Hommage aux harkis

25 septembre 2001
05m 23s
Réf. 00301

Notice

Résumé :

La journée nationale d'hommage aux harkis aura lieu demain dans toute la région. Mohamed Fraine est l'un d'eux. Il raconte son arrivée en France en 1962 et son installation dans le village de Largentière en Ardèche.

Date de diffusion :
25 septembre 2001
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Éclairage

Le nom Harkis vient du mot harka, un corps de supplétifs de l'armée française, créé dès 1956 au cours de la guerre en Algérie, sous le contrôle du commandement militaire, pour organiser les villages en autodéfense contre les nationalistes et convaincre les populations. Les Harkis sont des soldats recrutés - de gré ou de force - essentiellement dans les Aurès en en Kabylie. Leur nombre s'accroît pendant la Guerre : 10 000 à la fin de l'année 1957, ils sont 60 000 trois ans plus tard. Ce n'est pas le seul corps de supplétifs ; mais le mot harkis est devenu générique pour englober tous les Algériens enrôlés par l'armée française. A la fin de la Guerre, les harkis ont été abandonnés à leur sort par le gouvernement français argumentant que les accords d'Évian prévoyaient une amnistie pour tous les actes accomplis en temps de guerre. Les harkis restés en Algérie ont été traqués et parfois tués. Les historiens ont cependant revu à la baisse les chiffres des morts après l'indépendance. Alors que certains parlent de 150 000 victimes, l'historien Charles-Robert Ageron les évalue à environ 10-11 000.

Après l'indépendance en 1962, le mot prend un sens différent selon les lieux et les contextes : en Algérie ce sont des « traîtres » ou des « collaborateurs » ; ceux qui ont pu regagner le territoire français sont des « Français musulmans nord-africains », devenus ensuite « rapatriés » : ils sont 140 000 au recensement français de 1968 qui prend en compte – catégorie officielle – mais néanmoins surprenante - « les Français musulmans nés en Algérie ». En 1962, six centres d'accueil avaient mis en place : à Bias dans le Lot-et-Garonne, à Bourg-Lastic dans le Puy-de-Dôme, à La Rye dans la Vienne, au Larzac dans l'Aveyron, à Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, à Saint-Maurice l'Ardoise dans le Gard. Mais le provisoire a duré, générant une forme de « ghetto » ; aujourd'hui encore, ces noms de camps font partie de la mémoire collective des anciens harkis et de leurs enfants. Les premières révoltes en 1974 de ces derniers dénoncent les « réserves d'indiens » et exigent la reconnaissance de la place de leurs pères dans les combats pour la France, ce qui sera obtenu seulement un quart de siècle plus tard.

Aux revendications des associations de harkis les pouvoirs publics français répondent, tardivement, par des gestes symboliques. Une loi du 11 juin 1994 signée par François Mitterrand avait déjà affirmé la reconnaissance de la dette morale de la nation à l'égard des hommes et des femmes qui ont directement souffert de leur engagement au service de notre pays à savoir « les rapatriés, anciens combattants des forces supplétives en Algérie » que la simplification mémorielle désigne tous sous le nom de « harkis ». C'est parce que certaines de leurs associations avaient déposé une plainte contre la France pour crime contre l'humanité qu'une journée d'hommage a été fixée finalement en 2001 par le président Chirac au 25 septembre.

C'est à cette occasion qu'est diffusé le reportage de FR3 région Rhône-Alpes introduit par la journaliste-présentatrice Isabelle Pham. Il se présente en deux parties : un entretien – enregistré en différé - avec Mohamed Fraine arrivé en métropole le 9 juin 1962 et envoyé en compagnie de 70 familles sur un plateau désolé au-dessus du bourg de l'Argentière. Il y construit sa maison et y élève ses sept enfants. Dans son intérieur modeste mais coquet, il raconte comment il demande le respect de la France à ses enfants, mais aussi pour ce qu'il a accompli pour la France ; il parle aussi de « ses racines différées » et de son pays natal qu'il n'a pas revu. Un autre entretien sur le plateau du studio de FR3 avec le responsable de l'association AJIR (Action, justice, information, réparations) du Rhône qui souligne les 40 ans d'oubli et l'abandon de la population dite à tort « rapatriée » et s'insurge contre la logique d'assistanat à l'égard des harkis parqués dans des camps ou des cités où il est difficile de construire une socialisation positive pour les enfants. Il se félicite de la journée nationale dédiée aux harkis.

Mais le terme harki employé encore aujourd'hui dans les cités et les écoles de l'hexagone, sert d'injure entre les plus jeunes qui, le plus souvent, ignorent tout de cette histoire.

