La bastide de Cologne
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Résumé
Dans ce reportage, l’historien Gilles Bernard raconte l’histoire des bastides qui se sont développées au XIIIe siècle dans une période dominée par le monde rural. À travers la visite de la bastide de Cologne, il explique comment était pensé l’aménagement de ces cités. Il évoque ensuite la désertification de ces bastides lorsqu’au XVIIIe siècle, le développement des routes déplaça l’activité économique.
Date de publication du document :
14 sept. 2021
Date de diffusion :
15 mai 1987
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Contexte historique
ParConservateur délégué des antiquités et objets d’art du Gers
Publication : 14 sept. 2021
Au cours de son passage à Cologne, l’historien et linguiste Gilles Bernard, professeur et chercheur à l’université de Paris VIII, relate le passé de la bastide de Cologne en détaillant le quotidien de la population médiévale.
En effet, on ne peut mettre en lumière le Gers sans évoquer le phénomène des bastides. En plein Moyen Âge, de nouvelles communes émergèrent dans le sud de la France et plus particulièrement dans le Midi toulousain. Cependant, la plus forte concentration de ces nouvelles communes se trouve être dans l’actuel département du Gers, fort d’une cinquantaine de bastides, comme celles de Saint-Clar, Valence-sur-Baïse, Masseube, Seissan, Solomiac, Mirande, Marciac ou Cologne mises en avant dans cette vidéo.
Ces nouvelles cités sont fondées suite à un contrat de paréage, un contrat de droit féodal, officialisant l’association de deux ou plusieurs seigneurs. En Gascogne, ces contrats étaient conclus entre le roi, souvent représenté par son sénéchal, et le propriétaire du terrain de la future bastide (abbé ou seigneur). Ainsi, suivant les territoires occupés, les rois de France (Saint-Louis, Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel), mais également les rois d’Angleterre (Edouard Ier et Edouard II), contribuent à la fondation de ces villages. Dans les confins du Gers, le sénéchal du roi de France, Eustache de Beaumarchès, au nom de son royal maître, conclut la fondation de sept bastides, dont l’une porte son nom : Beaumarchès.
Ces cités se fixent presque systématiquement dans les plaines et assez souvent en bordure d’une rivière ou d’un cours d’eau. L’organisation des bastides respecte un plan urbain régulier dit orthonormé, avec des rues parallèles qui se croisent en angle droit, formant un damier. Le point central où convergent toutes les rues de la cité est invariablement la place. Prenant la forme d’un quadrilatère (carré ou rectangle), elle est régie par un alignement fort élégant d’arcades, que l’on nomme aussi couverts, cornières ou embans. En son centre est aménagée la halle, véritable épicentre commerçant de la bastide. En effet, le but de la fondation de ces nouvelles cités consiste à favoriser et développer l’économie en motivant l’organisation fréquente et régulière de marchés et de foires à l’instar des célèbres foires médiévales de Champagne (Troyes et Provins). C’est pourquoi, afin d’aider au développement des bastides, certaines d’entre elles prennent le nom de villes réputées en Europe comme : Barcelonne-du-Gers, Plaisance-du-Gers, Cologne-du-Gers, Miélan (Milan, Italie) et Fleurance (Florence, Italie).
La plupart de ces bastides sont fondées durant les dernières décennies précédant la guerre de Cent Ans, et surtout vers la fin du XIIIe siècle. Montréal-du Gers, fondée en 1255, est la plus ancienne bastide du Gers alors que la plus récente est édifiée en 1337, à Villecomtal-sur-Arros. Cette période correspond à une ère de paix précaire qui incite justement à la construction d’espaces urbains dotés d’un système défensif sûr et solide : remparts, réseau de fossés et portes fortifiées. La règle veut d’ailleurs que ces fortifications soient édifiées par la population vivant sur le tracé des remparts de la cité.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Musique)
Gilles Bernard
Les bastides sont très largement nées de la campagne,dans une période qui va à peu près de 1220 à 1370,et dans une très grande région qui rassemble à peu près tout le Sud-Ouest de la France,c’est-à-dire les actuelles régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et le département de l’Aude.Une période donc entre 1220 et 1370 très largement dominée par le monde rural puisque,à 80 pourcent, la France dans son ensemble est formée de paysans,et c’est pendant cette période qu’on va chercher à rassembler la population de ces campagnes dans des lotissements que sont les bastides.Alors ces lotissements étaient, au départ, un ensemble donc de lots qui étaient attribués à des familles,chacune recevant au moment où elle prend sa place, une parcelle où elle va construire sa maison, une parcelle où va se trouver le jardin et des terres qui devront être défrichées. En entrant à Cologne, on entre dans le quadrillage.Donc, une route qui est toute droite qui va prendre, avec un angle très marqué pour rentrer dans le quadrillage,et tout de suite, on se trouve face à l’église qui n’est pas sur la place comme dans la plupart des paroisses d’origine médiévale.
(Silence)
Maryse Bergonzat
Pour quelle raison on a construit l’église à l’extérieur du village, c’est une position assez marginale quand même ?
Gilles Bernard
Et c’est aussi une originalité des bastides.La fonction religieuse est indispensable à toute agglomération médiévale donc il y a une église, mais elle n’est pas primordiale de sorte que c’est la place qui est au centre de la bastide,et l’église est proche de la place dans un moulon voisin, généralement, mais pas sur la place.
