Le village de Villard Reculas

06 avril 1971
07m 43s
Réf. 00085

Notice

Résumé :

Le reportage présente le village de Villard Reculas qui connaît de nombreuses difficultés en cas d'importantes chutes de neige ou de tempêtes : les routes sont fermées, les téléskis de la station voisine ne fonctionnent plus, et les habitants se retrouvent isolés dans le village. Le ravitaillement est fait par les CRS de haute montagne. A la fin du 19ème siècle, le village comptait plus de 200 habitants, alors qu'en 1971, il n'en comptait que 17. Commerces et écoles sont désertés.

Type de média :
Date de diffusion :
06 avril 1971
Source :

Éclairage

Cette série Vivre au présent diffusée entre 1970 et 1973 appartient à ces collections documentaires comme A la découverte des Français ou Villes et villages qui visent à faire découvrir aux téléspectateurs des questions de société, dans un certain nombre de territoires, de métiers, de situations, toujours envisagées par le prisme de la modernité, motif culturel dominant. Dans ces années 1970, le décalage entre les villes et les territoires restés à l'écart de la modernisation est patent. Il est particulièrement marqué pour les territoires de montagne qui sont vus comme des espaces enclavés depuis que les routes et surtout le tourisme ont transformé certains d'entre eux. Les stations, notamment celles de la troisième génération (1) mais aussi celles qui se sont fortement urbanisées, sont la référence et montrées comme la solution pour le devenir de ces territoires. C'est le cas de l'Alpe d'Huez, parmi les plus anciennes stations hivernales (datant des années 20). Depuis les années 1960, elle connaît une nouvelle dynamique, incarnant la grande station « chic » du Dauphiné. En contrepoint, le village voisin de Villard Reculas symbolise ces territoires oubliés, restés apparemment loin de toutes les transformations à l'œuvre, avec des habitants qui vivent selon les modes ancestraux. Le message du reportage s'appuyant sur des extraits d'entretiens d'habitants est clair : l'avenir de Villard Reculas est posé en termes de survie, ce que les chiffres du recensement ne font que confirmer : environ 18 habitants permanents à cette date, alors qu'ils étaient encore 80 avant la guerre (1939-1945) et que le village comprenait environ 180 personnes recensées tout au long du 19ème siècle.

Tout le reportage est construit pour étayer l'idée d'un village en train de mourir, oublié qu'il est par le reste de la société pourtant toute proche (la musique de la bande son accompagne cette idée par le choix des extraits nostalgiques) et parce qu'il n'a pas pu ou voulu prendre le « train de la modernité ». On retrouve tous les arguments qui correspondent à cette lecture de l'histoire. L'isolement est le premier motif. Le village est montré comme enchâssé dans une épaisse couche de neige qui empêche la circulation (la séquence au café désespérément vide, où personne ne vient) ; sans doute le reportage a-t-il été réalisé en hiver car installé sur un balcon sud au carrefour des vallées de l'eau d'Olle et de la Romanche, le village est plus vite délivré de la neige que sa voisine, Huez. Cette idée d'isolement est renforcée par une longue séquence où l'on voit un père et son jeune fils avancer avec difficulté, faisant la trace dans une épaisse couche de neige, et dans une tempête qui rajoute au dramatique, au danger et aux difficultés. La circulation se fait à pied, (séquence des femmes qui vont chercher le pain à pied dans la neige, pain qui leur est apporté par les gendarmes du PGHM, entérinant le motif de la solidarité des exclus) en l'absence d'une route carrossable, selon ce qui est affirmé. Pourtant si jusqu'à la fin du 19ème siècle le village comme ceux situés à la même altitude (Huez, La Garde) ne sont reliés au Bourg d'Oisans que par un chemin muletier, une route carrossable est construite dans les premières années du 20ème. En réalité, le village est isolé en raison de l'absence de déneigement hivernal, bloquant toute circulation automobile, ce qui paraît inadapté dans les années 70. Autre motif pointé : l'âge des habitants. Les témoins enregistrés correspondent à cette vision d'un village aux maisons aussi anciennes que ses habitants. Pourtant à bien regarder, et dans les propos tenus et dans les quelques signes presque imperceptibles, ce village ne correspond pas totalement au nom qui le stigmatise : réfrigérateur dans le café par ailleurs fort achalandé malgré ses tables en bois, tenues des habitants adaptées à l'hiver et à la pratique du ski. Un couple de jeunes, installé au village et désireux d'y rester, aborde la difficulté de circulation pour que leurs enfants rejoignent l'école 10 kilomètres plus bas dans la vallée en hiver, confirmant le motif principal du reportage. On ne comprend d'ailleurs pas à la seule vision de ce dernier que la remontée mécanique qui est filmée et qui fait le lien avec Huez et la station située au–dessus est un équipement de la commune depuis 1946. De même, la question sur la faiblesse des ressources et les difficultés de vie ne reçoit qu'une réponse évasive : incompréhension ou méfiance ?

