Expulsion de l'imam de Vénissieux
Notice
La Justice a décidé de renvoyer en Algérie l'imam de Vénissieux, Abdelkader Bouziane, après ses propos polémiques. Selon ses dires, le Coran autorise à battre sa femme sous certaines conditions.
Éclairage
Fait divers local promu événement national, sur fond d'inquiétude entretenue par le terrorisme islamiste, l'expulsion d'Abdelkader Bouziane, « imam de Vénissieux », est exemplaire du traitement médiatique des questions touchant l'islam en France. Au point de départ, une interview publiée dans Lyon Mag qui concentre tous les ingrédients propres à provoquer le scandale et dont la séquence retient les passages les plus sulfureux : punitions physiques des femmes par leur mari, polygamie. Abdelkader Bouziane a en charge une des mosquées de Vénissieux installée dans une rue tranquille proche des Minguettes. Il est défini abusivement comme « l'imam de Vénissieux », fonction dont la légitimité dépend des fidèles qui fréquentent le lieu de culte. Ce titre en fait implicitement le porte-parole des musulmans dans une ville de l'agglomération lyonnaise emblématique des problèmes liés à la concentration de populations immigrées, en grande partie maghrébines ou turques, et musulmanes. Elle est parmi les premières à connaître en 1981 des affrontements violents entre jeunes et policiers dans le quartier de Minguettes. A la suite de ces événements, des jeunes, des travailleurs sociaux, des associations et le père Christian Delorme, surnommé « le curé des Minguettes » imaginent en octobre 1983 une marche pour l'égalité et contre le racisme rebaptisée « Marche des beurs ». Elle va de Marseille à Paris et connaît un immense succès. L'année suivante est lancé un plan de destruction des tours d'habitation et de rénovation du quartier des Minguettes. Désormais placée « sous surveillance médiatique », Vénissieux devient un des baromètres censés mesurer la météo sociale des banlieues.
Mais les réponses du début des années 1980 ne règlent pas la question du chômage dans une ville qui a longtemps été industrielle (Berliet) et se trouve au cœur de la crise économique. Elles n'empêchent pas la pénétration de groupes inspirés par l'islam radical. Très actifs parmi les jeunes, ils s'efforcent d'imposer une interprétation de type fondamentaliste de l'islam doublée d'un projet politique qualifié de salafisme. Les injonctions morales et les prescriptions juridiques y deviennent centrales et touchent à des points sensibles de la vie sociale : relations entre les sexes, vêtement, place de la femme. Le sentiment d'une menace islamique contre les droits des femmes et les libertés individuelles progresse au gré des affaires : conflits autour des foulards à partir de 1989, affaire Kelkal en 1995 (un jeune de Vaulx-en-Velin, la cité voisine, qui a basculé dans le terrorisme et dont l'arrestation et la mort sont filmées par la TV), tensions internationales entretiennent un climat propice à nourrir les peurs.
Paradoxalement, c'est au moment où les effets positifs de la rénovation urbaine commencent à se faire sentir que Vénissieux revient au premier plan de l'actualité avec la détention à la prison de Guantanamo de Nizar Sassi qui a bénéficié d'un faux passeport pour rejoindre l'Afghanistan en compagnie d'un ami des Minguettes. Arrêté par les Américains début 2002, il sera remis aux autorités françaises en juillet 2004, quelques mois après l'affaire de Vénissieux. Certains y voient la preuve que rien n'a changé à Vénissieux et que le danger, devenu plus sournois, réside désormais dans l'activisme d'imams étrangers, en l'occurrence algériens, proches du Front islamique du salut (FIS), et liés aux filières terroristes. Dès lors il n'est pas difficile de laisser entendre qu'Abdelkader Bouziane est un des maillons de ces réseaux qui veulent imposer un ordre islamique, sapent les fondements de la République et menacent la paix publique.
La réaction des autorités musulmanes régionales, à travers Azzedine Gaci le président du Conseil français du culte musulman pour Rhône-Alpes, issu de l'UOIF réputée proche des Frères musulmans insiste sur le caractère « ulraminoritaire » d'une tendance dont il dénonce la lecture de l'islam. Celle du député maire André Gerin est plus complexe. Ce maire communiste, en pointe dans la lutte pour l'intégration des immigrés, se veut intraitable à l'égard des mouvements qui défient la laïcité et la République. Favorable à la construction d'une mosquée de grande dimension à Vénissieux, il a choisi de soutenir les associations musulmanes modérées et pourfend dans le même temps l'islam radical. Il a peut-être joué un rôle direct dans le déclenchement de l'affaire.
L'affaire de l'imam n'est au final qu'un épisode médiatisé dans une série d'expulsions passées le plus souvent inaperçues, mais dont la fréquence va s'accélérer durant les années qui suivent. Elle survient à point pour asseoir l'autorité du nouveau ministre de l'Intérieur (3 mars 2004), Dominique de Villepin, successeur de Nicolas Sarkozy. Elle contribue à conforter ceux qui souhaitent un contrôle plus étroit de l'islam et l'émergence rapide d'un « islam de France », entre les mains de musulmans français, qui adhèrent aux valeurs républicaines, donc laïques.