Appelés en Algérie : entre expérience des combats et aide à l’Algérie nouvelle
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Deux appelés alsaciens témoignent de leur expérience cinquante ans après. L’un a effectué son service en 1961 à Colomb-Béchar, près de la frontière marocaine, et montre de nombreux clichés. L’autre parle de son rôle d’enseignant en Algérie après l’indépendance.
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Date de publication du document :
01 sept. 2021
Date de diffusion :
13 mars 2012
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
Publication : 01 sept. 2021
La guerre d’indépendance algérienne ou guerre d’Algérie (1954-1962) a pris une dimension particulière dans le contexte de la décolonisation. L'Algérie avait alors le statut de territoire constitué de trois départements français (puis 15 en 1958), aussi, les opérations militaires en Algérie ne pouvaient être identifiées officiellement comme une guerre par les autorités de la IVe République. Cela aurait impliqué la reconnaissance de l’autre belligérant, alors que toute légitimité était niée au Front de libération nationale (FLN) et à son bras armé l’Armée de libération nationale (ALN). À partir de 1956, l’envoi du contingent par Guy Mollet, pourtant élu sur un programme de paix en Algérie, fait entrer le conflit dans une nouvelle dimension, qui va directement toucher toute une génération de Français et la quasi totalité des familles.
Les appelés du contingent sont donc envoyés de l’autre côté de la Méditerranée suite à une période de classes et de formation plus ou moins longues. Mais le temps était compté et l’envoi en Algérie pouvait être rapide. Au total, 1,2 million d’appelés est envoyé pour tout ou partie de leur service. Une grande part d'entre eux a été « rappelée » ou « maintenue » au-delà de la durée prévue, jusqu’à trente mois au total pour certains. Plus de 11 000 d’entre eux y ont perdu la vie.
Certains de ces appelés sont affectés à la surveillance des frontières. L’indépendance de la Tunisie et du Maroc en mars 1956 donne à l’ALN une base de repli et d’approvisionnement qui pousse l’armée française à militariser la frontière de l’Algérie avec ses deux anciens protectorats (« ligne Morice » à l’est). Après une « bataille des frontières » (1958) visant à empêcher les infiltrations, le plan Challe (1959) conduit à ce que toute la frontière soit longée par une barrière électrifiée et qu'une bande de territoire de plusieurs dizaines de kilomètres soit déclarée zone interdite. Toute population y vivant est considérée comme suspecte et peut donc être abattue sans sommation. Les habitants sont déplacés vers des camps de regroupement.
La région de Colomb-Béchar, près du Maroc, constitue un enjeu important. C’est le terminus de la ligne électrifiée qui court depuis la mer. L’armée cherche à éviter les infiltrations de l’ALN vers l’intérieur de l’Algérie et à protéger les sites miniers (charbon), logistiques (terminus du chemin de fer), ainsi que les bases stratégiques à Hammaguir (fusées) ou à Beni Ounif (B2-Namous) où se déroulent des essais d’armes chimiques et bactériologiques. Les deux sites seront d’ailleurs conservés par l’armée française après l’indépendance.
Ici comme ailleurs, l’expérience du soldat est marquée par la violence, celle de l’ennemi comme celle de l’armée française. Le « maintien de l’ordre » passe en effet par de nombreuses arrestations suivies de tortures, effectuées en particulier par des sections spéciales de renseignement, notamment les dispositifs opérationnels de protection (DOP) créés en 1957. À l’issue de leur service, les appelés rentrent dans une société qui peine à les accueillir et à entendre leur traumatisme. S’il n’est pas toujours la règle, le silence s’impose souvent dans les familles. Les appelés se regroupent en associations dont la plus importante est la FNACA, créée dès 1958.