Au final ce reportage fixe un des archétypes des territoires de montagne évoqué en début de notice - l'enclavement, toujours décrit du point des urbains et associé au retard. Le second reportage (visible sur Ina.fr) vise lui à montrer les solutions que les habitants moins archaïques qu'il n'y paraît ont su prendre pour sauver leur village. Effectivement, Villard Reculas s'est relié de manière plus directe encore au grand domaine d'Huez, gardant toutefois son caractère de station village, complémentaire de la grande station urbanisée et qui lui a rendu son attractivité. La population permanente atteint actuellement 80 personnes.

(1) Alors qu'il est directeur du SEATM, service d'Études et Aménagement Touristique en Montagne, Georges Cumin a établi une typologie des stations distinguant initialement 3 générations : la première génération de stations (dont Méribel, Alpe d'Huez) est construite dans et autour de villages existants ; la deuxième génération, avec l'exemple emblématique de Courchevel en Savoie, met en relief les prémices de la station rationnelle et fonctionnelle ainsi que le rôle central de la collectivité et une réflexion en termes d'aménagement ; la troisième génération, celle des stations dites intégrées, avec les Arcs, la Plagne, vise à une station rationnelle et fonctionnelle pour les touristes, avec des immeubles localisés en bord de domaines skiables. A posteriori, une quatrième génération sera rajoutée à cette typologie : des stations à l'image de Valmorel, situées à moindre haute altitude, de moins grande taille et visant à une meilleure intégration dans l'environnement naturel.

Pour aller plus loin :

- Allix André, Robert-Muller Charles (2009 - réédition de 1925) Les colporteurs de l'Oisans. Presses Universitaires de Grenoble : collection l'Empreinte du temps.

- Canac Roger (2002) Ces demoiselles au tableau noir, souvenirs d'institutrices, (1913-1968). Presses Universitaires de Grenoble : collection l'Empreinte du temps.

- Voir une autre série qui aborde ces mêmes questions et à la même époque pour la station d'Albiez en Maurienne : Krier Jacques (1973) Mais où sont les neiges d'antan. In : A la découverte des Français. Disponible sur http://www.ina.fr/video/CPF86600770.

