L’intégration des Harkis à Reims dans les années 1960
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Résumé
A Reims, en 1966, une présentation est faite de l’intégration des harkis vivant dans la cité de la route de Witry. Tout en évoquant les raisons de leur arrivée, les difficultés d’intégration et les espoirs, le présentateur dresse un tableau résolument optimiste de leur intégration.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
22 avr. 1966
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Contexte historique
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Dans le contexte mondial du processus de décolonisation, la Quatrième République française est confrontée à partir de 1954 à une série d’attentats en Algérie menée par des indépendantistes algériens marquant le début de la « guerre d’Algérie ».
Colonie de peuplement, dont la conquête fut initiée à partir de 1830 et où se sont établis près de 900 000 européens, l’Algérie est alors perçue par la métropole comme indissociable du territoire français (division en trois départements depuis 1848). Mais l’intensification des hostilités et du nombre de morts amène le gouvernement de Charles de Gaulle à envisager l’indépendance de l’Algérie. La lassitude de l’opinion métropolitaine face à la longueur du conflit, aux violences, et la déstabilisation politique engendrée par le putsch des généraux le 21 avril 1961 accélèrent les négociations entre le gouvernement français et le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) qui débouchent le 18 mars 1862 sur les accords d’Evian.
Par ces accords, un cessez-le feu entre en vigueur et ouvre la voie à l’indépendance de l’Algérie approuvée par référendum à plus de 99% et permettant la proclamation de l’indépendance le 5 juillet 1962. Mais malgré le cessez-le feu, les violences se poursuivent, ce qui précipite l’exode de 800 000 européens communément appelés « pieds-noirs ».
Massacrés par milliers, les Harkis (miliciens autochtones servant sous l'autorité d'officiers français d’abord pour défendre des villages puis utilisés dans des commandos offensifs en Algérie) sont forcés à émigrer avec leur famille vers la France métropolitaine.
Réfugiés, l’ordonnance du 21 juillet 1962 prévoit pour eux que « les personnes de statut de droit local originaires d’Algérie ainsi que leurs enfants peuvent, en France se faire reconnaître la nationalité française ».
Mais l’accueil en France métropolitaine de près de 90 000 personnes dans les années 1960 se fait d’abord dans des camps dits de transit, puis dans des cités urbaines, comme celle de la route de Witry à Reims. Sans être perçus comme totalement français, ils tentent de s’adapter à cette nouvelle situation malgré un déracinement brutal et des conditions d’installation marquées par l’insalubrité et la précarité. La crainte d’incidents que pourrait provoquer la cohabitation « d’européens » et de « musulmans », aboutit à une ségrégation socio-spatiale.
A travers le quotidien de ses habitants, « la cité des Harkis » dresse le portrait d’individus s’intégrant à la société française tout en conservant ses particularismes culturels et religieux comme la cérémonie du thé.
Entre intégration, assimilation et discriminations, les Harkis mettent en lumière la question de l’identité nationale française et la ségrégation dont ils furent victimes. A Reims, cette intégration passe par le travail en usine des hommes, l’alphabétisation, l’apprentissage de la puériculture, du tricot et de la couture pour les femmes ainsi que l’éducation des nouvelles générations.
Le service d’accueil aux français musulmans proposé par le comité marnais, déclinaison locale du comité national créé en 1963, contribue avec de nombreux acteurs individuels à cette intégration. L’objectif est de ne plus différencier les Harkis des français musulmans. Le terme Harkis rappelant la guerre d’Algérie et ayant une connotation stigmatisante et dévalorisante. L’évocation du jumelage (action sociale et culturelle ayant pour but le rapprochement des populations) à Châlons-en-Champagne entre familles musulmanes et européennes est alors mis en évidence comme un modèle à suivre d’intégration. La finalité explicite étant l’assimilation au modèle républicain.
Cependant, ce n’est qu’en 1974 que les Harkis obtiennent le statut d’anciens combattants . La reconnaissance de la République pour tous les sacrifices consentis n’intervient qu’en 1994 à travers une loi ouvrant la voie à une indemnisation financière devenue “allocation de reconnaissance” en 2002, et posant les jalons de réparations morales de l’état français.
La guerre d’Algérie, une guerre sans nom, longtemps définie comme étant des « événements » s’explique par la volonté de l’État français de minimiser ce conflit et de n’en faire qu’un problème de maintien de l’ordre. La requalification « guerre d’Algérie » est officiellement reconnue par la loi le 18 octobre 1999 adoptée par l’Assemblée nationale sous le mandat présidentiel de Jacques Chirac, qui fut aussi le premier Président à affirmer que la France n’avait pas su empêcher le massacre de Harkis restés en Algérie. Par cette loi, la France rétablit la vérité historique sur le conflit.
