper ma peau !
Claude Laplaud
Alors pour vous, le train de Loos était un petit peu la vie sauve ?
Léon Basier
Pour moi, c’était la vie sauve.
Claude Laplaud
Oui. Vous aviez, je crois, organisé une évasion pour le lendemain, c’est-à-dire pour le jour du départ alors que vous ne saviez pas que le transport allait avoir lieu.
Henri Deudon
Avoir lieu, c’est ça, c’est ça !
Claude Laplaud
Comment ? Qu’est ce qui allait se passer là ?
Henri Deudon
Ah, c’est-à-dire que, comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, les deux camarades qui étaient de, originaires de la même localité que les deux gardiens, avaient discuté avec eux ; et ils s’étaient mis d’accord pour une tentative d’évasion qui aurait permis de faire partir une dizaine de types, peut-être.
Claude Laplaud
Oui, oui !
Henri Deudon
En tout état de cause, nous étions déjà, nous, sept ou huit.
Claude Laplaud
Oui.
Henri Deudon
Et peut-être que d’autres auraient été mêlés avec nous pour….
Claude Laplaud
Mais est-ce que c’était d’accord avec vos gardiens allemands ?
Henri Deudon
Oui c’était, les deux gars s’étaient, avaient discuté avec les gardiens là, et c’étaient les gardiens eux-mêmes qui leur avaient certainement proposé….
Claude Laplaud
C’est ça !
Henri Deudon
À ces deux camarades de leur fournir les moyens de s’échapper.
Claude Laplaud
Alors comment ça s’est passé, votre départ de la prison de Loos ?
Léon Basier
Nous avons été réveillés vers les 4 heures au matin par les gardes qui sont venus. Ils nous ont dit de nous habiller, on s’est habillé. Nous avons restés dans nos cellules, et quand le facteur nous a apporté notre pain comme d’habitude le matin, mais nous étions tous en tenue de départ.
Claude Laplaud
Vous avez quitté la prison pour Tourcoing parmi les premiers, je crois, parmi les premiers prisonniers, mais en faisant quelques détours ?
Intervenant 5
Oui, nous sommes partis le matin vers 6 heures, nous avons été mis dans des camions, si mes souvenirs sont bons, c’étaient des camions civils, des bâchés. On nous avait entassés dans les camions, on avait mis un soldat allemand aux quatre coins. Et alors, les trois ou quatre camions sont partis ; vous donner la direction exact, je ne saurais plus mais je sais que nous sommes arrivés d’abord à la gare de Lille. Nous nous sommes arrêtés sur la place, et ils sont certainement allés à la gare demander s’ils pouvaient avoir un train. Ils nous ont laissés là dix minutes, un quart d’heure.
Claude Laplaud
Oui.
Intervenant 5
Nous sommes repartis en direction de Roubaix, de nouveau station en face à la gare de Roubaix, à peu près le même laps de temps. Après, départ sur Tourcoing, d’abord la gare de voyageurs. Là, nous ne sommes pas restés bien longtemps et ils nous ont emmenés à la gare des Sapin-Vert, toujours à Tourcoing.
Claude Laplaud
Oui, ce qui laisse supposer que ce transport n’avait pas été très bien organisé, que c’était organisé en dernière minute !
Intervenant 5
Oh, certainement à la dernière minute, ou alors il y avait une mauvaise synchronisation.
Claude Laplaud
Oui. Alors sur la route qui vous conduisait à Tourcoing, vous avez réussi à jeter ce petit cadre.
Jean Repaire
Ah oui !
Claude Laplaud
Alors je lis là, sur ce petit cadre, il est noté, pour le concierge de la Boulonnerie de Thiant,
Jean Repaire
Qui était mon père à ce moment-là, oui.
Claude Laplaud
Qui était votre père. Suis déporté en Allemagne, tout va bien, pas fusillé, Jean.
Jean Repaire
Oui, oui, ça, c’est un souvenir, et….
Claude Laplaud
Il est parvenu à votre père d’ailleurs !
Jean Repaire
Oui, j’avais conservé dans le fond d’une doublure une mine de crayon, et j’avais un bout de papier, et j’ai réussi à griffonner ça sur, ces paroles sur ce bout de papier, et j’ai jeté ça par, en bas du camion.
Claude Laplaud
Oui.
Robert Tonnoir
La première chose qui m’a marqué, c’est la désillusion de voir vider la prison pour aller nous transplanter ailleurs. Alors que l’on savait que, pratiquement, la libération était proche, c’est la première désillusion.
Claude Laplaud
Vous aviez des nouvelles en prison ?
Robert Tonnoir
Oui, c’est-à-dire qu’il fallait essayer de faire la part de ce que, de ce qui pouvait être des fausses rumeurs, des fausses nouvelles ; mais enfin, on se rendait bien compte quand même, déjà lorsqu’on avait été arrêtés que la fin arrivait. Et se voir partir au premier septembre vers une autre destination à présent n’était certainement pas intéressant !
Claude Laplaud
Qu’est-ce que vous avez remarqué sur la route ?
Robert Tonnoir
Alors ce que j’ai remarqué aussi, et c’était d’autant plus, ma désillusion, si vous voulez, était d’autant plus grande, que en traversant la ville de Lille, en particulier, on voyait donc sur les trottoirs les allemands, pratiquement en pleine débâcle avec des soldats endormis aux pieds de camion ; ainsi de suite, comme on avait pu voir en 1940 avec l’armée française !