"Germinal" : un lieu de mémoire ?
Introduction
Germinal, le célèbre roman d'Emile Zola, et ses nombreuses adaptations cinématographiques ont popularisé l'importance du rôle joué par les mineurs de charbon dans l'industrialisation de la France. Lieu de mémoire, Germinal fait partie du patrimoine culturel national, voire universel, et donc du Panthéon littéraire. Grâce à Emile Zola, la mine et les mineurs sont entrés pour toujours dans l'histoire mondiale du travail.
Emile Zola, l'homme de "Germinal"
Emile Zola est, aux yeux des plus éminents spécialistes de son œuvre, « l'Homme de Germinal », un roman dans lequel il met en scène, dans un bassin minier, la lutte farouche entre Capital et Travail. Claude Berri, réalisateur d'un film inspiré de cet épisode de la saga des Rougon Macquart, juge que dans ce récit, le plus puissant et le plus évocateur de toute l'œuvre de l'écrivain naturaliste, « Zola a tout donné ». Ce roman témoigne de l'empathie de l'auteur avec les hommes de la mine.
En 1992-1993, lors du tournage du Germinal de Claude Berri, les habitants du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais ont donné des preuves de leur attachement indéfectible à ce roman, à ce qu'il représente pour eux, y compris dans ses traductions filmiques. Invités à jouer leurs propres rôles, de très nombreux mineurs et anciens mineurs aspirent, en participant au film, à rendre un respect médiatique à leurs ancêtres, à tous ceux qui ont trouvé la mort dans un accident, aux 1100 morts de la terrible catastrophe de Courrières du 10 mars 1906.
Ce sont, semble-t-il, les scènes de protestation collective qui les motivent le plus, tant les grèves et les défilés ont constitué une partie intégrante de leur vie.
Wallers-Arenberg : préparation et repérages du film Germinal
Claude Berri accompagné du directeur de la photo et de Renaud est en repérage à Wallers-Arenberg sur le site minier du puits n°2 pour le film Germinal. Claude Berri parle de la logistique importante pour un tel film et lance un appel à candidature pour le rôle de Catherine. Renaud - dont le grand-père a été mineur et dont la mère a vécu à Valenciennes - a fini par accepter le rôle de Lantier.
De la grève de 1884 au roman
Fidèle à la méthode naturaliste, dont il est l'initiateur, Emile Zola ne laisse rien au hasard dans la préparation d'un roman dont il veut qu'il soit le plus proche possible de la réalité vécue par les mineurs de son temps. Les années 1880 sont d'une grande violence dans le milieu minier. Emile Zola a su comprendre les mentalités et deviner les frustrations d'une époque, plus particulièrement lorsqu'il a l'intuition de mettre en scène l'émasculation de l'épicier Maigrat par les femmes de mineurs. Cette scène préfigure les dramatiques événements de 1886, quand les mineurs de Decazeville défenestrent l'ingénieur Jean-Jules Watrin, honni de tous, et que leurs compagnes le piétinent à mort. En 1884-1885, peu d'observateurs auraient parié sur un tel déchaînement de barbarie dans cette petite ville minière du centre de la France. Cette violence collective n'est pas isolée dans la France du XIXe siècle. Elle atteste de l'état psychologique dans lequel se trouvent des mineurs réduits à la misère et soumis à l'arbitraire quotidien de certains de leurs dirigeants.
Armand Lanoux parle de Germinal d'Emile Zola
Le Magazine du mineur consacré à Germinal fait évoluer le personnage de Zola sur les lieux qui l'ont inspiré pour son roman. Armand Lanoux explique que celui-ci s'est beaucoup documenté visitant corons et puits de mines. Zola fait en premier un travail de journaliste en allant constater les faits puis il met en valeur des informations en utilisant les codes du feuilleton en opposant les classes bourgeoise possédantes et la classe ouvrière. Une construction épique avec une histoire d'amour.
Lorsqu'éclate la grande grève de 1884 dans le bassin minier du Nord - 11 000 mineurs cessent le travail - Zola commence tout juste l'écriture de Germinal . Il se rend donc sur place dès les premiers jours du conflit et descend à plusieurs reprises au fond, avec les ouvriers, en compagnie d'Alfred Giard, député socialiste de Valenciennes, dont il a fait la connaissance l'année précédente. Revêtu de la chemise, de la culotte, de la veste et du jupon, il coiffe le béguin bleu et le chapeau de cuir dur, dit "barrette". Il est allé chercher la lampe individuelle et est entré dans la berline de descente devenant ainsi, l'espace d'un jour, un mineur parmi les mineurs, risquant sa vie à leurs côtés. De cette visite aux grévistes à la descente au fond, en passant par les lectures documentaires approfondies faites auparavant, force est de constater que les méthodes de travail de l'écrivain sont novatrices. Elles préfigurent celles des sociologues, soucieux des études de terrain. Le roman qui en résulte est donc d'une grande puissance évocatrice.
