Le village de Villard Reculas
Notice
Le reportage présente le village de Villard Reculas qui connaît de nombreuses difficultés en cas d'importantes chutes de neige ou de tempêtes : les routes sont fermées, les téléskis de la station voisine ne fonctionnent plus, et les habitants se retrouvent isolés dans le village. Le ravitaillement est fait par les CRS de haute montagne. A la fin du 19ème siècle, le village comptait plus de 200 habitants, alors qu'en 1971, il n'en comptait que 17. Commerces et écoles sont désertés.
- Europe > France > Rhône-Alpes > Isère > Villard Reculas
Éclairage
Cette série Vivre au présent diffusée entre 1970 et 1973 appartient à ces collections documentaires comme A la découverte des Français ou Villes et villages qui visent à faire découvrir aux téléspectateurs des questions de société, dans un certain nombre de territoires, de métiers, de situations, toujours envisagées par le prisme de la modernité, motif culturel dominant. Dans ces années 1970, le décalage entre les villes et les territoires restés à l'écart de la modernisation est patent. Il est particulièrement marqué pour les territoires de montagne qui sont vus comme des espaces enclavés depuis que les routes et surtout le tourisme ont transformé certains d'entre eux. Les stations, notamment celles de la troisième génération (1) mais aussi celles qui se sont fortement urbanisées, sont la référence et montrées comme la solution pour le devenir de ces territoires. C'est le cas de l'Alpe d'Huez, parmi les plus anciennes stations hivernales (datant des années 20). Depuis les années 1960, elle connaît une nouvelle dynamique, incarnant la grande station « chic » du Dauphiné. En contrepoint, le village voisin de Villard Reculas symbolise ces territoires oubliés, restés apparemment loin de toutes les transformations à l'œuvre, avec des habitants qui vivent selon les modes ancestraux. Le message du reportage s'appuyant sur des extraits d'entretiens d'habitants est clair : l'avenir de Villard Reculas est posé en termes de survie, ce que les chiffres du recensement ne font que confirmer : environ 18 habitants permanents à cette date, alors qu'ils étaient encore 80 avant la guerre (1939-1945) et que le village comprenait environ 180 personnes recensées tout au long du 19ème siècle.
Tout le reportage est construit pour étayer l'idée d'un village en train de mourir, oublié qu'il est par le reste de la société pourtant toute proche (la musique de la bande son accompagne cette idée par le choix des extraits nostalgiques) et parce qu'il n'a pas pu ou voulu prendre le « train de la modernité ». On retrouve tous les arguments qui correspondent à cette lecture de l'histoire. L'isolement est le premier motif. Le village est montré comme enchâssé dans une épaisse couche de neige qui empêche la circulation (la séquence au café désespérément vide, où personne ne vient) ; sans doute le reportage a-t-il été réalisé en hiver car installé sur un balcon sud au carrefour des vallées de l'eau d'Olle et de la Romanche, le village est plus vite délivré de la neige que sa voisine, Huez. Cette idée d'isolement est renforcée par une longue séquence où l'on voit un père et son jeune fils avancer avec difficulté, faisant la trace dans une épaisse couche de neige, et dans une tempête qui rajoute au dramatique, au danger et aux difficultés. La circulation se fait à pied, (séquence des femmes qui vont chercher le pain à pied dans la neige, pain qui leur est apporté par les gendarmes du PGHM, entérinant le motif de la solidarité des exclus) en l'absence d'une route carrossable, selon ce qui est affirmé. Pourtant si jusqu'à la fin du 19ème siècle le village comme ceux situés à la même altitude (Huez, La Garde) ne sont reliés au Bourg d'Oisans que par un chemin muletier, une route carrossable est construite dans les premières années du 20ème. En réalité, le village est isolé en raison de l'absence de déneigement hivernal, bloquant toute circulation automobile, ce qui paraît inadapté dans les années 70. Autre motif pointé : l'âge des habitants. Les témoins enregistrés correspondent à cette vision d'un village aux maisons aussi anciennes que ses habitants. Pourtant à bien regarder, et dans les propos tenus et dans les quelques signes presque imperceptibles, ce village ne correspond pas totalement au nom qui le stigmatise : réfrigérateur dans le café par ailleurs fort achalandé malgré ses tables en bois, tenues des habitants adaptées à l'hiver et à la pratique du ski. Un couple de jeunes, installé au village et désireux d'y rester, aborde la difficulté de circulation pour que leurs enfants rejoignent l'école 10 kilomètres plus bas dans la vallée en hiver, confirmant le motif principal du reportage. On ne comprend d'ailleurs pas à la seule vision de ce dernier que la remontée mécanique qui est filmée et qui fait le lien avec Huez et la station située au–dessus est un équipement de la commune depuis 1946. De même, la question sur la faiblesse des ressources et les difficultés de vie ne reçoit qu'une réponse évasive : incompréhension ou méfiance ?
Au final ce reportage fixe un des archétypes des territoires de montagne évoqué en début de notice - l'enclavement, toujours décrit du point des urbains et associé au retard. Le second reportage (visible sur Ina.fr) vise lui à montrer les solutions que les habitants moins archaïques qu'il n'y paraît ont su prendre pour sauver leur village. Effectivement, Villard Reculas s'est relié de manière plus directe encore au grand domaine d'Huez, gardant toutefois son caractère de station village, complémentaire de la grande station urbanisée et qui lui a rendu son attractivité. La population permanente atteint actuellement 80 personnes.
(1) Alors qu'il est directeur du SEATM, service d'Études et Aménagement Touristique en Montagne, Georges Cumin a établi une typologie des stations distinguant initialement 3 générations : la première génération de stations (dont Méribel, Alpe d'Huez) est construite dans et autour de villages existants ; la deuxième génération, avec l'exemple emblématique de Courchevel en Savoie, met en relief les prémices de la station rationnelle et fonctionnelle ainsi que le rôle central de la collectivité et une réflexion en termes d'aménagement ; la troisième génération, celle des stations dites intégrées, avec les Arcs, la Plagne, vise à une station rationnelle et fonctionnelle pour les touristes, avec des immeubles localisés en bord de domaines skiables. A posteriori, une quatrième génération sera rajoutée à cette typologie : des stations à l'image de Valmorel, situées à moindre haute altitude, de moins grande taille et visant à une meilleure intégration dans l'environnement naturel.
Pour aller plus loin :
- Allix André, Robert-Muller Charles (2009 - réédition de 1925) Les colporteurs de l'Oisans. Presses Universitaires de Grenoble : collection l'Empreinte du temps.
- Canac Roger (2002) Ces demoiselles au tableau noir, souvenirs d'institutrices, (1913-1968). Presses Universitaires de Grenoble : collection l'Empreinte du temps.
- Voir une autre série qui aborde ces mêmes questions et à la même époque pour la station d'Albiez en Maurienne : Krier Jacques (1973) Mais où sont les neiges d'antan. In : A la découverte des Français. Disponible sur http://www.ina.fr/video/CPF86600770.