François Mitterrand vu en 1973

10 janvier 1973
04m 08s
Réf. 00283

Notice

Résumé :
François Mitterrand est-il un personnage de roman ? Telle est la question posée par le journaliste. François Mitterrand revient sur ses origines familiales et sur son parcours politique, dans un reportage fait à l'occasion de l'émission A Armes égales qui l'oppose à Alexandre Sanguinetti.
Date de diffusion :
10 janvier 1973
Source :

Éclairage

Devenu Premier secrétaire du Parti socialiste en 1971 et alors que les élections législatives de mars 1973 approchent, marquées par une progression de la gauche, François Mitterrand accepte cet entretien avec Guy Claisse - avec lequel il écrira un livre en 1980, Ici et maintenant - dans le cadre de l’émission À armes égales, l’une des premières émissions politiques de l’époque.

François Mitterrand, dont l'ascension politique a été fulgurante (il a été pour la première fois ministre à à peine 30 ans), souffre d'une image d'ambition et de stratège. Le terme lui est souvent accolé et avec lui l'image d'un des ambitieux les plus importants de la littérature française : Rastignac (présent dans plusieurs ouvrages de La Comédie humaine de Balzac dont La Peau de chagrin ou encore Le Père Goriot). Il est vrai que le parcours de Rastignac peut faire penser à ce jeune homme monté de la province (et plus particulièrement d'Angoulême) pour conquérir Paris, à l'image du député de la Nièvre. Autre critique récurrente à l'égard du Premier secrétaire du PS depuis 1971, François Mitterrand serait en fait un homme de droite, ayant reçu une éducation conservatrice.

Dans cet extrait, François Mitterrand bat en brèche ces deux préjugés. Il souligne d'ailleurs que son milieu n'est pas aussi caricatural qu'on le dit et que ses parents étaient « libéraux ». Il met aussi en valeur son combat aux côtés des socialistes et son appartenance profonde à la gauche depuis l'UDSR. Les extraits contribuent à renforcer cette correction de son image en montrant un François Mitterrand amoureux des animaux et aux côtés des principales figures de la gauche depuis 1945. Enfin, le Premier secrétaire du PS revient sur son rôle d'irréductible opposant depuis 1958.
Pierre-Emmanuel Guigo

Transcription

André Malraux
Comme chacun, j’ai entendu le petit couplet de Monsieur Mitterrand à la liberté. Ce Poujadisme sentimental semblait bien mince en face d’un si grand héritage.
(Musique)
Journaliste 1
François Mitterrand, un homme politique qui, plus que tout autre, a été l’objet d’attaques et même personnelles de la part de ses adversaires.
François Mitterrand
Alors, il m’ont appelé, vous dites ?
Journaliste 2
Florentin.
François Mitterrand
Florentin, Ondoyant,
Journaliste 2
Rastignac,
François Mitterrand
Vivert, Rastignac, quoi encore ?
Journaliste 2
Oh, il y en a d’autres, "personnage de roman", par exemple, François Mauriac, "personnage romanesque".
François Mitterrand
François Mauriac, j’ai connu François Mauriac qui était un ami de ma mère il y a très longtemps, c’était l’un des premiers que j’ai connus lorsque je suis venu, monté à Paris en 1934 comme étudiant, monté comme Rastignac. Tout simplement parce que Rastignac, comme moi, venait d’Angoulême, c’est le seul point. Si le seul point de rencontre, c’est de venir d’Angoulême à Paris pour être un Rastignac, je suis un Rastignac. Mais permettez, c’est un peu facile et on peut être un grand romancier et avoir des comparaisons banales. Ce qui était le cas en la circonstance.
Journaliste 2
Quand on regarde votre carrière politique, bon, on vous prête, très jeune, quelques sympathies disons pour la Droite. Ensuite, on voit la carrière politique sous la Quatrième République d’un homme assez à Gauche mais disons d’une Gauche un peu modérée. Et puis, maintenant, on découvre ou on a découvert depuis un certain temps déjà un François Mitterrand complètement différent, un François Mitterrand qui a, au fond, passé la ligne.
François Mitterrand
Vous savez, je crois d’abord qu’il faut corriger ce récit, qui est d’ailleurs l’expression fidèle de ce qui est souvent répandu. Lorsqu’on appartient à une famille de la bourgeoisie de province, classe moyenne, dont les racines étaient surtout rurales, de parents catholiques, on vous classe tout de suite. Mais mes parents étaient des gens très libéraux et très ouverts, et pour eux, leur foi ne s’exprimait pas en termes de politique conservatrice. Donc, de ce côté-là, je conteste. Bon, ensuite, c’était la guerre. Et si j’ai été candidat et quand j’ai été candidat en 1946, c’était au titre d’un petit parti qui s’appelait l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance. Il y a déjà beaucoup d’éléments qu’on retrouve aujourd’hui.
(Musique)
Journaliste 1
Président d’une association d’entraides aux prisonniers, résistant mais non gaulliste, licencié en droit, ès lettres, Sciences Po, il entame une carrière brillante sous la Quatrième République dont il sera le plus jeune parmi les ministres. Aux Anciens Combattants, à la Justice, à l’Intérieur, à la France d’Outremer notamment. Politiquement, les positions classiques de la majorité des socialistes de l’époque, mais ça va changer.
(Musique)
François Mitterrand
J’ai toujours appartenu à des gouvernements où se trouvaient les socialistes. Et il n’y a pas une seule grande loi économique sociale ou politique que je n’ai votée avec la Gauche. J’avais la charge de l’Afrique Noire, j’ai vu l’évolution de l’Indochine, puis celle de l’Algérie et j’ai compris qu’il n’y avait aucun effort individuel capable de dominer la situation, de réformer, d’engager la France dans une direction différente tant qu’on ne s’attaquerait pas aux structures. Et les structures, c’était celles du capitalisme dont le colonialisme n’est qu’un aspect.
(Musique)
Journaliste 1
De Gaulle, 1958, il refuse l’investiture, la Constitution. Le tournant va s’accentuer, un nouveau Mitterrand est en train de naître.
François Mitterrand
J’ai compris le même phénomène en 1958, lorsque j’ai vu les maîtres du pouvoir de la Quatrième République au fond, rejoindre très aisément les maîtres prochains de la Cinquième car ils étaient du même groupe social. Et ils étaient objectivement complices, alliés. Contre qui, eh bien, contre cette menace confuse de peuple, de peuple en mouvement.