Les vacances des agriculteurs
21 juillet 1970
04m 21s
Réf. 00044
Notice
Résumé :
A la fête du village de Saint-Révérend, les agriculteurs expliquent qu'ils ne prennent pas de vacances, faute de temps, du fait de la polyculture. Les solutions, telle l'aide de voisins ou le remplacement par un membre de la fédération, ne leur conviennent pas mais le principe de l'échange de fermes, le temps de quelques jours, leur siérait.
Date de diffusion :
21 juillet 1970
Source :
ORTF
(Collection:
Télé Villages
)
Thèmes :
Lieux :
Éclairage
En 1962, lorsque le sociologue Joffre Dumazetier publie Vers une civilisation du loisir ? aux éditions du Seuil, il explique que depuis les débuts de la Révolution industrielle marqués par l’accaparement de l’individu par la valeur-travail, la société a évolué. Avec l’ère des masses qui caractérise la société occidentale moderne du XXe siècle, les décideurs et faiseurs d’opinion (les policy and opinion makers des Anglo-Saxons) de toutes sortes n’ont pas suffisamment pris en compte l’importance du temps libre comme accélérateur de la croissance matérielle et nécessaire dérivatif à un travail exigeant toujours davantage de concentration. Ainsi que l’explique le sociologue, l’homo faber (l’homme-outil) moderne a besoin de se dédoubler en homo ludens (l’homme-loisir). L’urbanisation rapide, les déplacements pendulaires, la pointeuse calculant à la minute près le temps de travail de l’OS sur la chaîne de montage ou de la dactylo travaillant dans un pool de secrétaires, la course incessante à la possession de nouveaux objets vendus dans des grandes surfaces, sont autant de raisons qui conduisent le travailleur à vouloir rentabiliser son temps libre, à « profiter » de ses vacances en se rendant par exemple sur le littoral vendéen lors de ses congés payés.
C’est un véritable « choc culturel » que révèle le reportage tourné lors de la fête du village de Saint-Révérend au cours de l’été 1970. Dans cette petite commune située à seulement 8 km de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, les estivants du littoral venus des campings et pensions de famille pour partager durant quelques heures une ambiance champêtre traditionnelle avec la population locale découvrent une ambiance fort différente de celle de leur quotidien. On ne sait d’ailleurs s’il s’agit ici de touristes étrangers à la commune ou bien des enfants du pays partis travailler à Paris ou en région nantaise et revenus passer leurs vacances dans le berceau familial, mais ils incarnent cette nouvelle société des loisirs revendiquant sans honte son hédonisme, surtout dans les années post mai 1968.
Le contraste est d’autant plus saisissant avec les septuagénaires et octogénaires du village qui confessent n’avoir jamais pris de vacances et n’avoir jamais quitté la commune et ses environs. Les propos des « vieux » (adjectif commun et presque affectueux à l’époque) paysans locaux sont sans doute exagérés car la plupart de ces hommes ont effectué leur service militaire un demi-siècle ou soixante ans plus tôt au cours de l’entre-deux-guerres, ont fait la guerre de 1939-40 pour certains d’entre eux et se sont à coup sûr rendus au moins une fois dans leur existence à La Roche-sur-Yon, Nantes ou Angers. Dans son fameux ouvrage La fin des terroirs, la modernisation de la France rural 1870-1914 paru en 1983, le grand historien américain Eugen Weber a démontré que le grand décloisonnement des campagnes françaises par le chemin de fer d’intérêt local remonte aux premières décennies de la Troisième République avant le déclenchement de la Grande Guerre. Par conséquent, il est évident qu’en 1970, soit un siècle après l’ébranlement analysé par Eugen Weber, la convergence entre la société rurale et la société urbanisée dominante était largement entamée et les déclarations de l’ancienne génération paysanne attablée à la buvette de la fête de Saint-Révérend sont davantage à considérer comme une posture face à la caméra qu’une réalité objective. Sans doute doit-on voir dans cette attitude une forme de reproche adressé par les anciens à leurs enfants agriculteurs, accusés implicitement de ne pas se consacrer exclusivement aux exploitations qu’ils ont reçues en héritage en revendiquant du temps libre le week-end ou en acceptant d’échanger leur exploitation pour une quinzaine avec des agriculteurs d’autre régions pour se dépayser et nouer de nouvelles relations. Le contraste vestimentaire et d’attitude est d’ailleurs flagrant avec la jeune génération qui revendique le droit à pouvoir prendre des vacances et par delà à vivre une vie la plus proche possible de la société globale, débarrassée des vieux préjugés qui voudraient tenir les exploitants agricoles dans l’arriération culturelle.
C’est un véritable « choc culturel » que révèle le reportage tourné lors de la fête du village de Saint-Révérend au cours de l’été 1970. Dans cette petite commune située à seulement 8 km de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, les estivants du littoral venus des campings et pensions de famille pour partager durant quelques heures une ambiance champêtre traditionnelle avec la population locale découvrent une ambiance fort différente de celle de leur quotidien. On ne sait d’ailleurs s’il s’agit ici de touristes étrangers à la commune ou bien des enfants du pays partis travailler à Paris ou en région nantaise et revenus passer leurs vacances dans le berceau familial, mais ils incarnent cette nouvelle société des loisirs revendiquant sans honte son hédonisme, surtout dans les années post mai 1968.
Le contraste est d’autant plus saisissant avec les septuagénaires et octogénaires du village qui confessent n’avoir jamais pris de vacances et n’avoir jamais quitté la commune et ses environs. Les propos des « vieux » (adjectif commun et presque affectueux à l’époque) paysans locaux sont sans doute exagérés car la plupart de ces hommes ont effectué leur service militaire un demi-siècle ou soixante ans plus tôt au cours de l’entre-deux-guerres, ont fait la guerre de 1939-40 pour certains d’entre eux et se sont à coup sûr rendus au moins une fois dans leur existence à La Roche-sur-Yon, Nantes ou Angers. Dans son fameux ouvrage La fin des terroirs, la modernisation de la France rural 1870-1914 paru en 1983, le grand historien américain Eugen Weber a démontré que le grand décloisonnement des campagnes françaises par le chemin de fer d’intérêt local remonte aux premières décennies de la Troisième République avant le déclenchement de la Grande Guerre. Par conséquent, il est évident qu’en 1970, soit un siècle après l’ébranlement analysé par Eugen Weber, la convergence entre la société rurale et la société urbanisée dominante était largement entamée et les déclarations de l’ancienne génération paysanne attablée à la buvette de la fête de Saint-Révérend sont davantage à considérer comme une posture face à la caméra qu’une réalité objective. Sans doute doit-on voir dans cette attitude une forme de reproche adressé par les anciens à leurs enfants agriculteurs, accusés implicitement de ne pas se consacrer exclusivement aux exploitations qu’ils ont reçues en héritage en revendiquant du temps libre le week-end ou en acceptant d’échanger leur exploitation pour une quinzaine avec des agriculteurs d’autre régions pour se dépayser et nouer de nouvelles relations. Le contraste vestimentaire et d’attitude est d’ailleurs flagrant avec la jeune génération qui revendique le droit à pouvoir prendre des vacances et par delà à vivre une vie la plus proche possible de la société globale, débarrassée des vieux préjugés qui voudraient tenir les exploitants agricoles dans l’arriération culturelle.
Eric Kocher-Marboeuf