- La suite du reportage sur Villard Reculas

Anne-Marie Granet-Abisset

Transcription

(Musique)
Journaliste
A quelques centaines de mètres, en contrebas de la station d’Alpe d’Huez et sous les regards indifférents des skieurs, un petit village.
(Musique)
Journaliste
Son nom, Villard Reculas en dit plus qu’une longue histoire. Le passé, c’est le souvenir d’une certaine prospérité et pour l’ancien maire, Monsieur Chalvin, le présent se résume brièvement.
Monsieur Chalvin
Vous savez, on vit…, il ne faut pas dire qu’on vit dans ces villages-là, on végète !
Journaliste
On comptait plus de 200 habitants à la fin du siècle dernier. En 1971, on en recense 17. D’accès très difficile dès les premières neiges, Villard Reculas est mourant. Au centre du village, le petit café existe toujours, et si les tables sont bien entretenues, plus personne ne vient s’y asseoir.
(Musique)
Journaliste
Alors hier, c’était dimanche, vous n’avez pas, vous avez eu des clients ?
Inconnue 1
Oui, pas un, je n’ai pas vu un client.
Journaliste
Et c’est toujours comme ça ?
Inconnue 1
C’est toujours comme ça, je reste des mois sans voir un client.
Journaliste
Alors, ça doit vous poser des problèmes ça, comment arrivez-vous à vivre ?
Inconnue 1
Eh ben, je vis, mon mari est, a d’abord une pension et puis il est retraité. Alors, on est avec sa petite retraite, on vit quand même.
Journaliste
Et ça représente une charge, ce café, quand même ?
Inconnue 1
Eh ben, bien sûr que ça représente une charge, mais on a toujours tenu à cause que mon mari, il a des enfants et on a une grande distance, alors, à cause de notre grande distance, on tient pour nos enfants.
Journaliste
Hum hum. Et ça vous coûte cher ?
Inconnue 1
Ben, bien sûr que ça nous coûte cher !
Journaliste
Et si on vous disait, demain il faut quitter le village !
Inconnue 1
Ben, si on me disait demain vous le quittez, moi je dirai que je ne le quitte pas, je reste là, tant pis. Je fermerai mon café, mais je reste là.
(Musique)
Journaliste
On ne voit plus de jeune à Villard Reculas. Il y a quelques années, devant l’insuffisance du nombre des élèves, on décida de fermer l’école. Pour ceux qui restèrent, l’absence d’une route praticable en hiver posa de nombreux problèmes.
Inconnue 2
La route n’était jamais ouverte, et que les enfants étaient obligés d’aller au téléski du Villard, de prendre le signal, de descendre sur les télésièges pour prendre le car à l’Alpe et descendre au bout, à ce moment-là, ils allaient au bout.
Journaliste
Donc, ce n’est pas toujours possible quand il fait mauvais.
Inconnue 2
Oh, puis il y a des fois que c’est tout fermé. Quand il y a des tempêtes, tous les téléskis sont fermés. Alors ils sont, ils restent là et puis après, l’école nous envoie un mot, il y a trois absences, ils ne rendent pas compte. Mes enfants, ils en ont vu, hein, ils ont eu des fois les mains gelées et tout, hein ! Des fois, c’est l’armée qui les faisait traverser, tous les gars qui restaient au Villard, par-là, c’est l’armée qui les faisait traverser parce que ils se seraient perdus, ou ils seraient morts de froid, quoi, dans la tourmente ! Alors, pour aller à l’école hein, ben c’était une drôle d’histoire, et je m’en rappelle vraiment.
(Musique)
Journaliste
La route, la voici, elle est inutilisable en hiver et dangereuse.
(Musique)
Journaliste
Pour le ravitaillement, une seule solution, rejoindre à pied le départ d’un téléski, seul lien avec la station située plus haut.
(Musique)
Journaliste
Quant aux vivres, ils sont acheminés bénévolement par des CRS de haute montagne.
(Musique)
Inconnu 1
Voilà le pain.
Inconnue 3
Vous n’avez pas de courrier ?
Inconnu 1
Le courrier, on l’aura seulement ce soir.
Inconnue 3
Ah oui, alors d’accord !
Inconnu 1
Il n’est pas encore arrivé.
Inconnue 3
Oui, c’est bon, merci, tiens !
Inconnu 1
C’est bénévole hein, de notre part donc euh….
Inconnue 3
Ah oui !
Inconnu 1
En ce moment, on descend ça, puis, vous…, voilà. On aurait vu de l’Alpe d’Huez, quand vous descendez, quand….
Inconnue 3
Oui, oh !
Inconnu 1
C’est l’occasion de remonter !
Inconnue 3
Oui, c’est ça, oui ! Dommage, je n’ai que ce rôle !
(Musique)
Journaliste
Ces conditions de vie déjà dures sont aggravées lorsque les éléments se déchaînent. Les tempêtes de haute montagne n’ont rien à envier aux tempêtes de l’océan.
Inconnu 2
La tempête pour nous, c’est dramatique. Les éléments se déchaînent, le vent, le brouillard, la neige. C’est très important parce que, et c’est un paradoxe parce que, à quelques minutes d’une station, de l’Alpe d’Huez en particulier, à quelques minutes et même à portée de voix de la vallée, aussitôt que la tempête se déclenche, dans notre village, nous sommes isolés de tout, c’est terminé, tout devient un problème. La moindre marche est très difficile, on est aveuglé. On peut se perdre en 100 mètres dans un passage qu’on, où on vient tous les jours.
Inconnue 4
On ne peut plus se rendre, par exemple, à l’Alpe d’Huez, c’est impossible. Et les téléskis ne fonctionnent plus, les chenillettes ne peuvent pas venir, elles se perdent dans le brouillard bien sûr, et s’il y a trop épais de neige aussi, elles ne peuvent pas venir. Et donc, aucune relation n’est possible.
Inconnu 2
J’ai souvent posé la question aux autorités compétentes hein à nos matières, et souvent, on vous croit à peine quand on évoque une tempête. Et alors on vous dit, ne vous en faites pas, s’il y a quoi que ce soit, on vous enverra l’hélicoptère. Vous avez les téléskis, vous avez les chenillettes, les CRS sont là, l’armée aussi, tout ça ! Tout ça, c’est du baratin, ça n’existe pas. S’il y a la tempête il n’y a rien qui existe, rien, rien, même pas le téléphone quelquefois.
Inconnue 4
Oui puisqu’on a un poste radio.
Inconnu 2
Puisqu’on a demandé un poste de radio…
Inconnue 4
En liaison avec la gendarmerie.
Inconnu 2
La gendarmerie de Bourg d’Oisans, voilà ! C’est pour ça, on n’a pas le droit d’être malade, on n’a pas le droit de se blesser s’il y a une tempête, c’est interdit. Pourtant, je suis à quelques minutes d’une station et du XXème siècle et du XXIème bientôt, hein, et qu’il y a tous les moyens pour se défendre.
(Musique)
Inconnue 1
Alors c’est bien quand même honteux de nous voir, un pays qui meurt là et puis pendant qu’il y a un autre pays à côté qui travaille, ce n’est pas juste.
Inconnue 4
Il est valable ce village puisqu’il y a déjà un domaine skiable.
Journaliste
Donc il est valable.
Inconnue 4
Oui !
Inconnu 2
Bien sûr !
Inconnue 4
Bien sûr, s’il faut parler économie, économiquement, il est valable, tout à fait !
Inconnu 2
Et d’abord il suscite assez la convoitise, on s’en est rendus compte ces derniers temps.
Journaliste
Alors donc, vous préconisez que ce soit les habitants eux-mêmes qui le sauvent.
Inconnu 2
Ah ben parfaitement.
Monsieur Chalvin
Mon village, où on n’est même pas satellite de l’Alpe d’Huez, c’est un village à part entière qui demande à se développer tout seul, voilà !
(Musique)
Journaliste
Se défendre, oui, la mort du village n’est pas inéluctable et nous verrons que Villard Reculas ne manque pas d’atouts pour prendre son avenir en main.
(Musique)