Les difficultés des petits commerces dans les Hautes Alpes
Notice
Le reportage traite des petits commerces dans les Hautes Alpes, qui ont du mal à subsister. A Noyer, seul le bar fonctionne encore, mais le couple de gérant ne fait aucun bénéfice. En 20 ans, à Villar d'Arène, plusieurs commerces ont fermé. Une supérette est toujours ouverte mais les bénéfices sont moindres. Pour faire vivre son village, le maire de Lardier quant à lui a décidé de faire de la salle pour tous un lieu de réunion, d'échange.
Éclairage
Les petits commerces ont longtemps été vus comme des « entreprises traditionnelles » et de fait présentés comme archaïques en raison de leur petite taille et de leur structure familiale. Tournant historiographique, les années 1990 jettent un nouveau regard sur les petites structures. « Innovateur et flexible (...), le petit patron vient incarner le véritable « esprit d'entreprise » » . Ce reportage de France 3 Marseille du 28 juin 1992 montre que ce regard neuf posé sur les petits commerces est aussi celui des médias. Les petits commerçants y sont présentés comme la planche de salut de la « vie au village ». Trois petites communes rurales montagnardes de moins de 300 habitants – Noyer-sur-Champsaur, Villar d'Arêne au pied de la Meije et Lardier plus au sud du département des Hautes Alpes sont choisies comme champ d'investigation. Elles auraient, depuis le XIXe siècle, perdu des habitants en raison de l'exode rural, et en regagneraient depuis les années 1980 grâce au tourisme.
Mais ce n'est pas cette dimension qu'interroge la journaliste Gabrielle Bricet. Elle examine le risque que courent ces villages en perdant des commerces, « essentiels à (leur) vie quotidienne » de perdre leur « âme ». Ces « lieu(x) de rencontre, lieu(x) de dialogue » sont mis en scène tout au long du reportage. Les premières images nous montrent ainsi les clients d'un bar avec leurs trognes burinées, leurs bérets, leur ballon de rouge, leurs jeux de cartes ou encore la fameuse pétanque. Ces différents indices qui ouvrent et ferment le reportage disent davantage ce qu'est ou ce que doit être la vie au village à travers un point de vue somme toute très citadin. Il faut ainsi privilégier le « contact humain », la « convivialité » à travers des loisirs très traditionnels car « sinon, les gens se réunissent plus, c'est terminé. Avant ils faisaient encore des veillées le soir, c'est fini, chacun reste chez soi ». Nous ne pouvons qu'être frappés ici par la récurrence des discours. Dans Le village à l'heure de la télévision dans les années 1970, le sociologue Jean-Pierre Corbeau montrait déjà que les nostalgiques de la veillée, qui exprimaient leur rancœur contre la télévision, étaient les jeunes du village qui ne l'avaient jamais connue mais évoquaient « les veillées où tout le monde venait ; les vieux racontaient des histoires pendant qu'on cassait des noix. Certains jouaient aux cartes, d'autres discutaient ». Exception faite de l'expérience de la commune de Lardier, les images du bar de l'Arrêt à Noyer laissent penser qu'en dehors du gérant et de sa famille, les personnes âgées sont les plus nombreuses à assurer l'animation du village.
Si le petit commerce doit permettre de maintenir la vie au village et si ses difficultés sont réelles, le discours sur son déclin à la télévision n'est pas nouveau. Le 4 décembre 1959, un reportage de Cinq colonnes à la Une sur « l'expérience Leclerc à Landerneau » présente la chute des petits commerces comme inéluctable tandis qu'on s'apitoie sur le sort d'une famille de petits commerçants voués à la disparition. Ici, le discours sur la modernisation est pratiquement absent – même si le commerçant de Villar d'Arêne a su justement « se moderniser ». On retrouve cependant un discours sur la disparition programmée du petit commerce, qui serait ici accentuée du fait des mortes saisons liées à l'activité touristique comme le signale le gérant du bar de Noyer. Il est pourtant frappant de constater que ce petit commerce familial – le gérant de « l'épicerie » est filmé avec sa femme, même si elle n'intervient jamais –, se maintient, est soutenu par les pouvoirs publics et sait justement se moderniser. Au-delà, le reportage s'achève sur une note positive : le bar mis en place par la mairie de Lardier célèbre opportunément la lutte des élus locaux pour sauver l'âme de leur village.
Bibliographie :
- Corbeau Jean-Pierre (1978) Le village à l'heure de la télé. Paris.
- Zalc Claire (2012) Les petits patrons en France au 20e siècle ou les atouts du flou. In : Vingtième Siècle, n°114, p.53-66.