La pêche à la coquille Saint-Jacques

07 janvier 1970
05m 55s
Réf. 00212

Notice

Résumé :
Une journée de pêche à la coquille Saint-Jacques au large d'Aiguillon sur Mer, au milieu d'une flottille d'une dizaine de bateaux. Monsieur Chevalier, l'un des pêcheurs témoigne de la difficulté du métier. Ce jour-là, 120 kg sont ramenés au port.
Date de diffusion :
07 janvier 1970
Source :

Éclairage

Les petits ports du sud Vendée ont longtemps exploité les richesses d’un écosystème côtier riche à l’aide de bateaux artisanaux qui pratiquaient une pêche saisonnière et polyvalente. En 1970, la flottille attachée au port de L’Aiguillon comptait 21 unités, auxquelles il fallait ajouter 2 navires attachés l’un à Charron et l’autre à Saint-Martin de Ré. Les vasières de la baie de L’Aiguillon, l’estuaire de la Sèvre Niortaise et les riches fonds du pertuis Breton étaient les zones de pêche quasi exclusives de ces marins qui possédaient une connaissance intime des fonds, des courants, des espèces et des saisons.
La ressource étant rare l’hiver, parmi les espèces exploitables, la coquille Saint-Jacques permettait de négocier cette période délicate pour l’activité halieutique. Les techniques de pêche en vigueur en 1970 restent d’actualité. Les navires arrivés sur zone au lever du jour débutaient leur pêche dès le signal donné par les autorités maritimes qui en surveillent le déroulement. La coquille Saint-Jacques se développe sur des fonds de vase, de sable ou de roche, et c’est là qu’il faut aller la chercher à l’aide d’un outil spécifique : la drague.
Il s’agit d’une mâchoire ferrée ou râteau, de 2 mètres de large environ, qui racle le fond de la mer afin de remplir un récipient en fer grillagé, qui lui est associé. Le navire effectue une passée sur les bancs de coquilles et l’on remonte la drague à l’aide d’un treuil avant de la vider sur le pont du navire où les matelots effectuent le tri des déchets et des pêches indésirables et croisées, avant de les rejeter avec les juvéniles (coquilles hors taille marchande) à l’eau.
Encore aujourd’hui, cette pêche vendéenne et charentaise reste reconnaissable sur les étals des poissonniers dans la mesure où la coquille du Centre-ouest présente un « corail » orangé à côté de la noix de Saint-Jacques, à la différence des produits de la baie de Saint-Brieuc par exemple. Les premiers effets de la surpêche, avec la raréfaction de la ressource et la pression croissante des réglementations, étaient déjà présents en 1970. Le modèle social (et familial) de la pêche artisanale était alors en proie à de profondes mutations et la pêche artisanale était à la veille de crises et de restructurations annoncées dans l’interview du patron de pêche qui évoque déjà la concentration des entreprises et l’inflation réglementaire.
Thierry Sauzeau

