Le dernier teilleur de lin

17 mai 1978
12m 05s
Réf. 00707

Notice

Résumé :

Il y a 20 ans encore, la culture de lin était répandue en Bretagne en particulier dans les Côtes-d'Armor. Dans ce département, on en a compté jusqu'à 130 teilleurs de lin. Rares sont maintenant les agriculteurs à le cultiver. Aujourd'hui, il n'en reste qu'un seul, François Moullec, à Saint Laurent de Begard. Tout proche de la retraite, il raconte son histoire et nous montre comment il travaille.

Type de média :
Date de diffusion :
17 mai 1978
Personnalité(s) :

Éclairage

Profondément implantée en Bretagne à partir du XVIème siècle, l'industrie toilière a fait la prospérité économique de la région. L'économie locale vit durant plusieurs siècles au rythme de la production artisanale des toiles de lin par les paysans-tisserands. Sur la bordure littorale, au favorable climat doux et humide, est cultivé un lin apprécié pour sa très bonne qualité. Les toiles de lin produites dans le Trégor sont alors reconnues comme les meilleures de toute la Bretagne. On peut citer notamment les « crées » qui firent la renommée du Léon au XVIIème siècle.

Après cet apogée, la toilerie bretonne traverse une période de mutations à partir du début du XIXème siècle. Le nouveau contexte technique et économique impose une profonde restructuration de l'activité et de nombreuses toileries manuelles bretonnes sont vouées à disparaître. Les producteurs de lin qui se maintiennent, particulièrement en pays Trégor et Goélo, ont recours à la mécanisation.

Le teillage est un savoir-faire à la rencontre de l'activité rurale et la production industrielle qui s'impose entre 1840 et 1860. Les producteurs de lin en combinent la culture avec l'activité mécanique de teillage au sein de véritables entreprises qui font travailler parfois des centaines d'ouvriers. On a recensé 130 entreprises de teillages vers 1860 dans la région. Le teillage hydraulique, alternative à la machine à vapeur, a rendu par ailleurs nécessaire la construction de moulins sur le Trieux ou le Léguer.

L'industrie toilière bretonne disparaît presque entièrement vers 1950. Au lendemain d'un siècle d'activité ancrée sur le territoire, les teilleurs de lin cessent progressivement leur production. François Moulec, le dernier d'entre eux, témoigne en 1978 de ce savoir-faire original, aux marges du secteur industriel, qui illustre la profonde adaptation économique des activités des paysans du Trégor.

Pauline Jehannin - CERHIO – Université de Rennes 2

Bibliographie :

ANDRIEUX, Jean-Yves, GIRAUDON, Daniel, Teilleurs de lin du Trégor, 1850-1950, Skol Vreizh, 1990.