Michelle Zancarini

Transcription

Présentatrice
La journée nationale d’hommage aux harkis sera marquée par de nombreuses cérémonies de recueillement demain dans toute la région. Il y a 2 ans, nous avions rencontré Mohamed Fraine. A son arrivée en France à la fin de la guerre d’Algérie, il a fait le choix de s’installer dans la région, à Largentière en Ardèche, je vous propose d’écouter son témoignage avant de retrouver notre invité.
Journaliste
Mohamed Fraine est français. Né en Algérie et français. Comme son père et son grand-père, il a combattu sous la bannière tricolore. En 62, l’Algérie retrouve son indépendance, Mohamed lui, trouve une nouvelle terre, l’armée a dégoté un lopin en plein cœur de l’Ardèche, à Largentière, ici rien ne poussait et pourtant, sur ce sol aride, 70 familles de harkis vont faire leur vie.
Intervenant
C’était le 9 juin, nous on est arrivé sur la plateau de Volpierre, Sur le plateau de Volpierre, y avait rien. Y avait pas le goudron, y avait pas la route, y avait pas la lumière, y avait pas l’eau, y avait rien, on était comme débarqués dans le désert comme le plateau de Larzac. Pareil.
Journaliste
Mohamed a construit sa maison et c’est ici qu’il va fonder sa famille, ses 7 enfants vont être élevés dans ce quartier de Volpierre que tout le monde appelle la Cité. Ici pas de tour, pas de barre HLM mais des harkis qui vivent entre eux à l’écart du reste de la ville. Sa vie, ce n’est plus que la France, entrecoupée de lointains souvenirs d’Algérie. Tapis de la Mecque donc.
Mohamed Fraine
Mes racines, elles sont déchirées. J’essaie de faire vivre mes racines en France mais le monde, il est évolué maintenant, on peut pas, on peut pas tenir le compte pour raciner en France. Moi, de mon point de vue, je, je dis, je suis français, je dis à mes enfants et mes petits enfants, je dis vous êtes français. Alors il faut respecter pour que vous sera, vous serez respectés par les autres.
Journaliste
Du respect, Mohamed Fraine ne demande rien de plus, il a donné 40 années à la France, et après 40 ans d’oubli, la Nation commence à peine à comprendre, comprendre ce qu'a été l’engagement sans limite de ces hommes et de ces femmes d’Algérie qui ont fait le choix de la France.
Présentatrice
Alors Mohamed Rabéhi, vous êtes Président de l’association Ajir Rhône, tout d’abord, qu’est-ce qu’un harki aujourd’hui.
Mohamed Rabéhi
Un harki. Il faut quand même définir d’abord le terme harki. Le terme harki, vient de l’arabe harka, harakat, qui veut dire mouvement. Qui représentait des soldats musulmans qui étaient engagés auprès de la France, qui s’étaient engagés pour défendre leur, leurs biens et leur famille contre un terrorisme qui était mené à l’époque par l'ALN. Ce terme est devenu beaucoup plus générique aujourd’hui puisqu’il englobe toute une population, tous ces rapatriés qui ont dû fuir l’Algérie de, pour sauver leurs vies, puisqu’elles étaient en danger. Ça comprend autant des militaires, engagés, appelés, mais également des rapatriés, des fonctionnaires, des civils, le facteur, le garde-champêtre, qui voyait sa vie menacée, ainsi que celle de sa famille, devaient fuir. Aujourd’hui, ce terme harki englobe toute cette population-là et je dirai même plus largement, certains enfants de harkis se qualifient même aujourd’hui de harkis. Ceci dit, ça peut être prêté en tout cas à discussion.
Présentatrice
Alors le nom de votre association, Ajir, justice, information, réparation, résume à lui seul toutes les attentes de la communauté. C’est en 2001 donc que l’Etat français a décidé de donner une journée nationale d’hommage, mais aujourd’hui, est-ce que ce geste vous suffit ?
Mohamed Rabéhi
Tout à fait, le Président de la République en 2001, en faisant ce, en mettant en place cette journée nationale des harkis, a fait déjà un grand pas vers la reconnaissance qu’attendaient tous les anciens harkis et leurs familles. Mais aujourd’hui, si on est heureux de ce geste, et si on est encore plus heureux de sa pérennisation, puisque un décret récent l’a pérennisé, nous sommes cependant encore dans l’attente d’un certain nombre de choses, en particulier la reconnaissance que réclament nos associations, en ce qui concerne la responsabilité de l’Etat français de 1962, en ce qui concerne l’abandon des harkis.
Présentatrice
Réparation ?
Mohamed Rabéhi
Réparation bien entendue puisque dans la mesure où on veut sortir de cette logique d’assistanat dans lequel on nous a enfermé, nous demandons aujourd’hui, une juste réparation des préjudices subis. Préjudices moraux bien entendu, mais également les préjudices qu’ont subi les familles, qui ont, qui ont vu, quand ils ont pu être rapatriées, se sont retrouvées dans des camps, en dehors de toute possibilité de socialisation. Donc ces familles, et leurs enfants en particulier, aujourd’hui, ils se trouvent dans des situations j’allais dire de grosses difficultés.
Présentatrice
Un mot du boycott de cette journée par certaines associations.
Mohamed Rabéhi
Ecoutez, je crois qu’il ne faut pas tout mélanger. Nous avons à rendre un hommage demain à nos parents, nous les enfants de harkis mais également toutes les populations. Par rapport à leur engagement, c’est une journée, c’est une journée de mémoire, un devoir de mémoire que nous leur devons. Cette journée est réservée pour ça. C’est une forme de reconnaissance qu’on leur a attribuée. Respectons-la. Demain, s’il y a des revendications, laissons, laissons-les de côté et nous avons tout le reste de l’année pour les proposer.
Présentatrice
Merci Mohamed Rabéhi.
Mohamed Rabéhi
Je vous en prie.