Les destructions dans les églises pendant la Révolution
Notice
Le 10 novembre 1793, la Révolution abolit le fanatisme religieux. Les symboles religieux sont détruits, mais dans certains villages picards, la population réagit. Deux exemples dans la Somme. Pierre Michelin, maire de Folleville explique comment on a déposé de la paille devant des tombeaux et des gisants en marbre de Carrare qui ont pu être ainsi préservés tout comme la vasque des fonts baptismaux. M Gilloire, professeur honoraire du lycée d'Amiens explique comment le maire d'Amiens a préservé des destructions en façade. Par contre, à l'intérieur, des statues on pu être cassées.
Éclairage
D'innombrables édifices et œuvres d'art ont été détruits tout au long de la période révolutionnaire, au nom de la lutte contre la monarchie, de la lutte contre la féodalité et de la lutte contre la religion. C'est de cette période que date le mot de "vandalisme", inventé par l'abbé Grégoire.
L'abbé Grégoire, né en 1750, ordonné prêtre à 25 ans, n'était pas hostile à la Révolution. Nommé curé d'Emberménil (Meurthe-et-Moselle), il connut un certain succès avec la publication en 1788 de son Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs. Il se fit alors élire député du clergé à Nancy et arriva aux Etats-Généraux où, dès le 14 juin, il se joignit au Tiers-Etat. A l'Assemblée nationale, il plaida pour les droits civiques des Juifs, pour les droits des noirs et des gens de sang mixte ; il demanda l'abrogation du droit d'aînesse et proposa une " Déclaration des droits des gens". Il fut le premier ecclésiastique à prêter serment à la Constitution civile du clergé.
Mais, convaincu que les œuvres du passé devaient être conservées pour autant qu'elles participent à l'effort d'instruction publique et fassent comprendre à la population le progrès social, technique, culturel et politique, il ne supporte pas les destructions commises au nom de la Révolution. Il le rappelle dans ses Mémoires : "On se rappelle que des furieux avaient proposé d'incendier les bibliothèques publiques. De toutes parts, on faisait main basse sur les livres, les tombeaux, les monuments qui portaient l'empreinte de la religion, de la féodalité, de la royauté [...]. Quand la première fois je proposai d'arrêter ces dévastations, on me gratifia de nouveau de l'épithète de fanatique, on assura que, sous prétexte d'amour pour les arts, je voulais sauver les trophées de la superstition. Cependant tels furent les excès auxquels on se porta qu'enfin il fut possible de faire utilement entendre ma voix et l'on consentît au Comité [d'Instruction publique] à ce que je présentasse à la Convention un rapport contre le vandalisme. Je créai le mot pour tuer la chose" (1).
En Picardie, le vandalisme révolutionnaire atteint de nombreux bâtiments religieux. Dans l'abbaye cistercienne de Longpont, où se faisaient inhumer les évêques de Soissons, après le départ des vingt religieux, le 2 décembre 1791, les tombeaux gothiques furent brisés, le plomb des toitures arraché ; adjugée comme bien national le 23 avril 1793, l'église, dont on commença la démolition par le choeur, fut exploitée comme une carrière par les habitants des villages voisins. A Beauvais, le 18 août 1791, l'administration du District envoya à la Monnaie de Paris les reliquaires en métaux précieux du trésor de la cathédrale, pour qu'ils soient convertis en lingots, et, le 3 octobre 1793, dans la cathédrale devenue Temple de la Raison, on procéda à l'abolition des traces de la royauté et de la féodalité. Un vitrier, le citoyen Pot, fut chargé d'enlever des verrières les fleurs de lis et armoiries," en conservant les figures qui peuvent intéresser les arts".
D'autres édifices ont eu plus de chance. Le reportage insiste sur la destinée de l'église de Folleville et de la cathédrale d'Amiens.