Pauline Jehannin

Transcription

(Silence)
Journaliste
Le lin a fait, il n'y a pas encore si longtemps, la prospérité du Trégor. On en cultivait dans toutes les fermes et l'on a compté jusqu'à 130 teillages en Bretagne.
(Bruits)
Journaliste
Alors, monsieur Le Bail, le travail du lin, ça vous intéresse, je suppose ?
Monsieur Le Bail
Et depuis longtemps !
Journaliste
Depuis longtemps ?
Monsieur Le Bail
Depuis longtemps. Ca fait 25 ans que j'en tisse.
Journaliste
25 ans que vous êtes sur le métier ?
Monsieur Le Bail
Sur le métier, pas toujours ici, pas toujours sur ce métier-là, mais ça fait 25 ans que je tisse.
Journaliste
Et pourquoi ça vous intéresse à ce point-là ?
Monsieur Le Bail
C'est difficile à dire, il y a des choses qu'on aime, vers lesquelles on se sent attiré particulièrement, et je crois que le lin est une matière qui est... d'abord, elle est difficile à travailler, il y a donc une certaine difficulté avec, puis c'est sympathique, dans la fibre et puis dans le résultat.
Journaliste
Vous pouvez faire beaucoup de choses je suppose en lin ?
Monsieur Le Bail
Oui, on peut faire beaucoup de choses. Actuellement, on tisse surtout du linge de table en lin, on ne fait plus de vêtements. Autrefois, on faisait des vêtements, tout était en lin, les draps, les chemises. Aujourd'hui on fait surtout du linge de table.
Journaliste
Le lin, ça a été quelque chose de très important dans le passé, et même encore dans une certaine mesure aujourd'hui.
Monsieur Le Bail
Ah ! Dans le passé, ça a été une chose considérable. Ca touchait la culture, ça touchait l'artisanat, ça touchait le commerce, ça touchait la marine, toutes les voiles des bateaux étaient en lin. Et quand on pense au nombre de bateaux que nous avions en Bretagne, ça représente un nombre considérable de toiles.
Journaliste
Oui, le lin en Bretagne avait une importance encore peut-être plus grande que dans certaines autres régions ?
Monsieur Le Bail
Ah oui ! Certainement, d'abord parce que la terre se prêtait à la culture du lin. Ensuite, nous avions un lin de très très belle qualité, ce qui permettait de faire des toiles très fines qui étaient très appréciées. Et puis, je crois que c'était même la principale industrie bretonne en fait.
(Bruits)
Journaliste
C'est intéressant sur le plan des revenus, le lin ?
Agriculteur
Oui, c'est une plante disons plus sauvage, beaucoup plus sauvage que le maïs, beaucoup moins exigeant.
Journaliste
Vous avez mis combien de lins la dernière fois [inaudible] ici?
Agriculteur
Huit hectares et quelques ares.
Journaliste
Et depuis vous n'en avez pas mis ?
Agriculteur
Non, mais cette année, je crois, avec mon copain Moullec, on va encore s'y mettre puisque, il faudra mettre un peu de tout.
Journaliste
Vous êtes l'un des derniers à mettre du lin ici dans la région ?
Agriculteur
Oui.
Journaliste
Autrefois, tout le monde en mettait ?
Agriculteur
Oui, on est arrivé dans le... Ça évolue tellement avec le monde moderne et il n'y a plus que quelques anciens comme moi.
(Bruits)
Journaliste
Autrefois tout le lin se travaillait à la main, l'arrachage et aussi la préparation et le teillage bien sûr.
(Bruits)
François Moullec
On travaille un peu aux spatules pour montrer comment ça se fait encore.
Journaliste
Comment ça se faisait plutôt ?
François Moullec
Ça se faisait autrefois.
(Bruits)
François Moullec
C'est un métier très dangereux ! Parce que vous voyez, il y a les spatules qui tournent, on appelle cela les spatules, à une vitesse de 7 à 800 tours à la minute. Alors, vous avez un support, une plaque de fer, il faut tenir la poignée de lin contre la plaque de fer pour résister. Autrement, si la main passe de l'autre côté, les doigts étaient coupés.
Journaliste
C'est malheureusement ce qui vous est arrivé ?
François Moullec
Ce qui m'est arrivé, comme vous voyez, les deux mains, j'ai eu deux accidents différents. Ils sont arrivés à passer par-dessus quoi !
Journaliste
Et ça arrivait souvent les accidents comme ça ?
François Moullec
Oh, ça arrivait assez souvent, c'est un métier très dangereux. Une fois qu'on était habitué, ça arrivait moins souvent mais c'est à l'apprentissage surtout que ça arrivait.
(Bruits)
François Moullec
Quand j'ai repris la situation de mon père, j'ai été obligé de moderniser et de prendre une teilleuse automatique.
(Bruits)
François Moullec
Il y a eu deux moulins ici qui tournaient toujours, mon grand-père, mon arrière grand-père, je ne peux pas dire depuis quelle génération.
(Bruits)
François Moullec
Oui, je suis le dernier, le seul. Il y a trois ou quatre ans, on était à trois seulement. Maintenant, il n'y a plus que moi, le dernier, et je finis cette année.
(Bruits)
François Moullec
Les autres, beaucoup de moulins tournaient au moteur électrique ou à la machine à vapeur. Si ça tournait à la machine à vapeur, il fallait un chauffeur. Ça faisait une personne de plus. Et donc ici ça tournait à l'eau. C'est une économie qui était terrible parce que on n'était pas riche à cette époque là, tout de même hein.
(Bruits)
François Moullec
Ah ! Ça me fait mal au coeur de voir... et si les vieux avait été là ! Ils auraient... mon père ou mes arrières, mes ancêtres, ils auraient eu plus mal au coeur encore peut-être. De voir fermer une boutique qui tournait toujours comme ça.
(Bruits)
Journaliste
A votre avis, est-ce que c'est vraiment fini le lin ici en Bretagne ?
François Moullec
Oh ! Il faudrait qu'un syndicat commence alors !
Journaliste
Coopérative ?
François Moullec
Pas une coopérative, un syndicat, Louargat ou Landerneau, ou quelqu'un comme ça. Ou bien si un cultivateur pouvait former un syndicat, parce que refaire le matériel ou refaire un moulin, il faut des sous. Et qui c'est qui peut le faire ? Ce n'est pas un particulier, maintenant.
Journaliste
Mais pourquoi est-ce que vous, vous ne continuez pas ?
François Moullec
Mais là, j'ai l'âge de la retraite, les enfants sont partis, chacun dans sa direction. Pourquoi à mon âge je continuerais de travailler, pour qui et pour quoi ? On se fait vieux aussi.
Journaliste
Et plus personne ne met de lin ?
François Moullec
Non ! Parce que, où qu'ils trouveront un débouché, pour le lin teillé ?
(Bruits)
François Moullec
Je fais l'agriculteur. J'ai dix-sept hectares que j'exploite et dans quelques années je vais décéder aussi. A quoi ça sert continuer de travailler, quand on a à la retraite, de quoi vivre ?
(Silence)
François Moullec
Donc on vivra jusqu'à la mort parce que arrivé à 64 ans comme j'ai, il ne faut pas bien penser qu'on est éternel.
(Bruits)
Journaliste
Les tissus synthétiques ont concurrencé le lin. La production s'est concentrée dans d'autres régions. Les agriculteurs se sont reconvertis dans l'élevage. Les moulins ont fermé l'un après l'autre. François Moullec est le dernier représentant de ce qui a été une grande période de l'économie bretonne.
(Bruits)