Les usines Berliet à Lyon : ceux qui veulent produire

18 janvier 1945
02m 05s
Réf. 00104

Notice

Résumé :

En l'absence de Marius Berliet, incarcéré au fort de Montluc au lendemain de la libération de Lyon , la direction des usines Berliet est assurée par les techniciens et les ouvriers de l'entreprise.

Type de média :
Date de diffusion :
18 janvier 1945

Éclairage

L'entreprise de Marius Berliet, d'abord installée dans le quartier de Monplaisir à Lyon s'est largement étendue à Vénissieux, sur des terrains achetés au sortir du premier conflit mondial. Pendant le second conflit mondial, Marius Berliet choisit d'abandonner la production de voitures pour s'orienter vers celle des poids lourds, camions et autocars. Située dans la zone non occupée, les usines Berliet approvisionnent en camions la zone sud, mais des véhicules sont également livrés aux Allemands. Marius Berliet, et le régime de Vichy s'en fait le chantre, envoie certains ouvriers travailler en Allemagne et deux de ses fils les accompagnent alors qu'une grève importante a eu lieu dans ses usines à l'automne 1942. Après l'occupation de la zone sud par les Allemands, l'entreprise est l'une des dernières à continuer à fabriquer des véhicules pour l'organisme qui pilote la production automobile de l'Allemagne nazie.

En avril 1944, des émissaires de la Résistance suggèrent à Berliet un sabotage de l'usine. Suite au refus, un bombardement est organisé le 2 mai 1944 par l'aviation britannique, vers 0h 30. L'usine de Vénissieux est directement visée, mais la cité Berliet où loge une partie des ouvriers est atteinte. Dans l'usine, les fonderies, les forges et les ateliers d'emboutissage sont particulièrement touchés.

Dans la foulée de la libération de Lyon, début septembre 1944, le commissaire de la République Yves Farge, ordonne l'arrestation de Marius Berliet et son internement à la prison de Montluc où étaient enfermés jusque là des résistants. Au même moment Louis Renault est arrêté pour des motifs similaires en région parisienne. L'arrestation de Marius Berliet n'entraîne pas pour autant l'arrêt de la production de l'usine. L'usine, réquisitionnée par décision de Yves Farge, devient un des terrains des expériences de gestion ouvrière qui se développent à la Libération.

Ce reportage des Actualités Françaises, diffusé en janvier 1945, n'est pas un document de court terme, il est un bilan des quatre derniers mois de 1944. Pour bien saisir les enjeux de ce reportage, il faut rappeler le contexte politique. Le Gouvernement provisoire de la République Française associe sous la présidence du général De Gaulle, les formations politiques représentées au Conseil national de la Résistance : socialistes, communistes, républicains populaires participent au gouvernement. En cette fin d'année 1944, le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, est revenu d'URSS et les milices patriotiques, une des forces militaires du PCF, ont été dissoutes.

Pour autant, l'avenir économique du pays n'est pas tranché. Le ministre de la Production industrielle, le socialiste Robert Lacoste, qui visite les usines Berliet n'est pas favorable à la réquisition des grandes entreprises accusées de collaboration et à leur gestion par ce que certains appellent des soviets – des cas similaires sont fréquents dans la région marseillaise. Les communistes semblent plutôt favorables à une nationalisation qu'à une autogestion que préconisent certains groupes politiques, comme les communistes révolutionnaires, qui récusent l'orientation productiviste du PCF. Est-ce d'ailleurs un hasard si ce document est diffusé trois jours après que les usines Renault aient été nationalisées ?

Le document s'achève sur un tableau de production daté du 26 décembre (1944) affichant les objectifs à atteindre et les objectifs réalisés dans le cadre de l'expérience. Le document renvoie par ses engagements aux tensions de la Libération qui traversent les forces sociales et les forces politiques et dont les Actualités Françaises participent pleinement. La tonalité générale du reportage est favorable à l'émergence d'une « économie nouvelle » et la chute le proclame sans ambages : « une expérience qui a réussi, ça ne s'appelle plus une expérience, cela s'appelle une réussite. ».

Bibliographie :

- Marcel Peyrenet, Nous prendrons les usines : Berliet, la gestion ouvrière, 1944-1949, Genève, Garance, 1980.

- Stéphane Launey, « Les services cinématographiques militaires français pendant la Seconde Guerre mondiale », Revue historique des armées, 2008, n°252.

- Sylvie Lindeperg, Clio de 5 à 7, Les actualités filmées de la libération : archives du futur, Paris, CNRS Éditions, 2000.

Jean-Luc Pinol

Transcription

Journaliste
A Lyon, les usines Berliet qui travaillaient pour les Allemands ont été sévèrement atteintes par les bombardements alliés. Monsieur Robert Lacoste, ministre de la Production industrielle, est venu sur place se rendre compte des résultats d’une expérience passionnante. Au lendemain de la Libération, on a arrêté Monsieur Berliet. Mais on n’a pas pour cela arrêté les usines, bien au contraire. En l’absence forcée de Monsieur Berliet, la direction est assurée aujourd’hui par les techniciens et les ouvriers de l’entreprise. Et ils ont montré qu’ils savaient prendre leurs responsabilités : reconstruire et produire. Sous cette nouvelle gestion où les ingénieurs, la maîtrise et les ouvriers travaillent côte à côte, une grande œuvre a été entreprise avec courage et avec joie. On répare tant bien que mal les ateliers éventrés. Les ouvriers sacrifient des samedis et des dimanches pour remettre en état locaux et machines.
(Musique)
Journaliste
Le triomphe d’une idée hardie et peut-être d’une économie nouvelle est au bout de cet effort collectif. Il faut prouver que les travailleurs aiment leur travail quand ils peuvent l’aimer. Quand ce travail est fait par eux, pour eux et pour le bien commun. La preuve est faite. Aujourd’hui les usines Berliet sans Berliet sont remises en marche et tournent pour le pays en guerre.
(Musique)
Journaliste
Il ne faut plus parler de l’expérience Berliet. Car une expérience qui a réussi, ça ne s’appelle plus une expérience. Cela s’appelle une réussite.
(Musique)