Selon Pierre Michelin, historien de Folleville, qui fut par ailleurs maire de cette commune et président de la Société des Antiquaires de Picardie, ce sont les paroissiens qui permirent que fut sauvegardé l'essentiel du patrimoine de cette église, en particulier les remarquables fonts baptismaux, qui ont la forme d'une coupe évasée, en marbre blanc, ceinte de la chaîne historique des de Lannoy qui retient dans son contour quatre écussons chargés des armes de Folleville, de Lannoy, de Poix et d'Hangest, et le mausolée de Raoul de Lannoy et de Jeanne de Poix. Celui-ci est composé de deux parties : un sarcophage supportant deux statues couchées, œuvre d'artistes italiens ; la niche, en pierre ciselée, œuvre d'artistes français. Plus touché fut le tombeau voisin, celui de François de Lannoy et de Marie d'Hangest, en pierre et en marbre. Les éperons ont été brisés, ainsi que les mains jointes, refaites postérieurement. Edmond Soyez, dans La Picardie historique et monumentale, publiée au début du XXe siècle sous l'égide de la Société des antiquaires de Picardie, rappelle que le monument de François de Lannoy a subi plusieurs mutilsations, tandis que "le tombeau de Raoul est à peu près intact, parce que pendant la Révolution on avait eu la précaution de la couvrir de paille et de le protéger en outre par des planches" (2).
La cathédrale d'Amiens fut "plus favorisée que beaucoup d'autres" (3). La statuaire de ses portails fut respectée. Toutefois, la transformation, décrétée le 22 brumaire an II (12 novembre 1793) de la cathédrale en temple de la Raison faillit lui être fatale, car l'architecte Jean Rousseau proposa un plan d'aménagement visant à faire disparaître "les chapelles de goût tudesque" et les stalles gothiques. Le chœur serait transformé en promenoir public. Les chapelles, murées, seraient utilisées comme magasins d'armes, salles de comité et de repas civiques. A la croisée du transept se dresserait la pyramide de l'Immortalité, entourée des bustes des législateurs républicains. Dans le chœur, l'autel de la Patrie porterait la statue de la Liberté. Ce projet n'aboutit pas et la Commission des arts put faire échouer la volonté de la Commission des armes de faire main basse sur toutes les grilles en fer du chœur, les statues en cuivre des deux évêques fondateurs, Évrard du Fouilloy et Geoffroy d'Eu, et les cercueils de plomb. Mais la cathédrale n'est pas sortie tout à fait indemne de la période révolutionnaire. Comme indiqué dans le reportage, en décembre 1793, des volontaires belges ou lillois ont mutilé une partie de la clôture en pierre peinte du chœur où était représentée l'histoire de saint Firmin, détruisant les têtes. Un certain Dubois grava sur une boiserie l'inscription suivante : "Les républicains lillois ont trouvé de toute indignité de laisser dans un temple de la Raison tant de hochet du fanatisme" (4).
Le reportage revient aussi sur le rôle qu'André Dumont, député montagnard envoyé en mission dans la Somme, aurait eu dans la sauvegarde de la cathédrale d'Amiens. Dans un article publié en 1995 dans le Bulletin de l'association des amis de la cathédrale d'Amiens, l'historien de l'art Jacques Foucart a démonté cette thèse, en écrivant : "Amiens a le privilège d'une cathédrale restée intacte sous la Révolution avec son prestigieux décor d'autels et de grilles aujourd'hui superbement restaurés [...] Cette intégrité remarquable serait due selon les historiens locaux au trop fameux représentant du peuple en mission André Dumont, pourtant anticlérical forcené, mais qu'on crédite d'un terrorisme aussi exalté en parole que parcimonieux en actes. Cette thèse [...] ne résiste pas à l'examen. C'est bien au contraire à l'action de quelques personnalités énergiques : le maire Lescouvé, le juge Levrier et bien d'autres restés dans l'ombre, tous soutenus par le consensus unanime du petit peuple d'Amiens amoureux de toujours de sa cathédrale, que l'intérieur du vénérable édifice a pu être préservé du vandalisme".
(1) Cité dans : Abbé Grégoire, Patrimoine et cité, textes choisis, Editions Confluences, 2009, p. 9.
(2) Société des Antiquaires de Picardie, La Picardie historique et monumentale, t. II, arrondissement de Montdidier, Amiens, Yvert et Tellier, Paris, Picard, 1900-1903, p. 119
(3) Louis Réau, Histoire du vandalisme, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, 1994, p. 443.
(4) Ibid., p. 444-445.