L'Ecole de Pont Aven

03 novembre 1978
09m 42s
Réf. 00227

Notice

Résumé :

L'Ecole de Pont Aven est un mouvement pictural du XIXe siècle, regroupant des peintres en rupture avec la société bourgeoise. Ainsi Gauguin, Emile Bernard, Sérusier, Filliger ont composé cette école qui a défini une préhistoire de l'art moderne.

Type de média :
Date de diffusion :
03 novembre 1978
Source :
TF1 (Collection: Expressions )

Éclairage

L'école de Pont Aven (Pont Aven est une ville du sud Finistère) regroupe des peintres et doit son nom aux séjours qu'ils ont passés dans cette ville, attirés par un paysage pittoresque, la mer, les rochers, l'Aven mais aussi la forêt et le bocage. Fuyant les salons parisiens, l'art bourgeois du XIXe siècle, les artistes vont particulièrement apprécier la qualité de vie en Bretagne et l'accueil chaleureux de Marie-Jeanne Gloanec dans son auberge à petits prix. "J'aime la Bretagne. J'y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j'entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture". C'est en 1886 que Paul Gauguin (1848-1903) y vient pour la première fois. Encore impressionniste à son arrivée, il propose rapidement une peinture libérée des contraintes d'imitation du réel et totalement novatrice. Après sa rencontre avec Emile Bernard, il peint en 1888 La vision du sermon ou Le combat de Jacob avec l'ange. Ce sera le point de départ de nouvelles recherches pour un groupe de peintres comme Paul Sérusier, Maurice Denis, Maxime Maufra, Emile Bernard.

En effet, après les impressionnistes, peintres de la perception immédiate, de la sensation visuelle, les artistes de Pont Aven vont faire de la toile un lieu de réflexion. Le tableau n'est plus ce qu'il est depuis la Renaissance, " une fenêtre ouverte sur le monde ", mais une surface qui accueille matière et couleur. Ainsi l'écrit Maurice Denis : " Se rappeler qu'un tableau avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs dans un certain ordre assemblé". Tout en gardant le motif, peignant les hommes, les paysages, les peintres de Pont Aven abolissent la perspective. Les formes sont simplifiées. Marqués par les estampes japonaises, ils affirment le plan de la toile par un cerne noir autour des masses colorées. Les couleurs sont franches, exacerbées et posées en aplat. On parle alors de synthétisme. Le tableau se détachant d'une représentation réaliste devient plus autonome.