Une partie de ces appelés et d’autres jeunes Français choisissent, après l’indépendance, d’offrir leurs compétences au jeune État algérien. Parfois surnommés les « pieds-rouges » car beaucoup sont mus par des idées de gauche, ils sont « médecins, instituteurs, artistes ou journalistes » (Catherine Simon, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l'indépendance au désenchantement (1962-1969), La Découverte, 2009) et travaillent en Algérie pendant plusieurs années. Cette expérience est marquée par la désillusion de nombre d’entre eux alors que l’armée algérienne prend peu à peu le contrôle du pays en deux temps, dès l’été 1962 et surtout en 1965 avec le coup d’État de Boumédiène.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire au Lycée international Jeanne-d’Arc, Nancy
Réalisé dans le cadre d’une série de reportages au moment du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre en 2012, ce sujet a été diffusé dans le journal régional de France 3 (« Midi pile Alsace »). Dès le lancement, il est fait référence au décalage entre les mots utilisés pour décrire la situation, ce qui était demandé aux appelés, et la réalité du terrain, celle d’une guerre qui ne disait pas son nom. La présentatrice parle de « maintien de l’ordre » et de « pacification », euphémismes qui masquaient mal, même pour les Français de l’époque, la réalité de la guerre.
Le témoignage de Jean-Paul Grauffel permet de parler de l’expérience de la guerre sur un front peu abordé, celui des frontières. Son âge (22 ans) laisse penser qu’il a bénéficié d’un sursis, sans doute en raison de ses études. Son appel sous les drapeaux en août 1961 est tardif, à un moment où la perspective de l’indépendance semble de plus en plus plausible. Jean-Paul Grauffel témoigne de la peur (celle de « se faire capturer »), renforcée par le sort réservé à ceux qui ont été « mutilés » par l’ALN. Il évoque aussi la violence de l’armée française et ses « méthodes assez brutales » qu’il attribue en particulier à des « sections spéciales d’officiers de renseignement ». On comprend ainsi mieux les difficultés de la transmission à ceux qui n’ont pas connu cette expérience traumatisante. Son témoignage permet en effet d’évoquer la question du silence des appelés au sujet duquel Raphaëlle Branche dit qu’il faudrait davantage parler des « silences familiaux » (« Papa qu’as-tu fait en Algérie ? » Enquête sur un silence familial, La Découverte, 2020). On le voit bien au travers de ce témoignage dans lequel Jean-Paul Grauffel explique les difficultés du retour : « À qui voulez-vous en parler ? À ceux qui l’ont vécu ! » Évoquant un autre appelé, il dit qu’il « en parlait avec moi mais pas à sa femme ou aux enfants ».
Les documents et images qui illustrent les témoignages ne sont pas toujours commentés mais permettent de donner corps à l’expérience, en particulier pour Jean-Paul Grauffel qui a conservé et partage de nombreuses photographies. Ces photographies le montrent en uniforme mais également côtoyant des populations locales dans des situations a priori banales, signe de sa curiosité et d’un regard qui ne fut pas que condescendant sur ces populations. Sur ces questions, on peut lire le travail de décryptage de Claire Mauss-Copeaux, À travers le viseur, Images d’appelés en Algérie 1955-1962, Aedelsea, 2003. Le reportage montre également une brochure distribuée aux appelés avant leur départ par les Unionistes, un groupe de scouts protestants. Quant aux archives vidéo, non datées, il s'agit d'un extrait des actualités parlant de l’arrivée de « renforts » à Alger.
La particularité du parcours du deuxième appelé, Georges Karpierz, est son double statut d’appelé puis de volontaire parti enseigner en Algérie après l’indépendance. Il explique sa motivation pour cela. Sans que le reportage nous parle véritablement de son expérience en tant qu’appelé, le fait d’aller enseigner est présenté comme une « revanche ». Il dit avoir voulu « rendre service à l’Algérie nouvelle pour assurer la transition de l’enseignement, le temps que les autochtones puissent prendre les places ». On comprend que ce souhait est né du désir de compenser par une action positive les actes de guerre. Même s’il rejette la responsabilité sur la France qui l'a envoyé faire une guerre « pour rien », qu’il a faite « au service de la patrie » (« on nous a demandé d’y aller »), on le sent travaillé par une sorte de culpabilité vis-à-vis des Algériens, qu’il a cherchée à dépasser par cette période passée dans la jeune Algérie indépendante. Rien n’est dit de particulier sur cette activité et sa durée. Mais il continue à regarder le journal télévisé algérien tous les midis… Son témoignage se termine par la vision d’une stèle à la mémoire des soldats et appelés morts en Afrique du Nord entre 1952 et 1962 dans sa commune de Kruth. On y aperçoit le logo de la FNACA, dont il est membre.
Transcription
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