Transcription

musique
(musique)
Journaliste
Mollusque bivalve du genre Pecten, pouvant nager en mer en refermant brusquement ses valves, et applaudissant à l’exploit du pêcheur lorsque celui-ci a eu la bonne fortune de le sortir de l’onde ; voilà qui dénote, qui révèle, c’est le moins qu’on puisse dire, chez la coquille Saint-Jacques un sens peu banal du fair-play et de la générosité dans le malheur. Et il faut croire que ce beau coquillage rose et nacré ait eu, depuis des temps immémoriaux, une destinée généreuse et une vocation pour les grandes et belles causes. Le nom de ce mollusque ne vient-il pas, en effet, de ce que les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, imités par ceux du Mont-Saint-Michel, en fixaient les coquilles à leur vêtement, symbole d’humilité et de piété, attribut du pèlerin comme la parabole est l’attribut de l’homme. On peut se demander pourquoi ces pèlerins avaient choisi ce coquillage comme symbole de leur pieuse pérégrination, la proximité de nos côtes et de leur chemin est certainement une des explications. L’élégance côtelée, une autre explication mais cependant, la plus vraisemblable de toutes reste que cette coquille offrait au voyageur affamé sa chair succulente et délicate. Autant de questions, autant de réponses que les marins pêcheurs de la Baie de l’Aiguillon, riches en coquilles Saint-Jacques lorsque le temps est doux, ne se posent pas. La seule question qui ne cesse de se poser pour eux, pour cette flottille de 23 bateaux, est de savoir combien de cagettes de 12 kilos l’on ramènera le soir au port. 23 bateaux dont l’un de l’Île de Ré et un du port de Charron qui, quelques heures avant le lever du jour, et chaque jour, glissent sur une mer d’encre vers les lieux de pêche. Pêchera-t-on dans la brèche, dans le sable, dans la vase, sur la roche, les colonies de coquillages seules en décideront. Et il faudra, pour cela, les déceler, quadriller, draguer les fonds de 7 à 40 mètres de profondeur par un froid piquant et une mer souvent difficile. Dur métier que celui de marin pêcheur, d’autant que le temps de pêche est limité et que la récolte de ce précieux animal qui doit mesurer au minimum 10 centimètres de large pour être commercialisé, est rarement abondante. Car combien de cailloux et de vases des fonds marins faut-il sortir à l’aide de ces râteaux de 2 mètres pour quelques kilos de ce délice, 2 ou 3 soles et quelques crabes ou araignées.
musique
(musique)
bruit
(bruit)
Journaliste
Votre journée, comment ça s’est passé ?
Monsieur Chevalier
Pas trop mal dans l’ensemble, enfin, on n’a pas pêché aussi bien qu’hier, quoi !
Journaliste
Hier, vous aviez fait combien ?
Monsieur Chevalier
173 kilos.
Journaliste
Et aujourd’hui…
Monsieur Chevalier
Aujourd’hui, 100, 110 kilos à peu près, quoi, on verra ça à la pesée mais à peu près, à deux cageots près, quoi ! On doit pas se tromper de beaucoup.
Journaliste
Oui, les coquilles de, les coquilles de la Baie de l’Aiguillon que vous pêchez de novembre à mars, je crois, c’est…
Monsieur Chevalier
Ben oui, c’est ça.
Journaliste
Sont assez particulières dans le sens que elles ont une qualité différente des autres, pêchées en Bretagne notamment, je crois.
Monsieur Chevalier
Ah oui, elles sont, elles sont meilleures, quoi. D’abord elles ont, elles ont du corail que les autres n’ont pas, c'est des coquilles blanches. Elles sontpeut-être un peu moins grosses mais enfin,
Journaliste
Aujourd’hui, pourtant, elles sont très grosses.
Monsieur Chevalier
Oui, aujourd’hui, elles sont très belles, oui.
Journaliste
Les coquilles que vous pêchez, comment sont-elles vendues, elles sont exportées, elles sont envoyées à Paris, elles sont… ?
Monsieur Chevalier
Sur Paris, beaucoup sur Paris, oui. Vers Nantes aussi d’ailleurs. C’est un mareyeur qui vient les chercher et puis il répartit ça aux petits mareyeurs après, vraiment de…
Journaliste
Monsieur Chevalier, vous m’aviez dit tout à l’heure que vous aviez 11 enfants,
Monsieur Chevalier
Oui, c’est ça.
Journaliste
C’est une belle famille de marins pêcheurs, je crois.
Monsieur Chevalier
Ah oui, il faut travailler pour les nourrir, hein !
Journaliste
Il faut travailler pour les nourrir, c’est un métier difficile que vous faites, et je crois que il n’y aura qu’un seul enfant qui fera votre métier.
Monsieur Chevalier
Oui, le plus vieux, oui, puisque les derniers, je ne pense pas qu’ils le fassent, il n'y a plus beaucoup d’avenir maintenant, hein !
Journaliste
Qu’est-ce qu’ils pensent de votre profession, à l’heure actuelle ?
Monsieur Chevalier
Ben, c’est à la demande des clients, hein, et ça, je ne sais pas ce que ça va donner dans l’avenir mais moi-même, avec les réglementations qu’il y a maintenant, hein, on est obligés de tenir les coudes serrés, quoi, hein, oui, oui. Il faut faire attention aux petits poissons…
Journaliste
Mais vous avez, par exemple, si je m’amuse à faire le calcul aujourd’hui, vous avez pêché donc une centaine de kilos de coquilles Saint-Jacques. Et on peut dire le chiffre, cela va vous rapporter quelques dizaines de milliers de Francs mais il y a quand même les frais du bateau, de gasoil, etc.
Monsieur Chevalier
Oui, il faut enlever, oui. Amortissement du matériel, alors ça ne fait pas beaucoup quand même, quoi ! Encore nous, ça va parce que le fils est avec moi, là, c’est à la maison, mais les bateaux qui ont un homme à payer ou deux hommes, certains, ça fait, ce n’est pas beaucoup, quoi !
Journaliste
Et pourtant, demain matin, vous prendrez la mer.
Monsieur Chevalier
Ah oui, il le faut, il le faut !
musique
(musique)
Journaliste
120 kilos, telle fut, alors que la nuit tombait, la moyenne de la pêche ce jour-là. Depuis, le froid a fait son apparition, les coquilles ont plongé, les bateaux restent au port et attendent les premiers rayons de soleil pour reprendre la mer. Oui, pénible et beau métier pourtant que celui des gens de la mer.
musique
(musique)
Présentatrice
Ainsi, on ne songe pas toujours, en dégustant la chair des coquilles Saint-Jacques, au travail qu’il a fallu aux marins pêcheurs pour les pêcher, pour les trouver dans la mer. Mesdames, mesdemoiselles et messieurs, notre émission est maintenant terminée, je vous souhaite une très agréable soirée, au revoir et à demain.