La France est alors entrée dans une période de sursaut mémoriel après une longue phase d’amnésie. Après 1962, la République Gaullienne refoule tout ce qui peut évoquer les divisions engendrées par le conflit, mais la multiplication de témoignages vecteurs d’une mémoire plurielle, les revendications d’indemnisations, de réparation et de reconnaissance officielle et la judiciarisation d’affaires font entrer le pays dans une nouvelle phase où les mémoires rejaillissent; comme en atteste la journée nationale d’hommage aux Harkis instituée en 2003 tous les 25 septembre.
Objet de récupération politique et de propagande, les Harkis forment aujourd’hui un groupe porteur de revendications réclamant un travail de vérité historique sur la période de la guerre d’Algérie au-delà des mémoires multiples ; et invite à la recherche sur la période en passant des témoignages à l’histoire, à se questionner sur les politiques d’accueil et d’intégration en France des communautés issues de l’immigration, à travers le prisme de cette immigration forcée et subie.
Éclairage média
Par
Consacré aux Harkis de la cité de la route de Witry à Reims, ce reportage en noir et blanc a été diffusé au journal télévisé le 22 avril 1966, la couleur apparaissant pour la première fois en 1967. La production et la diffusion de ce reportage se fait alors sous la tutelle de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) créé en 1964 lui-même sous l’autorité du ministre de l’Information. L’État a alors le monopole de la diffusion et du contenu proposé dans ce nouveau média familial qu’incarne la télévision.
Le choix du sujet sur les Harkis et leur intégration à Reims quelques années après la fin de la guerre d’Algérie peut surprendre, tant tout ce qui pouvait rappeler les divisions internes du passé entre opposants et ceux favorables à l’indépendance de l’Algérie était refoulé dans les années 1960. Le silence s’imposant alors comme remède aux douleurs engendrées par le conflit. De fait, le présentateur insiste à travers une vision résolument optimiste et emplie d’espoirs face au processus d’inclusion économique, culturelle des harkis dans la société française.
Le reportage est construit à travers le prisme républicain de l’assimilation (processus visant à faire d’étrangers des citoyens français) dans le cadre de la France des années 1960 où l’imaginaire colonial a brusquement disparu, évoquant d’abord dans une première séquence les faits d’armes qui ont amenés les Harkis en France puis le quotidien des familles. Le propos tend à montrer que les Harkis vivent progressivement comme les autres français/métropolitains. Ainsi, la deuxième séquence présente le quotidien d’une famille, des enfants jouant au ballon et à la marelle signifiant l’absence de différences avec le reste de la population. Sauf qu’ils sont à l’écart du reste de la population française.
Après cette focale, le commentateur évoque l’intégration en marche et l’assimilation des mœurs par les Harkis au travers d’une scène de repas avec service « à la Française » et de travailleurs dans une usine sidérurgique. S’en suit une évocation du « transfert physique, matériel et moral » , « de familles meurtries par une guerre sans pitié ». Ce qui peut surprendre pour l’époque dans la mesure où la guerre d’Algérie n’était évoquée que sous la forme d'événements ou « d'opérations de maintien de l’ordre ».
Dans une dernière partie, le reportage présente les associations comme le comité marnais pour les Français musulmans et des individus (industriels, médecins, fonctionnaires...) ayant permis selon le présentateur la réussite de l’intégration. Puis le reportage insiste sur les éléments concrets d’intégration, le travail en usine ou en entreprise pour les hommes, la puériculture, le tricot et la couture pour les femmes ou encore l’alphabétisation. L’idée est de démontrer que la fabrique de citoyens français fonctionne.
Dans cette optique, le présentateur indique qu’il serait intéressant que les mouvements de jeunesse intègrent et ne rejettent pas les enfants de Harkis. C’est la seule fois où sont évoqués les phénomènes de discrimination, pourtant présents à l’époque. Il conclut sur le but à atteindre qui est illustré par le jumelage de familles musulmanes et européennes à Châlons-sur-Marne (devenue en 1997 Châlons-en-Champagne). Le choix de terminer par le cérémonial du thé symbolise la fraternité républicaine. Et « tandis que s’estompe peu à peu la figure familière des minarets », les Harkis s’éloignent de leur cadre de référence traditionnel. Cette phrase clé sous-entend que les Harkis s’acculturent et intègrent progressivement la République.
Encore aujourd’hui, la question des Harkis (comme d’autres minorités) fait partie des questions vives de l’Histoire et constitue un enjeu brûlant de notre actualité. En témoignent, les critiques sur les réseaux sociaux en juillet 2020 sur les origines harkies du nouveau ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Ce phénomène révèle la persistance de fractures identitaires françaises qui nécessite plus que jamais l’expertise de l’historien.
Transcription
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