Les goûters en alpage à Châtel
Notice
Le village de Châtel, en Haute-Savoie, organise des goûters en alpage lors desquels les vacanciers, souvent venus de la ville, peuvent découvrir des produits locaux (fromage, miel, charcuterie, etc.). C'est aussi l'occasion pour eux de découvrir la vie à la campagne, et pour les montagnards d'expliquer leur mode de vie, les traditions.
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Éclairage
Au journal rhônalpin du soir, FR3 diffuse un reportage sur une pratique nouvelle « les goûters en alpage » alliant caractère économique et patrimonial. Le reportage se déroule à Châtel, une station haut-savoyarde du Chablais (Val d'Abondance), située à 1200 m et frontalière avec le Valais suisse. Depuis le début des années 70, cette station de moyenne altitude connaît un développement rapide et important de ses installations pour le ski après avoir été une station estivale familiale se différenciant de ses deux voisines, Thonon et Evian. Elle a signé en 1975 la convention lui permettant de rejoindre le domaine franco suisse des Portes du Soleil devenu depuis les années 80 une des plus grandes stations alpines. En collaborant à cette initiative, la famille à laquelle le reportage est consacré ne se contente pas d'adapter la mise en valeur économique de sa production mais lui confère un caractère patrimonial dans une période où s'affirme cette dimension, particulièrement dans le monde rural et alpin. A cette même époque par exemple, l'association Paysalp développe le « musée paysan » de Viuz en Sallaz, non loin de Châtel.
Le reportage suit pas à pas la sortie organisée par un accompagnateur pour le compte de l'office du tourisme. On apprend plus tard dans le reportage que ces visites en alpage datent de quelques années : sortie familiale sur un sentier de randonnée accessible qui gagne un chalet d'alpages caractéristique où même le chien basset (tenu en laisse) accompagne ce groupe de touristes aux âges variés dont l'accent et les tenues révèlent l'extériorité à la région. Cette sortie est qualifiée d'écologique et de gastronomique par le journaliste, en phase avec les tendances en cours mais elle est aussi un réel apport financier pour les agriculteurs qui participent à cet accueil d'un genre nouveau, dans l'esprit des accueils à la ferme et des gîtes auberges alors en plein développement. Devant le chalet, une table a été dressée avec goût, qui offre à la dégustation l'ensemble des productions locales : fromages, (un fromage dit de chèvre le Serac (1) mais aussi la tome, fameux fromage d'Abondance - qui obtiendra son AOP en 1990), miel, confitures de myrtilles, saucissons. Poursuivant sa mission pédagogique (apprendre aux touristes la montagne et le mode de vie de ses habitants), le guide commente la fabrication, avec quelques compléments apportés de manière timide par l'agricultrice. Cette dame en tablier fleuri explique qu'elle se sent plus à l'aise pour accueillir des touristes, faisant devant eux et devant la caméra les quelques gestes attendus évoquant la fabrication des productions locales, alors qu'une femme beaucoup plus jeune et dans une tenue analogue à celle des vacanciers assure l'intendance. Si les questions ressemblent à celles que posent les touristes : le miel est-il d'ici ? et la plaisanterie du guide sur la production de l'année suivante que les touristes voient encore sur pied (le cochon) suscitant quelques rires de connivence, le sommet de cette reconstitution à l'usage d'un public captif tient dans le chant d'un homme âgé, portant béret et chemise à carreaux. Celui-ci entonne visiblement pour le « spectacle » avec une voix un peu tremblante un chant nostalgique du début du siècle (XXème). Ainsi les touristes ont-ils l'impression, lors de cette séquence qui leur est proposée, de redécouvrir les montagnes « comme il y a 50 ans ». Le journaliste insiste sur le rapprochement entre touristes et habitants que permettent ces initiatives, mais la caméra ne montre pas les vaches pourtant essentielles dans l'activité agropastorale, ressource de ces territoires. L'élevage ne semble être là que pour l'accueil du touriste et non plus se réaliser dans ce chalet d'alpage : une patrimonialisation (2) en cours d'un mode de vie mais un apport économique bien réel pour les producteurs et pour la commune, que le sourire de l'homme âgé qui a rempli son rôle, suggère !
(1) En réalité, ce que d'ailleurs la propriétaire du chalet rectifie, il s'agit d'un fromage maigre, réalisé avec le petit lait ou lactosérum de vache, partie résiduelle issue de la production des fromages « nobles » comme les gruyères et autres fromages à pâtes cuites. Appelé également fromage du « pauvre », il était consommé par les familles locales qui réservaient pour la vente les productions « nobles ».
(2) Voir le parcours dédié sur le patrimoine. A la différence du patrimoine qui concerne les éléments naturels et culturels, ayant une valeur culturelle, politique, économique ou symbolique, qui sont transmis aux générations suivantes pour permettre la continuité de la vie et de la société, suggérant évolution et modification, la patrimonialisation est un processus qui tend à figer et fixer à un moment donné un élément pour qu'il soit conservé comme référence d'un mode de vie, de pensée, de culture, selon les critères socio-politiques de ceux qui l'érigent en objet patrimonial. A partir des années 70, l'engouement pour le patrimoine dans toutes ses dimensions tend à considérer que tout doit être « gardé » et la patrimonialisation semble être une caractéristique des sociétés occidentales actuelles.