Paul Berliet et son usine
Notice
A Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, plus de 10 000 ouvriers se sont installés et travaillent pour l'usine Berliet. Son actuel directeur, Paul Berliet, s'intéresse à l'exportation et implante des usines à l'étranger.
Éclairage
Le reportage débute par une réflexion sur la vie complexe des grandes agglomérations. Alors que la caméra propose le panorama d'une cité ouvrière aux rues rectilignes et numérotées, le commentaire insiste sur l'écart important qui existe entre la vision stéréotypée d'une bourgeoisie lyonnaise paisible – le titre de ce reportage de la collection « croquis » du réalisateur est « Lyonnaiseries » – et la réalité de la banlieue ouvrière.
Le commentaire ne le dit pas mais le reportage porte sur l'usine Berliet de Vénissieux, construite sur les plans de Marius Berliet après la Première Guerre mondiale. Les terrains ont été achetés depuis plus de trente ans puisque Marius Berliet a acquis, pendant le premier conflit mondial, sur les communes de Saint-Priest – alors située dans l'Isère – et de Vénissieux, un vaste espace de 400 hectares pour édifier sa nouvelle usine et une cité ouvrière. Pendant le premier conflit mondial, les ateliers de Marius Berliet sont installés dans le quartier de Monplaisir à Lyon, mais il a la volonté de créer une nouvelle usine qui s'inspire des principes de l'organisation scientifique du travail que préconise Henri Ford. L'objectif est bien de construire une usine intégrée, depuis la production de l'acier – les plans montrant le travail de la fonte ou de l'acier en fusion sont nombreux – à la livraison des véhicules. Plusieurs plans du reportage soulignent d'ailleurs l'organisation des chaînes de montage et le travail à la chaîne, mais le mot n'est pas employé dans le commentaire ni dans l'entretien que « l'actuel grand patron » accorde au réalisateur « dans les étages directoriaux ».
Conformément aux principes de la Petite Église – une minorité de catholiques qui refusent les principes de la constitution civile du clergé et du concordat de 1801 –, Marius a désigné, avant sa mort, le chef de famille qui doit lui succéder. L'actuel grand patron, c'est Paul Berliet, l'avant dernier de ses enfants. Il est né le 5 octobre 1918. Après des études secondaires à Lyon, il travaille dans différents ateliers de l'usine familiale et effectue quelques stages à l'étranger. Mobilisé pendant la guerre, il réintègre l'entreprise après l'armistice de 1940. En 1944, la société des Automobiles Marius Berliet est devenue un enjeu politique et la famille se trouve dépossédée de l'entreprise où se développe dans le contexte de la Libération une expérience de gestion ouvrière. Contrairement à ce qui s'est passé pour les usines Renault, un arrêt du Conseil d'État de novembre 1949 restitue l'entreprise à la famille Berliet. Paul Berliet prend les rênes à partir de 1950. Il insiste sur le côté visionnaire de son père et souligne les méthodes de travail d'un patronat – le passage sur le refus du téléphone est révélateur – qui entend être au contact direct des ouvriers, voire de « ses » ouvriers avec la connotation paternaliste que suggère l'adjectif possessif.
La construction de la cité ouvrière sur laquelle ouvre le reportage renvoie d'ailleurs à ce paternalisme et elle s'inspire directement, avec ses maisons comprenant quatre logements au milieu d'un jardin des principes édictés au milieu du XIXe siècle par les industriels de Mulhouse en présentant dans plusieurs expositions universelles les principes du carré mulhousien qui faisait l'admiration de Napoléon III. Le fait que les rues portent des numéros est la manifestation de l'admiration que Berliet porte au fordisme. Pour autant, cette cité qui a son utilité pour une usine qui fonctionne en 3x8 n'accueille qu'une faible minorité des 13 000 ouvriers de l'usine qui sont amenés sur leur lieu de travail par des cars de l'entreprise qui sillonnent les villages de l'Isère, du Rhône et de l'Ain, voire de la Loire. Les cars de l'entreprise circulent alors de Rive-de-Gier à Villars-les-Dombes, de Belleville à Saint-Jean-de Bournay en passant par Ambérieu et La Tour-du-Pin.
Le reportage que propose Jean-Claude Bringuier et Hubert Knapp est très révélateur de ce que l'on a parfois appelé « l'école des croquis » du titre de la collection ou école de la caméra subjective. L'idée préexiste au tournage et rompt avec le style des documentaires télévisés de l'époque, souvent d'inspiration touristique. La parole est laissée aux interviewés et le temps est laissé aux téléspectateurs de regarder l'image qui lui est proposée. La description de la cité Berliet illustre bien cela avec par exemple le plan de l'ouvrier qui cultive son jardin. Cette manière de filmer impose de longs préparatifs et une compréhension de l'intérieur des sujets abordés.
Bibliographie :
- A. Pizot, «Le recrutement du personnel des « Automobiles M. Berliet »», Revue de géographie alpine, 1960, Tome 48 n°4.
On trouve aussi une fiche sur la cité Berliet sur le site du Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement du Rhône (CAUE69).