Allocution de François Mitterrand et interview du caïd de M'Chouneche
01 décembre 1954
05m 35s
Réf. 00052
Notice
Résumé :
François Mitterrand, Ministre de l'Intérieur du gouvernement de Pierre Mendès France, en tournée d'inspection dans l'Aurès (Algérie) après les événements de la "Toussaint rouge".
Type de média :
Date de diffusion :
01 décembre 1954
Personnalité(s) :
Éclairage
Dans la nuit du 31 octobre 1954, les fellaghas du jeune Front de Libération nationale manifestent leur intention d’obtenir l’indépendance de l’Algérie par la lutte armée, en perpétrant une série d’attentats. Appelée « Toussaint rouge », cette vague d’attaques en une trentaine de points du territoire algérien fait dix morts. Sans être un soulèvement de masse, ces troubles amorcent une expansion et une unification de la cause nationaliste par l’action. Dans un contexte d’affrontements en Indochine, de forte agitation au Maroc et en Tunisie, et d’exaltation du nationalisme arabe porté par la figure charismatique de l’Égyptien Nasser [1], cet événement ne connaît pas alors le retentissement que sa qualité d’origine de la Guerre d’Algérie lui confère postérieurement.
L’une des offensives la plus médiatisée est celle de l’embuscade de l’autocar reliant Biskra à Arris, dans l’Aurès, qui aboutit à la mort de l’instituteur Guy Monnerot, dont l’épouse est blessée, et du Caïd Sadok de M’Chouneche. Cette région réputée instable [2] est visitée par le Ministre de l’Intérieur, François Mitterrand, en tournée d’inspection à partir du 20 novembre. À Kenchela, dans le sillage du Président du Conseil Pierre Mendès France, qui a déclaré que l’Algérie est « une partie de la République française (…) de manière irrévocable » [3], il se montre ferme, décidé à maintenir l’unité nationale. Appelant à soumettre les « agents de caractère terroriste » à la force de la loi, François Mitterrand insiste sur la nature isolée de ces initiatives et présente la population algérienne comme première victime de ces attaques. Aussi l’incite-t-il à apporter son concours à une répression ciblée. Bien qu’une dizaine d’« opérations de ratissage » aient déjà eu lieu et que des renforts importants aient été dépêchés [4], François Mitterrand veut repousser l’idée d’un « état de guerre ».
L’interview du Caïd Maoui, successeur du Caïd Sadok, appuie le caractère minoritaire de la rébellion, donnant l’exemple d’un « Musulman » [5] prêt à risquer sa vie pour maintenir l’ordre républicain. Tout en égrainant les moyens mis à sa disposition pour assurer la sécurité, le ton détendu qu’il adopte vient accréditer la thèse d’un retour à la normale.
La tonalité générale du reportage doit rassurer, faisant état d’une menace limitée et endiguée, sur un territoire où règne la concorde entre citoyens. Il n’en est cependant rien, car au cours du mois de novembre, les incidents se multiplient [6], et les départements sombrent progressivement dans ce que l’on appelle, pour longtemps encore, « les événements d’Algérie » [7].
[1] Le Caire aurait incité la multiplication d’incidents en Algérie en vue de la prochaine cession de l’ONU (SHAT 1H1933 D1, télégramme officiel no 1501/OPE/3-71/7S du 26 octobre 1954, cité par Médard Frédéric, « Les débuts de la guerre d'Algérie : errements et contradictions d'un engagement », Guerres mondiales et conflits contemporains 4/2010 (n° 240), p.3).
[2] Ibid., p.4.
[3] JORF, Débats parlementaires, vendredi 12 novembre 1954, p. 4961.
[4] Maria Romo, "Le gouvernement Mendès France et le maintien de l'ordre en Algérie", in Jauffret J.C. et Vaïsse M. (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d'Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001, p. 438-441.
[5] C’est ainsi que sont alors désignés les citoyens du deuxième collège en Algérie, ne bénéficiant pas d’une citoyenneté de plein exercice.
[6] bid.
[7] Ce n’est qu’en 1999 que l’appellation « guerre d’Algérie » fut officiellement employée (loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, citée par Médard Frédéric, op. cit., p. 6).
L’une des offensives la plus médiatisée est celle de l’embuscade de l’autocar reliant Biskra à Arris, dans l’Aurès, qui aboutit à la mort de l’instituteur Guy Monnerot, dont l’épouse est blessée, et du Caïd Sadok de M’Chouneche. Cette région réputée instable [2] est visitée par le Ministre de l’Intérieur, François Mitterrand, en tournée d’inspection à partir du 20 novembre. À Kenchela, dans le sillage du Président du Conseil Pierre Mendès France, qui a déclaré que l’Algérie est « une partie de la République française (…) de manière irrévocable » [3], il se montre ferme, décidé à maintenir l’unité nationale. Appelant à soumettre les « agents de caractère terroriste » à la force de la loi, François Mitterrand insiste sur la nature isolée de ces initiatives et présente la population algérienne comme première victime de ces attaques. Aussi l’incite-t-il à apporter son concours à une répression ciblée. Bien qu’une dizaine d’« opérations de ratissage » aient déjà eu lieu et que des renforts importants aient été dépêchés [4], François Mitterrand veut repousser l’idée d’un « état de guerre ».
