La grève de la faim d'ouvriers tunisiens à Valence
Notice
Démunis de carte de travail, des ouvriers tunisiens devaient être expulsés. Ils ont obtenu gain de cause, hier soir, après 11 jours de grève de la faim dans les locaux de la cure de l'église Notre-Dame à Valence.
- Rhône-Alpes > Drôme > Valence
Éclairage
La résistance aux premières mesures d'expulsion prises à l'automne 1972 avec l'application des circulaires du ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin et du ministre du Travail, de l'Emploi et de la Population, Joseph Fontanet, prend la forme de grèves de la faim qui se multiplient avec un important retentissement. Cette forme d'action avait été employée pendant la Guerre d'Algérie par des nationalistes algériens pour obtenir le statut de détenu politique (qu'ils ont fini par avoir). En juin 1962, un vieux militant de 74 ans anarchiste et pacifiste, Louis Lecoin, lance une grève de la faim pour obtenir le droit de refuser de porter les armes : un statut des objecteurs de conscience est discuté au Parlement et une loi voit le jour le 21 décembre 1963. Dans les années 68, le mode d'action est repris par des étrangers : en avril 1971, plus de 200 étudiants sénégalais protestent par une grève de la faim contre la répression sanglante dans leur pays. Ce répertoire d'action se répand ensuite auprès des « travailleurs immigrés » (expression de l'époque) pour revendiquer la carte de travail : les grèves de la faim se déroulent souvent dans les églises ou les locaux paroissiaux. Pour la première fois à l'automne 1972, dans la Drôme à Valence, un jeûne est entrepris contre l'expulsion d'un tunisien pour « atteinte à la neutralité politique » : c'est le thème du reportage de la télévision régionale présenté ici. « La grève de la faim c'est tout ce qui nous reste » disent-ils. C'est l'arme – non-violente - de ceux qui n'ont pas d'autre moyen de se faire entendre. Une discussion a lieu entre les représentants de la CFDT et du ministre du Travail social, Edgar Faure : le reportage montre bien comment l'accord est conclu sur la régularisation de 22 travailleurs tunisiens (pour les papiers) après des tergiversations sur le nombre.
Ultérieurement, au premier trimestre 1973, à Paris et à Mulhouse, des travailleurs tunisiens, menacés d'expulsion, s'engagent dans ce type d'action. Certains - un ouvrier spécialisé (OS) portugais de Billancourt, un mineur marocain du Nord et un maçon tunisien de Valence - forment un recours en Conseil d'État pour l'annulation des circulaires Marcellin-Fontanet. En mars 1973, des dizaines d'immigrés protestent par leur jeûne contre ces circulaires à Lille, Montpellier, Marseille, Nîmes, Perpignan, Toulouse, Nice, Lyon, Toulon. Le mouvement s'élargit avec la participation de Français : une grève de la faim pour l'abrogation des circulaires, pour l'obtention d'une carte de travail dès l'embauche et pour la liberté d'expression et d'association. Ils sont soutenus aussi par la CFDT qui rappelle, avec le mot d'ordre « Travailleurs français et immigrés, même patron, même combat », l'universalisme de la condition ouvrière. Les résultats concrets de ces grèves de la faim sont très variables selon les départements — de la délivrance des cartes de séjour au refus de négocier — en fonction de l'attitude des préfets et de l'importance du soutien local (en particulier des autorités religieuses, des syndicats et des partis politiques).