Le malaise paysan à Plumelec
Notice
Des agriculteurs témoignent de leurs difficultés à exploiter. A Plumelec (Morbihan), malgré le remembrement, les problèmes persistent. Exemple de trois fermes où les paysans, leurs épouses et leurs filles parlent de leur quotidien et de leurs aspirations.
Éclairage
Le 14 décembre 1959, devant la dégradation de leurs revenus, les agriculteurs bretons manifestèrent à l'initiative de leurs FDSEA (fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles). Ces manifestations auraient rassemblé plus de cent mille manifestants en Bretagne. A cette date, pour défiler et pour barrer les routes, il y a certes des tracteurs, mais encore beaucoup de voitures à cheval ...
En 1960, l'agriculture bretonne est à un tournant qui va la propulser dans la modernité et la productivité. Les efforts conjoints des conseils généraux, des municipalités, puis de l'Etat permettent cette entrée dans un monde moderne. Plumelec est ici un bon exemple de ces transformations en cours : village à une vingtaine de kilomètres au nord de Vannes, mais enclavé au centre d'un triangle Ploërmel - Locminé - Vannes, les communications n'y sont pas aisées et ne peuvent se faire que par la route. Or, les routes ne sont goudronnées que depuis peu (et encore, sommairement) ce qui accroît l'isolement de cette commune et de ses agriculteurs.
Les conditions de vie sont restées archaïques : l'électricité n'est pas généralisée et l'eau courante ne concerne que les fermes les plus proches du bourg. Ailleurs, il faut encore aller chercher l'eau au puits, et laver au ruisseau, deux tâches qui sont celles des femmes. On comprend dès lors que, dans ces fermes, les jeunes filles ne veuillent pas rester. Les jeunes gens partent aussi car l'exploitation familiale ne peut subvenir à leurs besoins. Dans la plus grosse ferme, l'eau courante et l'électricité sont bien présentes (évier et cuisinière électrique). EDF a lancé en 1957 l'expérience de fermes-pilotes pour encourager à la modernisation et à une amélioration des conditions de vie et de travail dans de bonnes conditions financières. En 1960, Plumelec a en effet entamé sa modernisation puisque c'est une des rares communes à avoir achevé le remembrement de ses terres. Celui-ci permet l'agrandissement des parcelles : en moyenne leur superficie est multipliée par huit. Ce qui permet une utilisation plus aisée des tracteurs et des machines agricoles. En même temps, la suppression des haies a permis un gain en terres cultivables non négligeable (400 hectares d'après le maire).
Le développement des CUMA (coopératives d'utilisation de matériel agricole) va permettre l'usage de tracteurs et de machines agricoles sans que l'agriculteur soit obligé de s'en acheter un lui-même, ce qu'il ne peut pas toujours faire en raison de son coût. La superficie des exploitations est aussi un obstacle à la modernisation car, à Plumelec comme dans l'ensemble de la Bretagne, la moitié de celles ci ont moins de 10 hectares. Les exploitations de plus de 20 ha ne sont que 20% à Plumelec (17% dans toute la Bretagne en 1963) alors qu'en France, elles représentent plus de 26% des exploitations. Celles de plus de 50 ha sont moins de 1% en Bretagne, mais près de 6% en France. Les conditions de vie, la faible rémunération du travail, les difficultés à faire face à la concurrence expliquent le malaise paysan breton.
Les manifestations qui se succèdent en 1960, souvent violentes, signes d'un profond désespoir, conduisent le gouvernement à promulguer une loi d'orientation agricole en 1960, puis une loi complémentaire en 1962. Ces décisions législatives permettent, entre autres, de mieux maîtriser le foncier et de favoriser le départ à la retraite des exploitants les plus âgés par l'indemnité viagère de départ (IVD). Dans le domaine foncier, pour permettre l'agrandissement des parcelles et des exploitations, la Société bretonne d'aménagement foncier et d'établissement rural (SBAFER) est créée en 1962. Entre 1962 et 1964, elle achète 7 000 hectares. Les différentes mesures prises à l'époque vont progressivement faire disparaître les difficiles conditions de vie et de travail présentées dans ce reportage.
Bibliographie :
- Corentin Canévet, Le modèle agricole breton. Histoire et géographie d'une révolution agro-alimentaire, Rennes, PUR, 1992.
- Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, Rennes, éditions Ouest-France, coll. "Université", 1989.