Les mémoires de la guerre d’Algérie dans le Grand Est

Les mémoires de la guerre d’Algérie dans le Grand Est

Par Etienne Augris et Sophie Ali-Assoumani, Professeur agrégé d'histoire et éditricePublication : 19 août 2021

C’est en novembre 1954 que débute la guerre d’Algérie, entre les nationalistes algériens issus principalement du FLN (Front de Libération Nationale) et le pouvoir d’État français. Dès lors, l’Algérie sombre dans un conflit meurtrier que les autorités françaises ont, à l’origine, présenté comme une opération de pacification et qui ne s’achèvera que le 3 juillet 1962 avec la proclamation de l’indépendance du pays. Au fil du temps, les différents protagonistes ont livré des témoignages, perpétuant ainsi une mémoire plurielle, marquée par une volonté commune de reconnaissance face à la mémoire officielle. Des mémoires également influencées par l’empreinte laissée à l’échelle régionale, le Grand Est ayant connu des événements locaux et accueilli un bon nombre de rapatriés et harkis, à l’issue de cette guerre qui ne portait pas son nom.

     

# Des témoignages vecteurs d’une mémoire plurielle

Après la conquête du pays par la France entre 1830 et 1870, la France fait de l’Algérie une colonie de peuplement, y installant des dizaines de milliers d’Européens et leur attribuant des terres. Lorsque la « Toussaint rouge », une série d’attentats anti-français lancée par le FLN, éclate le 1er novembre 1954, ceux que l’on surnommera ensuite les pieds-noirs sont en première ligne. 

Entre 1956 et 1962, plus d’1,5 millions de jeunes Français quittent leur famille et sont envoyés en Algérie, dans le cadre de leur service militaire. Ces appelés du contingent, des soldats non-professionnels, sont appuyés au sein de l’armée française par des troupes dites supplétives, des Algériens qualifiés de musulmans français et que l’on désignera par la suite par le terme de harkis. 

Peu à peu, après la guerre, les protagonistes de cette guerre meurtrière ont commencé à partager leurs souvenirs. Une mémoire plurielle marquée par la violence du conflit et ses conséquences. La mémoire officielle, qui a longtemps souhaité faire oublier cette guerre, est un aspect important, les groupes se positionnant par rapport à celle-ci ainsi qu’au regard porté par la société. 

Les témoignages des harkis mettent notamment en lumière les conditions dans lesquelles ils ont été enrôlés dans l’armée française. Les raisons de leur engagement ne sont pas toujours synonymes de patriotisme. Certains, effrayés par les actions du FLN, y voient surtout  la seule option possible pour survivre, d’autres s’engagent après avoir été menacés par des militaires français.        

Cette notion de non-choix n’est pas sans rappeler celle des appelés. Contraints de participer au conflit, ces soldats âgés de 18 à 22 ans, sans aucune expérience du combat, ont mis du temps à partager leur terrible expérience vécue lors de cette guerre.

Pour les pieds-noirs, bien que l’horreur reste très présente dans leurs esprits, c’est souvent la nostalgie de leur vie en Algérie et le sentiment d’avoir été abandonnés par les autorités françaises qui ressortent dans leurs témoignages. Ils reprochent au président De Gaulle de ne pas avoir respecté sa promesse de maintenir l'Algérie française et de ne pas les avoir protégés des attaques dont ils ont fait l’objet. Des sentiments que l’on retrouve également chez les harkis.

Les témoignages des anciens membres du FLN, installés à l’époque dans la région, décrivent le climat de violence qui règne alors aussi bien en Algérie qu’en métropole. Ils permettent, à travers leurs récits, de montrer que la guerre a également eu de fortes implications dans le Grand Est.

# Une empreinte à l’échelle locale

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Algériens se sont installés en Lorraine pour travailler dans les mines et usines de la région en quête de main d’œuvre. Cette présence et des événements locaux expliquent l’impact particulier qu’a eu la guerre d’Algérie dans la région Grand Est.

Ce fut le cas en 1961. La ville de Metz abrite alors le 1er régiment de chasseurs parachutistes, arrivés début juillet 1961 d’Algérie. Rapidement, ces derniers, dont une grande partie est favorable à l’Algérie française, multiplient les exactions contre les maghrébins de Metz. Au cours de la nuit du 23 juillet 1961, suite à des incidents mortels entre paras et Algériens dans un dancing, plusieurs centaines de militaires se lancent dans une série d’agressions dans les rues de la ville, c’est ce que l’on a appelé la traque parachutiste de Metz.

