Traduction d'un Tintin en picard : "Les Bijoux de la Castafiore"

04 mars 1981
03m 31s
Réf. 00004

Notice

Résumé :

Les éditions Casterman à Tournai ont édité un Tintin en picard tournaisien. Le succès a été immédiat : 10 000 exemplaires écoulés en trois jours. Lucien Jardez, président du Cabaret wallon de Tournai explique comment les noms des personnages ont été traduits. Son objectif a été d'être le plus picard possible tout en restant compréhensible au plus grand nombre.

Date de diffusion :
04 mars 1981
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Éclairage

Contredisant toutes les visions pessimistes qui envisagent une disparition prochaine de différentes langues régionales de France - faute de locuteurs et de scripteurs - le reportage présenté ici met à l'honneur l'engouement suscité par la traduction dans certaines variétés linguistiques de bandes dessinées bien connues du grand public.

Pour fêter ses deux cents ans, la maison d'édition belge Casterman a en effet choisi de livrer une traduction en picard de Tournai de l'une des aventures de son héros Tintin. L'album Les bijoux de la Castafiore est ainsi devenu, en 1980, Les Pinderleots de l'Castafiore. (1)

Le succès de cette traduction a été si important que pas moins de dix mille exemplaires de cette dernière se sont vendus en à peine trois jours et quinze mille numéros supplémentaires ont du être commandés pour répondre à une demande particulièrement forte.

Alors que les traductions en breton et en basque, seulement tirées à cinq mille exemplaires, n'ont pas connu le même succès, l'engouement sur le territoire picard a été formidable. Au-delà de la manifestation de l'attachement de toute une population à sa culture et à sa langue, ce succès peut également s'expliquer par la grande variation linguistique que connaît la langue picarde. Pratiqué au sein d'une aire linguistique s'étendant depuis le Hainaut belge jusqu'au fin fond du département de l'Aisne, le picard (tantôt appelé "picard" (tournaisien, amiénois, du Vimeu et du Ponthieu) ou encore "ch'ti ", "chtimi ", etc.), connaît en effet de multiples variations. Il est donc le patrimoine linguistique et culturel de plusieurs millions de personnes.

Le succès éditorial des bandes dessinées traduites en picard s'est poursuivi avec les années puisque quatre autres traductions des aventures de Tintin ont depuis vu le jour : El' Trésor du Rouche Rackham (2005), El' Sécrét d'la Licorne (2005), Ch'Cailleu d'étoéle (2007) et El Crape as Pinches d'Or (2013).

Les éditions Albert René se sont elles aussi lancées dans la traduction de bandes dessinées en langues régionales, en publiant certaines des aventures d'Astérix. Les traductions en langue picarde sont à ce jour au nombre de trois : Astérix i rinte à l'école (2004), Ch'village copè in II (2007), et Astérix pi Obélix is ont leus ages – Ch'live in dor (2010). Avec plus de cent mille exemplaires vendus pour le premier de ces albums, le succès est incontestablement encore une fois au rendez-vous.

(1) Hergé, Les avintures de Tintin. Les pinderleots de l'Castafiore, traduction de Lucien Jardez. Tournai, Éditions Casterman, 1980.

Christophe Rey

Transcription

Journaliste
200 ans. L’âge d’une vieille dame très digne : la maison Casterman à Tournai. On aurait pu s’y contenter d’une belle séance académique dans la tradition de son fondateur, Donna, imprimeur de livres très édifiants destinés à récompenser les élèves studieux. Mais non. On a aussi voulu marquer le coup avec un extra : la transposition d’un Tintin en patois régional, le picard tournaisien dont le bénéfice est d’ailleurs affecté à l’enfance en détresse. Un succès fou. 10 000 numéros vendus en trois jours. Un second tirage de 15 000 qui sortira bientôt et que les libraires se sont d’ailleurs déjà réservés. Un point tel qu’on envisage sérieusement un troisième tirage. Pourquoi cette ruée alors que Tintin en breton et en basque tirés à 5000 exemplaires n’ont pas eu le même succès ? Mais "Les bijoux de la Castafiore" ont d’abord commencé par changer de nom. Comment vous dites ?
Jardez§Lucien
"Les Pinderleots de l'Castafiore"
(Musique)
Jardez§Lucien
J’espère que les lecteurs tournaisiens se sont amusés. Mais je suis certain de m’être le premier amusé avec ce Tintin et les différents personnages.
(Musique)
Capitaine Haddock
"Chut ! Acoutez ! On direot tout qu'i-a ein infant qui brait ! " "- Sarragos ! " - J'sus t'ichi, mossieu !"
Journaliste
Et pourquoi ?
Jardez§Lucien
Saragos, c’est un vieux serviteur, disons, tournaisien. Il a servi beaucoup de maîtres, Sarragos. Il a existé, d’abord. C’était un enfant trouvé. Il a eu une vie malheureuse. Il a été, pendant des dizaines et des dizaines d’années, ce qu’on appelait alors un pourvu de l’hospice, et affublé de cet habit de misère à collet rouge, puisque c’était un collet rouge, Sarragos. Et en plus, ce chapeau claque en cuir bouilli. Il a été malheureux. Et j’ai voulu un peu lui donner, à titre posthume, bien sûr, une petite gloire en mettant son nom dans Tintin.
(Musique)
Capitaine Haddock
Sarragos! Sarragos ! Em'balucheon ! Avite! espèce d'aroteu! /Modieu Capitaine! /Sapré mille millions d'milliards de qu'véaux!...
(Musique)
Journaliste
Vous allez savourer quelques expressions. Crac su l'basse C’est quoi, ça, crac su l'basse ?
Jardez§Lucien
Crac su l' basse, ça veut dire tout simplement de mieux en mieux.
Journaliste
Et c’est une expression qu’on trouve dans le public ? Courante ?
Jardez§Lucien
Peut-être… Courante, non. Il y a d’ailleurs beaucoup de mots que j’ai remis à l’honneur, qui ne sont plus employés dans le vocabulaire courant. Mais j’ai fait exprès de les mettre à l’honneur pour ne pas simplement qu’on dise : « Bon, il a traduit Les bijoux de la Castafiore en mettant ça, disons, en français mal parlé ». Non, j’ai voulu être le plus picard possible en restant compréhensible et mon dieu ! Les quelques mots qui ne sont pas compris tout de suite, il y a le glossaire à la fin. Sapré vint millards qu'veaux si