Françoise Cocaud

Transcription

(Musique)
Journaliste
Ce double nom, à résonance franco bretonne, est inséparable du mot école. Ne dit-on pas : école de Pont-Aven ?
(Musique)
Journaliste
C'est un beau morceau d'histoire de la peinture dans lequel Gauguin et une poignée d'amis ont su donner couleur à la lumière bretonne du sud Finistère. Et il n'y a pas que cela. Cette école, par exemple, serait-elle aussi célèbre si elle n'avait pas été bretonne ?
René Le Bihan
Pour bien comprendre le mouvement de Pont-Aven, il faut d'abord le replacer dans un contexte infiniment plus large qui est le mouvement symboliste. Mouvement symboliste qui est le refus affirmé de tout le scientisme, de tout le modernisme, de tout le positivisme du XIXe siècle, idéologique ou conceptuel, mais qui est aussi le refus de la bourgeoisie triomphante, qui est le refus de la IIIe République, qui est le refus de l'art assuré, qui est le refus du salon.
(Musique)
Journaliste
Fuyant les contraintes d'une civilisation urbaine naissante, il y avait un exode des peintres vers la campagne. Mais pourquoi venaient-ils plus particulièrement à Pont-Aven ? Pour la lumière et le paysage ? Peut-être. Mais n'est-ce pas aussi parce qu'ils avaient entendu parler d'une patronne d'auberge, Marie-Jeanne Le Glouannec, qui consentait aux artistes un large crédit.
Yves-Marie Le Glouannec
Il est certain que mon arrière-grand-mère Marie-Jeanne tenait auberge à Pont-Aven, elle recevait beaucoup de peintres à cette époque-là, parmi les plus connus, évidemment Gauguin, mais elle a eu tous les autres, Filiger, Sérusier, Emile Bernard, qui venaient à notre auberge peut-être parce que la chère était bonne, parce que qu'ils ne payaient pas cher, ceci en dehors des qualités du paysage de Pont-Aven.
Journaliste
«Si je vends quelques tableaux, j'irai l'été prochain me mettre à l'auberge dans un trou de Bretagne, faire des tableaux et vivre économiquement. C'est encore en Bretagne qu'on vit le meilleur marché.»
René Le Bihan
Ils venaient pour une certaine facilité de vie et venaient aussi pour une espèce de sévérité, de mystère de ce pays breton, qu'ils retrouvaient assez facilement dans les traditions populaires, qu'ils retrouvaient aussi dans les pratiques religieuses, qu'ils retrouvaient dans la statuaire, le Calvaire de Nizon par exemple, le Christ jaune dans la petite chapelle de Trémalo.
Journaliste
«Vous êtes parisianistes, et à moi la campagne. J'aime la Bretagne, j'y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j'entends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture.»
(Musique)
Charles-Guy Le Paul
Lorsque Gauguin est arrivé pour la première fois à Pont-Aven en 1886, il se définissait lui-même comme un impressionniste, Et c'est absolument vrai, depuis 1872, date de sa première tentative de peinture, il était un impressionniste, élève de Pissarro. En 1886 donc, il est un impressionniste qui arrive à Pont-Aven, et il y retrouve un tas de peintres qui sont des peintres pompiers, très académiques, et qui le classent si vous voulez dans le camp des pestiférés, c'est-à-dire que pour eux, l'impressionnisme c'est une chose aberrante, si vous voulez. Donc déjà, en tant qu'impressionniste il est un révolutionnaire par rapport à la colonie artistique de Pont-Aven. Mais ce qui va être décisif dans l'évolution suivante, c'est sa rencontre avec Emile Bernard. Ils sympathisent, et de leurs discussions jaillissent une nouvelle conception de la peinture qui était en l'air depuis pas mal de temps, mais qui est l'antithèse même de l'impressionnisme, qui se veut une peinture de l'instant, eux vont rechercher à exprimer l'idée contenue dans les choses. Et à faire du tableau non plus un compte-rendu si vous voulez de paysage, mais à en faire un prétexte à idées.
Journaliste
«Se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblé.»
René Le Bihan
Quelle est la caractéristique première de l'école de Pont-Aven ? C'est l'espèce de disparition de la perspective au profit d'un aplanissement, d'un téléscopage des plans d'abord, ensuite le cerne des masses comme on les voit dans la campagne cernée de haies ou cernée de boqueteaux, comme on les voit aussi en fond de vallée par les rochers et les plages ou de sable ou de vase à l'entrée du port, Voilà la naissance du paysage moderne.
Journaliste
«Toutes les lignes revenaient à leur architecture géométrique, tous les tons aux couleurs type de la palette prismatique. Puisqu'il s'agissait de simplifier, il fallait retrouver l'origine de tout. Dans le soleil, les sept couleurs dont se compose la lumière blanche, dans la géométrie, les formes typiques de toutes les formes objectives. Tel fut mon synthétisme en 1888.»
René Le Bihan
Le synthétisme, qui résume bien cette tension du moment, qui était, par rapport à l'analyse que l'impressionnisme avait lancée dans le monde de l'art, le synthétisme c'était exactement le contraire, c'était la concentration, c'était revenir à l'imbrication des formes et à faire un tout cohérent tendu sur la toile. Le plus extraordinaire tableau sans doute peint à Pont-Aven, est la lutte de Jacob et de l'ange, c'est-à-dire la vision après le sermon. Ce tableau a été peint dans un élan immédiat par Gauguin, qui a été très conscient évidemment d'avoir fait un chef-d'oeuvre et qui a voulu marquer le coup en le portant à la paroisse de Nizon. Bien entendu, le curé l'a refusé, de la même manière que la belle Angèle a refusé son portrait. La population locale comprenait très mal l'audace que représentait cette nouvelle peinture et comprenait d'autant plus mal cette audace-là que les peintres étaient d'horribles facétieux qui passaient leurs nuits ou leurs soirées après boire, à peindre les poules, qui se déguisaient en moines pour chanter des chansons paillardes ou qui s'habillaient de blouses pour passer en jugement des employés ou des bonnes d'auberges un peu crédules.
(Musique)
Journaliste
De la fenêtre de son atelier, Gauguin sans doute rêvait déjà des terres plus lointaines et plus exotiques.
(Musique)
Journaliste
Lui parti, ses compagnons se dispersaient aux quatres coins du monde. Aujourd'hui, Pont-Aven n'est-il plus qu'un lieu de culte, où l'on honore le souvenir du grand génie et de ses disciples ? Trouve-t-on encore des peintres à Pont-Aven, et s'il en reste, que viennent-ils chercher dans ce coin de Bretagne ?
Marcel Gonzales
La lumière qui existait du temps de Gauguin est restée la même. Elle n'a pas été épuisée. Enfin les conditions sont toujours là. L'endroit m'a plu, mais enfin le paysage, je l'ai découvert bien après. Je l'ai approfondi beaucoup, bien après. Au début, c'était plutôt l'ambiance.
Journaliste
Quel genre d'ambiance ?
Marcel Gonzales
La sympathie, l'amitié des gens quoi, du pays. Enfin l'ambiance du pays qu'on ne peut pas rencontrer ailleurs.
Journaliste
Favorable pour la peinture ?
Marcel Gonzales
A trente kilomètres d'ici, c'est plus ça, quoi. Même disons à dix kilomètres quoi. On se trouve tout de suite ici, les gens sont, ils sont disons enchantés.
Journaliste
Vous croyez que le paysage favorise la peinture ?
Madeleine Guillerm
Le paysage favorise, écoutez il n'a pas changé beaucoup, vous savez le paysage. Maintenant je ne me promène plus beaucoup, Mais je retrouve dans l'oeuvre de Gauguin et je retrouve dans la nature les mêmes paysages, qui n'ont pas changé.
(Musique)
Journaliste
Finalement, que représente l'aventure de Pont-Aven dans l'évolution de la peinture ?
René Le Bihan
On peut dire véritablement qu'à Pont-Aven, ici, entre 1888 et 1894, s'est définie une sorte de préhistoire de l'art moderne.