L’interview du Caïd Maoui, successeur du Caïd Sadok, appuie le caractère minoritaire de la rébellion, donnant l’exemple d’un « Musulman » [5] prêt à risquer sa vie pour maintenir l’ordre républicain. Tout en égrainant les moyens mis à sa disposition pour assurer la sécurité, le ton détendu qu’il adopte vient accréditer la thèse d’un retour à la normale.
La tonalité générale du reportage doit rassurer, faisant état d’une menace limitée et endiguée, sur un territoire où règne la concorde entre citoyens. Il n’en est cependant rien, car au cours du mois de novembre, les incidents se multiplient [6], et les départements sombrent progressivement dans ce que l’on appelle, pour longtemps encore, « les événements d’Algérie » [7].
[1] Le Caire aurait incité la multiplication d’incidents en Algérie en vue de la prochaine cession de l’ONU (SHAT 1H1933 D1, télégramme officiel no 1501/OPE/3-71/7S du 26 octobre 1954, cité par Médard Frédéric, « Les débuts de la guerre d'Algérie : errements et contradictions d'un engagement », Guerres mondiales et conflits contemporains 4/2010 (n° 240), p.3).
[2] Ibid., p.4.
[3] JORF, Débats parlementaires, vendredi 12 novembre 1954, p. 4961.
[4] Maria Romo, "Le gouvernement Mendès France et le maintien de l'ordre en Algérie", in Jauffret J.C. et Vaïsse M. (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d'Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001, p. 438-441.
[5] C’est ainsi que sont alors désignés les citoyens du deuxième collège en Algérie, ne bénéficiant pas d’une citoyenneté de plein exercice.
[6] bid.
[7] Ce n’est qu’en 1999 que l’appellation « guerre d’Algérie » fut officiellement employée (loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, citée par Médard Frédéric, op. cit., p. 6).
Elodie Salmon
Transcription
(Bruit)
François Mitterrand
Nous sommes donc au milieu du troisième jour de ce trop bref voyage à travers la région qui a le plus souffert de la tentative insurrectionnelle manquée. Hier et avant-hier, nous avons vu des régions fort différentes, aussi bien par le tempérament des populations, par l’aspect du relief et soit à Arris, soit à Foum Toub, soit à T'Kout, nous avons pu faire une sorte de pèlerinage là où on avait vu des hors-la-loi [...] l’instituteur, le caïd, le soldat. Les conclusions à tirer de ces deux jours et demi, il serait bien prétentieux de vouloir les appeler définitives. Cependant, il semble bien qu’à travers toute l’Algérie, et spécifiquement dans ces lieux, en direction de Biskra, de Khenchela et de Batna, on ait voulu lever le peuple, et contre celui qu’on appelait l’étranger ou l’occupant, le Français. La population n’a pas compris ce langage car elle est française. Elle n’a donc pas suivi, elle n’a pas obéi au mot d’ordre, de-ci, de-là, elle a hésité, mais dans peu d’endroits. Et si elle a hésité, c'est en raison de ce drame que nous connaissons bien depuis tant d’années, quant la force semble pencher d’un côté, souvent la masse qui est ignorante ne sait plus où se trouve son devoir. Il est donc de notre devoir, à nous, de faire peser la force du côté de l’ordre, du côté de la France, du côté de la concorde entre les citoyens. Nous ne voulons pas atteindre la masse de la population, nous ne voulons pas la frapper, nous voulons même l’épargner, au risque, le cas échéant, de perdre certains atouts dans la recherche des coupables. D’abord, nous avons voulu en toutes circonstances que la population n’ait pas à souffrir de la présence parmi elle, de la présence d’agents de caractère terroriste, cela est indéniable. Mais cette précaution ne peut aller au-delà des autres nécessités qui nous incombent, il faut que les populations comprennent qu’elles doivent nous aider ou bien, qu’elles s’exposent par la force des choses, et malgré notre volonté, à souffrir davantage de la situation présente. Sans le concours des populations, rien n’est tout à fait possible, sans aucun doute, mais les premières victimes, si elles n’agissent pas dans ce sens, ce sera elles, et comme notre devoir est de les en prévenir, nous ne manquons pas une occasion de le faire. Nous ne frapperons donc pas d’une manière collective, nous éviterons tout ce qui pourrait apparaître comme une sorte d’état de guerre, nous ne voulons pas. Mais nous châtierons d’une manière implacable et sans autre souci que celui de la justice, et en la circonstance, la justice exige la rigueur des responsables. Et tous ceux qui seront surpris agissant d’une façon évidente par les moyens des armes contre l’ordre, ils doivent savoir que le risque pour eux est immense. Dans leur vie, dans leurs biens, et si nous le regrettons, puisque ce sont nos concitoyens, ils sont soumis, comme tout criminel, à la loi, et la loi sera appliquée. Voilà ce que je vous dis au nom du Gouvernement.(Silence)