Un livre sur les charbonnages du Nord au XIXe siècle

08 janvier 1974
04m 26s
Réf. 00310

Notice

Résumé :

Marcel Gillet présente son livre sur les charbonnages du Nord de la France au XIXe siècle. Il explique que c'est à cause de la crainte de la pénurie d'énergie que les compagnies d'Anzin et d'Aniche ont pu se développer. Le développement industriel au XIXe siècle va faire augmenter le prix du charbon d'autant que la France ne produit pas assez pour sa consommation. C'est ainsi que ce siècle a été certainement l'âge d'or du charbon.

Date de diffusion :
08 janvier 1974
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Éclairage

La découverte du charbon doit moins au hasard qu'à la nécessité. Comme l'explique ici Marcel Gillet, qui fut le grand historien du bassin du Nord-Pas-de-Calais, c'est la pénurie de bois qui conduit à l'usage du "charbon de terre" malgré les désagréments qu'il présente et les difficultés de le transporter autrement que par bateau : en Grande-Bretagne dès le XVIIe siècle pour chauffer Londres, puis au XIXe siècle, cette fois sur le continent également, quand le chemin de fer et la machine à vapeur deviennent d'avides consommateurs en même temps qu'ils facilitent l'extraction et l'écoulement du charbon. Certes, les caprices de la géologie restant encore mystérieux pour les ingénieurs et les investisseurs, c'est parfois la chance qui révèle un gisement. Cependant, si en 1842, celui du Pas-de-Calais est "découvert" dans le parc du château de Madame de Clercq à Oignies, c'est le couronnement de longs efforts de prospection plus au sud, dans la région d'Arras, où la géographie incitait à chercher le prolongement en ligne droite du bassin du Nord. On ne trouve que ce que l'on cherche.

Comme l'indique également Marcel Gillet, pendant l'âge d'or du charbon, c'est-à-dire avant la Première Guerre mondiale quand le pétrole et l'hydroélectricité ne lui font pas encore concurrence, la production suffit à peine aux besoins ; la France, notamment, est modestement pourvue. Des "famines de charbon" affaiblissent ainsi périodiquement l'activité économique et la faiblesse de la ressource charbonnière a longtemps été considérée par les historiens comme l'une des causes du retard de l'industrialisation de notre pays. Le bassin du Nord, comme celui de Saint-Étienne, ayant à la fois des ressources plus limitées et un développement plus lent, le vrai moteur de la croissance charbonnière est – avant que la Lorraine ne prenne le relais – le Pas-de-Calais. C'est là que se constituent, en moins d'un demi-siècle, ce paysage typique que l'on attribue à toutes les régions charbonnières, et cette société minière qui vit "à l'écart", infrastructures et logements étant fournis aussi par l'employeur. Mais le paternalisme, souvent dénoncé comme une volonté d'asservissement, est lui aussi le fruit de la nécessité, celle d'une industrie de main d'œuvre où la productivité stagne faute de mécanisation : lorsqu'on ouvre un puits qui, en deux ou trois ans, emploie 2 000 ouvriers aux abords d'un village de 500 âmes, quelle autre solution que de construire des corons pour les loger ? Les compagnies qui le peuvent s'en dispensent ; celles qui le doivent en font aussi un instrument de contrôle social, certes. Mais même dans le cas, extrême, du Pas-de-Calais couvert de corons, les compagnies ne détiennent pas la majorité de leur personnel avant 1914. Si le manque de bras est chronique, et même exacerbé dans les dix années qui précèdent la Première Guerre, obligeant à "importer" des mineurs du massif central, de premiers contingents polonais et kabyles, la mine attire pourtant les miséreux des campagnes pour lesquels elle n'est pas cet enfer décrit par Zola, mais le pays des hauts salaires et des vraies maisons de briques rouges si supérieures aux taudis ruraux. Ce monde clos s'organise : au paternalisme répond le corporatisme exacerbé d'une main d'œuvre soudée par le travail du fond dont le mode de vie de la famille comme de la cité dépendent entièrement, et par son isolement durable. La mine n'est plus la campagne, mais ne sera jamais la ville.