Aujourd’hui regroupée en associations, la communauté algérienne de la région, composée en partie d’anciens membres du FLN, veille, à l’instar des autres groupes porteurs de mémoire, à apporter son témoignage sur les événements de l’époque.

L’impact de la guerre à l’échelle locale trouve aussi un écho dans la façon dont s’est déroulé l’exode des Européens d’Algérie et des harkis vers la France. Les conditions de leur installation sont un aspect important des témoignages et permettent de distinguer des spécificités liées à l’accueil des rapatriés dans le Grand Est. En 1962, malgré le cessez-le feu, les massacres à l’encontre des pieds-noirs et des harkis continuent à faire rage en Algérie, précipitant leur fuite. Ainsi, entre avril et juillet, ce sont près de 800 000 Européens et environ 100 000 harkis qui rejoignent la métropole.

Le Grand Est accueille une partie d’entre eux. Des harkis notamment, qui, contrairement au sud de la France où ils sont parqués dans des camps, sont plus souvent logés dans des casernes militaires, des logements sociaux ou encore des foyers. Cette spécificité locale crée une pluralité au sein d’un même groupe porteur de mémoire et montre la complexité d’avoir une mémoire et une transmission commune. 

# Une évolution temporelle des mémoires

Tous ces témoignages resurgissent après des années de silence. En effet, dès le début du conflit, la France s’est évertuée à minimiser ce qui se passait en Algérie. Présentant l’intervention française, au départ, comme des opérations de maintien de l’ordre ou pacification puis utilisant l’expression les événements d’Algérie. Des termes et une tendance repris par les médias, quand il s’agissait d’évoquer la situation en Algérie ou encore en métropole au moment de l’arrivée des rapatriés.

Une fois les accords d’Evian signés et l’indépendance de l’Algérie actée, les dirigeants français, à commencer par le général de Gaulle, ont affiché une volonté de tourner la page de cette période traumatisante en menant une véritable politique de l’oubli. L’enfouissement de la mémoire collective autour du drame algérien a été favorisé, dès 1962, par une série de lois d’amnistie en faveur des auteurs d’exactions et d’actes de torture. Au fil des années, les mémoires des différents acteurs, qui longtemps s’étaient terrés dans le silence, ont commencé à refaire surface. À travers des revendications, c’est dans une quête de reconnaissance commune à la fois face à la mémoire officielle et face au regard porté par la société qu’ils se sont lancés.  

Du côté des pieds-noirs, qui ont dû laisser leurs biens derrière eux au moment de l’exode, elle a pris la forme d’une réclamation d’indemnisation pour leurs pertes et une reconnaissance de leur statut de victimes. Pour les harkis, qui ont commencé à se regrouper en associations au début des années 70, leurs différentes actions et leurs prises de parole leur ont permis d’obtenir le statut d’ancien combattant en 1974 puis, avec la loi de 1994, que La République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis. Une reconnaissance d’autant plus importante que les harkis doivent faire face à une stigmatisation à la fois de la part des immigrés algériens pour lesquels ce sont des traîtres et aux discriminations dont ils font l’objet de la part de la société française qui ne les voient que comme des immigrés.  

Ça n’est que trente-sept ans après la fin du conflit, avec la loi adoptée le 10 juin 1999 par l’Assemblée nationale, que l’État reconnaît officiellement la guerre d’Algérie. Au fil des décennies, la multiplication des témoignages, la mention des pratiques extrêmement violentes, telles que la torture, et jusque là passées sous silence, ont permis de faire évoluer la mémoire officielle. Suscitant parfois la controverse, comme par exemple avec le choix de la date du 19 mars pour commémorer les victimes de la guerre. Un choix ayant suscité de vives réactions négatives de la part des pieds-noirs et des harkis qui y voient un déni des milliers d’Européens et harkis massacrés au printemps et à l’été 1962 en Algérie.

# Conclusion

Aujourd’hui, les mémoires restent plurielles et conflictuelles, malgré la mise en place de trois journées différentes de commémoration. Le 19 mars est commémorée la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie, le 25 septembre est rendu hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives et enfin le 5 décembre sont honorés les morts pour la France pendant la guerre d’Algérie.

# Piste pédagogique associée

Le même contenu, adapté à l’enseignement, est accessible aux enseignants et aux élèves de la région Grand Est, sous le titre : Mémoires et histoire d’un conflit : la guerre d’Algérie.