(Silence)
Maryse Bergonzat
Nous sommes ici aux portes de la ville de Cologne.Est-ce que ces douves ont été construites à la fondation de la ville ?
Gilles Bernard
Non, puisque les douves sont un ouvrage défensif, associées d’ailleurs à un mur dont on trouve encore des traces autour de la ville et sur lequel les maisons sont, pour certaines, accolées,et ce mur a été mis en place au moment de la Guerre de Cent Ans.A partir du moment où l’environnement politique des bastides n’était plus sûr,les habitants éprouvaient le besoin de s’entourer de murs, de se protéger, ce qui est tout à fait le contraire de la situation originelle.Situation d’ouverture, un parcellaire qui s’ouvre sur les champs, pas de risque extérieur.A partir du moment où vous avez des routiers à peu près partout,qui sèment la désolation dans toutes les agglomérations, les gens, quels que soit d’ailleurs les types d’agglomérations, bastides ou pas, éprouvent le besoin de se fortifier et donc de construire murs et douves.
Maryse Bergonzat
Quand on se promène dans la rue, on note une certaine régularité de façades à un certain rythme.
Gilles Bernard
Tout à fait, il y a eu, à la limite, une musicalité de la rue,avec un rythme à un temps qui est le rythme du départ, des parcelles étroites,et par la suite, l’agrandissement de ces parcelles qui peuvent acheter… enfin, le propriétaire de départ achète la parcelle suivante pour arriver à une maison beaucoup plus grande,donc rythme en largeur et rythme aussi quant aux matériaux utilisés, puisque vous avez des matériaux en colombage, du bois, de la terre, puis du passage à la brique, puis de la molasse, enfin de la pierre blanche,de sorte que les habitants de la bastide ont, de tout temps, utilisé toutes les possibilités offertes par l’environnement pour construire leurs maison.D’où une très, très grande diversité même si le rythme se retrouve.
(Musique)
Maryse Bergonzat
La diversité des matériaux et la régularité des façades sont encore plus nettes sur la place, un lieu facile d’accès puisque toutes les rues du village convergent vers cette place.
Gilles Bernard
Tout à fait.Donc on retrouve des termes ce qu’on avait déjà vus dans les rues,la seule grande différence, c’est qu’on voit apparaître sur la place des arcades,qui occupent la plus grande partie du tour de la place, et une halle tout à fait somptueuse qui se trouve en plein milieu.C’est-à-dire qu’on est là situé dans le lieu-même du commerce ancien du Moyen Âge,dans la mesure où tous les rez-de-chaussée des maisons qui donnaient sur la place correspondaient à des commerces.Alors la halle était évidemment le lieu central les jours de marché.Cette halle, près de laquelle vous trouviez les mesures à grains, donc un certain nombre de lieux très importants ou d’équipements publics très importants pour les échanges,et au-dessus de la halle, vous aviez des locaux qui étaient utilisés par les consuls, c’est-à-dire par le pouvoir municipal à titre d’archive,avec la cloche qui peut sonner de temps en temps qui servait de donjon.Donc, en fait, le pouvoir public, le pouvoir municipal faisait écho par le biais de la cloche à l’église qu’on a évoquée tout à l’heure.
Maryse Bergonzat
On peut imaginer donc que ce lieu était très, très animé au Moyen Âge.
Gilles Bernard
Tout à fait.Pas tous les jours, mais lorsqu’il y avait foire, lorsqu’il y avait marché, c’était l’endroit par excellence où les gens se réunissaient pour déballer leurs marchandises.C’est là où les gens des campagnes venaient se pourvoir en différents produits, en particulier en produits métalliques,qui pouvaient être acheminés soit en venant des Pyrénées soit, au contraire, en remontant la vallée en provenance de la Garonne.
Maryse Bergonzat
A quel moment la fréquentation a commencé à chuter, parce qu’on se rend compte actuellement, par exemple, que ce village est quand même assez désolé, assez mort.Les gens ont quitté ce village.
Gilles Bernard
Tout à fait.Absolument.Ça, on est frappé quand on entre dans une bastide comme Cologne par la clôture, enfin de tous les volets, par l’absence ou la quasi-absence de commerce sous les arcades.Je pense qu’on peut déjà estimer que la guerre de Cent Ans est une coupure dans l’histoire des bastides et une deuxième période de coupure qui est aussi pour tout, tout l’espace gascon si vous voulez, c’est le XVIIIème siècle.Le moment des grands chemins, des grandes routes qui vident les collines en direction de la vallée de la Garonne et Toulouse.Donc là, évidemment, l’activité économique disparaît.
Maryse Bergonzat
Quelle serait la solution pour remédier à cette désertification ?
Gilles Bernard
Ben, on peut admettre que c’est la mise en jeu d’une véritable politique d’aménagement régional, politique d’aménagement du territoire,qui ferait le choix entre des bastides qui n’auraient plus, malheureusement je dirais, qu’une fonction musée,alors que d’autres peuvent encore être sauvées et disposent d’atouts économiques qu’il faudrait aider, qu’il faudrait mettre en avant,pour leur conserver cette fonction de petits pôles micro-régionaux indispensables au Sud-Ouest pour éviter la désertification autour de Toulouse.
(Musique)
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