"Germinal", un roman-culte
Existe-t-il, dans l'histoire littéraire française, beaucoup d'exemples de romans dont les héros se sont si bien reconnus dans le portrait brossé d'eux, et de leur vie, qu'ils se sont approprié l'œuvre, avant même la mort de son auteur, pour s'en réclamer, ensuite, un siècle durant ? Assez peu, sans doute. C'est pourtant le cas de Germinal, roman dans lequel la corporation des mineurs et ses descendants se reconnaissent aujourd'hui encore, longtemps après la fermeture définitive des mines.
Paradoxalement, Germinal a conduit de nombreux mineurs sur le chemin de l'écriture. Ils se sont sentis légitimés par le succès populaire d'un livre dont ils sont les héros. Pour certains d'entre eux, l'œuvre naturaliste a été une source d'inspiration, une « œuvre indépassable », dont ils se réclament ouvertement dans leurs propres textes. Il existe, en effet, une tradition « littéraire » fortement ancrée dans les habitus de cette communauté de travail. Le geste accompli par quelques uns des « mineurs-acteurs », embauchés par Claude Berri lors du tournage de son film, en apporte la preuve. N'ont-ils pas adressé un texte en vers de leur composition à l'acteur vedette du film, le chanteur Renaud, qui incarnait le héros du roman, Etienne, pour lui signifier toute leur admiration ? Que dire aussi de la constitution de l'« Association des Amis de Germinal et anciens mineurs », dont l'existence est portée à la connaissance de tous par une affiche sur les lieux du tournage ou encore de l'augmentation des ventes du roman, dans les librairies de la région du Nord, durant cette période, ainsi que des visites de personnalités politiques de tous bords à l'équipe du film ? Enfin, le culte de Germinal n'atteint-il pas les sommets mêmes de l'Etat, lorsque le réalisateur décide d'envoyer son scénario à François Mitterrand, Président - socialiste - de la République, réputé fin connaisseur de littérature ?
A différentes occasions, les mineurs ont manifesté publiquement leur attachement à ce roman, faisant de lui leur « roman-culte » et de son auteur une référence. Le 5 octobre 1902 à Paris, lors des funérailles d'Emile Zola, la France populaire, les ouvriers, parmi lesquels des mineurs venus du bassin minier du Nord, manifestent publiquement leur vénération pour Germinal . Le journaliste du Figaro, dépêché sur place pour suivre l'événement, donne une description des « Gueules noires » fraîchement arrivés de Denain afin d'honorer la mémoire de l'écrivain et témoigner de l'affection de toute leur corporation. Or, Denain n'est-elle pas la ville dans laquelle Emile Zola s'est rendu, du 23 février au 2 mars 1884, dans le but de préparer in situ l'écriture de son roman ?
Tourcoing : tournage du film Le Brasier
Éric Barbier tourne à Tourcoing dans salle du Fresnoy la reconstitution d'un bal avec 300 figurants pour son prochain film Le Brasier sur la communauté polonaise et les mines. Interviews du réalisateur Éric Barbier sur le travail de préparation du film et du comédien Jean-Marc Barr.
L'accident, au cœur de la vie des mineurs, au cœur du roman
Le danger et les accidents sont au cœur de la vie quotidienne des ouvriers du charbon. Ils le sont également dans Germinal . La catastrophe de Courrières, de par son ampleur jusque là inégalée, de par ses conséquences humaines, est demeurée, plus d'un siècle durant, gravée dans la mémoire régionale, nationale et internationale. Elle s'inscrit pourtant dans une longue lignée d'accidents miniers plus ou moins tragiques. Ces drames du travail, petits et grands, guettent chaque jour le mineur et sa famille. La littérature s'en fait naturellement l'écho. C'est par le biais de leurs lectures que les Français, qui ne vivent pas cette réalité au jour le jour, découvrent au cours de la seconde moitié du XIXe siècle la vie des mineurs et les dangers de leur métier. Par ailleurs, les journaux informent régulièrement des tragédies qui se produisent dans les mines. La catastrophe constitue l'une des pièces centrales du récit d'Emile Zola, de même que le sauvetage des victimes et la grève qui suit ces évènements dramatiques.
Tournage de Germinal par Yves Allégret
Reportage sur le tournage du film Germinal en Hongrie. Yves Allégret y a fait reconstituer le village de Montsou et le carreau de mine autour d'un puits datant de 1865. Des images de la télévision hongroise montrent le tournage d'une scène où l'eau envahit les galeries. Interrogé sur son adaptation, Yves Allégret explique qu'il a dû, pour respecter la durée du cinéma, adapter le roman tout en conservant l'histoire sociale et l'histoire d'amour entre Maheu et Lantier.