Joël Michel

Transcription

(Musique)
Jean François Jolivat
Cette pénurie de l’énergie se fait déjà sentir à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème. La seule source d’énergie est alors le bois, la tourbe et l’eau des moulins et des scieries. Le charbon, découvert dans le Nord près de Valenciennes sous la Régence, devient le principal pôle d’attraction. Les compagnies d’Anzin et d’Aniche prennent alors une grande extension. C’est donc un réflexe de crainte qui donne naissance à l’industrie houillère et qui a encore des conséquences sur la vie du Nord aujourd’hui.
Marcel Gillet
On retrouve depuis très longtemps dans la civilisation occidentale la crainte d’une pénurie d’énergie. Dès le XVIIIème siècle, d’ailleurs si les mines d’Anzin et d’Aniche se sont développées, c’est en partie en liaison avec cette crainte qu’on avait de manquer de base d’énergie, c’est-à-dire de manquer de bois ; et c’est en cherchant le prolongement du bassin du Borinage qu’on a trouvé Anzin parce qu’on craignait de manquer de bois. Et de même, au milieu du XIXème siècle, si on s’est mis frénétiquement à chercher le prolongement du bassin du Nord avec beaucoup de difficultés ; puisqu’on s’est trompé pendant un moment bien longtemps d’orientation ; bien sûr si on a tellement cherché, c’est parce qu’on avait besoin frénétiquement de charbon et qu’on craignait dès le milieu du XIXème siècle de manquer de charbon.
(Musique)
Jean François Jolivat
A la chute de Louis-Philippe, le charbon extrait dans le Nord ne suffit toujours pas à approvisionner la France industrielle. Les machines à vapeur, les chemins de fer vont encore accentuer la demande sous le Second Empire et fait augmenter le prix du charbon.
(Musique)
Marcel Gillet
Au XIXème siècle, la France n’avait pas une production d’énergie suffisante. Par exemple, si on prend le cas de la production du charbon, elle couvrait à peine les deux tiers de la consommation de charbon. Il fallait importer des charbons étrangers, des charbons belges, anglais principalement, puis plus tard, des charbons allemands. Mais lorsque dans un pays, il y a pénurie de quelque chose et que des entreprises détiennent ce combustible si recherché, il est bien évident que leur situation est favorisée et c’est pour cela pour les Charbonnages, le XIXème a certainement été l’âge d’or du charbon.
Jean François Jolivat
Sur le terrain, le bassin houiller est divisé en concessions confiées à des compagnies jalouses de leur indépendance. Les premières sont présidées par des aristocrates, comme les Desandrouain ou les Trenelle. Leurs successeurs, souvent des bourgeois de la finance Louis-Philipparde ou impériale, ont la haute main sur tout le Bassin. Ils élèvent le paternalisme au niveau du dogme, jamais société ne fut aussi hiérarchisée.
Intervenant 2
La mine c’est la compagnie providence, c’est-à-dire, c’est la mine qui fournit aux enfants l’école, c’est la mine qui fournit aux ouvriers les maisons, les églises, les gendarmeries et cetera.
Jean François Jolivat
Comment vit le mineur du XIXème siècle ?
Intervenant 2
Et bien là, j’hésite parce que vous avez évidemment dans l’esprit des descriptions de Zola et de Germinal . Et je pense qu’effectivement la condition du mineur au XIXème était une condition très dure, très pénible mais il y a quand même ce fait essentiel que c’était une société à part ; et par conséquent, des gens qui vivaient entre eux, bien sûr avec d’énormes, bien sûr avec d’énormes difficultés mais société à part et par conséquent qui avait une conscience insuffisante de ses difficultés.
(Musique)
Jean François Jolivat
Vraiment dans le coron noir et humide, le mineur n’a pas conscience de sa condition. Les campagnes misérables du XIXème siècle fournissent une main d’œuvre docile et solide. Le métier, il est vrai, a son prestige.
Intervenant 2
Dans la hiérarchie des salaires, le mineur occupe une grande place, une place élevée dans les salaires ouvriers et il n’y a qu’à regarder ce qui se passe. Lorsque les mines se développent, il faut évidemment importer de la main d’œuvre, et bien, les ouvriers agricoles des campagnes, les petits propriétaires mêmes viennent à la mine. Ce qui montre bien que par rapport à d’autres secteurs, le métier de mineur est relativement bien payé, bien que ce soit évidemment un métier dangereux et très pénible.
Jean François Jolivat
Est-ce la fin de l’âge du charbon ? Nous avons connu celui du pétrole, demain sera celui de l’atome. Marcel Gilet ne doute pas que l’on revienne un jour au charbon mais pas dans le bassin du Nord mais sur d’autres continents, dans des mines à ciel ouvert au formidable rendement.
(Musique)