L'image contrastée du mineur
La lutte entre le Capital et le Travail, qui est au cœur de l'œuvre d'Emile Zola, tout comme la vie quotidienne des mineurs au travail - « l'enfer des mines » - décrits par l'homme de lettres, brossent de cet ouvrier un portrait en teintes sombres. La légende noire de la mine trouve, en partie, son origine littéraire dans Germinal . La condamnation de l'exploitation des mineurs y est sans appel. Le réquisitoire de l'auteur est d'une grande force, tant il s'élève contre un monde hostile à l'homme et à sa dignité.
Toutes les représentations des hommes de la mine ne sont pourtant pas, loin de là, aussi tragiques. Pensons à ces mineurs héros de la production de charbon - adeptes du Stakhanovisme - mythifiés par le Parti Communiste de l'Union Soviétique (PCUS) aux « plus belles heures » du Stalinisme ou par le Parti Communiste Français (PCF), lors de la Bataille du charbon, aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, à une époque où toute la Reconstruction de la France repose sur les épaules de ces travailleurs. L'image du mineur est donc très contrastée. Entre celle née de l'imagination d'Emile Zola et celle élaborée par les tenants d'un avenir radieux pour la classe ouvrière, le fossé est profond.
Exposition Gueules de mineurs au musée de la mine à La Machine
Le Musée de la mine à La Machine consacre une exposition complète sur les "gueules noires". Une cinquantaine d'œuvres retracent la vie des mineurs de la Nièvre et du pays tout entier. Aldino Della Taffola, fils de mineur, visite l'exposition et se souvient de son père. Parmi les œuvres, la tristesse et un univers de douleur des mineurs du début du XXe siècle ressort des dessins et tableaux de Lucien Jonas. Plus tard le mineur aura figure de héros. Ces deux aspects sont représentés dans l'exposition à travers des statues, des tableaux et des affiches. Francis Dreyer, attaché de conservation parle de la solidarité de la corporation.
Les opposants à "Germinal"
Il existe des « anti- Germinal » qui estiment que Zola a trahi et déshonoré les « Gueules noires ». Car, admiré ou rejeté, ce roman ne laisse personne indifférent, tout comme la dure vie des mineurs de charbon. Augustin Viseux, auteur d'un livre de témoignage (1991) sur sa vie au service des houillères, refuse de communier dans le « culte » voué à Germinal . Pour celui qui, de simple piqueur, a gravi tous les échelons de la hiérarchie de la mine avant de devenir ingénieur divisionnaire, la vision que le père du Naturalisme véhicule du monde de la mine est trop noire, trop avilissante, trop crue. Selon lui, contrairement à ce que Zola décrit, tous les mineurs n'étaient pas moustachus, ni à moitié idiots et leurs filles ne tombaient pas toutes enceintes avant le mariage. Pour Viseux, par ses outrances Zola a jeté, pour longtemps, le discrédit sur les gens de la mine. Pour d'autres que lui, il faut en finir avec un certain nombre de clichés sur le bassin minier, une région longtemps dominée par l'industrie du charbon, puis ruinée par sa disparition. Ces quelques voix discordantes ne font que renforcer le poids historique, culturel et affectif de Germinal, chez les hommes du charbon.
Présentation d'Augustin Viseux à propos de Mineur de fond
A Vimy, un ancien mineur de 82 ans, Augustin Viseux, a couché ses souvenirs dans un livre : Mineur de fond. Fils et petit fils de mineur, galibot, porion, puis ingénieur, son témoignage a été sollicité par Jean Malaurie pour la collection Terre Humaine. Interviewé chez lui il donne les raisons qui l'ont poussé à écrire ce livre.
Conclusion
En écrivant Germinal, une œuvre exceptionnelle, qui semble répondre à une véritable demande sociale de littérature, Zola a-t-il trahi les mineurs ? N'a-t-il pas, au contraire, su cristalliser tous les possibles de la violence ouvrière contenue dans ce milieu ? Loin de l'analyse qu'en fait Augustin Viseux, Germinal ne serait-il pas LE roman des mineurs ? Car n'ont-ils pas majoritairement le sentiment que cet épisode des Rougon-Macquard leur rend leur dignité d'homme ? Cette « noblesse », qui a tant manqué à leur vie et à leur travail, le succès du roman, en France et dans le monde, mais aussi la célébrité de celui qui s'engagea aux côtés d'Alfred Dreyfus en publiant sa fameuse lettre ouverte, « J'accuse » dans L'Aurore le 13 janvier 1898, leur en confère une part.
Bibliographie
-
Pierre Assouline, Germinal, l'aventure d'un film, Paris, Fayard, 1993.
-
Henri Mitterand, Zola, L'homme de Germinal (1871-1893), Paris, Fayard, 2001.
-
Emile Zola, Carnets d'enquêtes. une ethnographie inédite de la France, présentation d'Henri Mitterand, Paris, Plon, Collection Terre Humaine, 1987.
-
Diana Cooper-Richet, Le Peuple de la nuit, Paris, Perrin collection Tempus, 2011.