Une grève de la faim contre les expulsions d'immigrés

03 avril 1981
01m 40s
Réf. 00265

Notice

Résumé :

Le prêtre Christian Delorme, le pasteur Jean Costil, et l'immigré algérien en sursis d'expulsion Hamid Boukhrouma, ont entamé une grève de la faim pour protester contre les expulsions et particulièrement celles des jeunes de la seconde génération d'immigrés.

Date de diffusion :
03 avril 1981
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Éclairage

À partir de 1977, alors que le million de chômeurs est atteint et que le chômage devient la préoccupation essentielle des Français, une politique d'aide au retour dans le pays d'origine est promue par le nouveau secrétaire d'État chargé de l'Immigration, Lionel Stoléru. Le gouvernement français (dirigé par Raymond Barre) veut remettre en cause les accords conclus avec le gouvernement algérien en 1968 et souhaite rapatrier 100 000 Algériens par an pendant cinq ans. Devant les oppositions intérieures (les associations, les syndicats et les Églises) et extérieure (le gouvernement algérien), les chiffres sont revus à la baisse et le gouvernement français essaie de peser par le biais administratif sur le non renouvellement des cartes de séjour. L'immigration avait été suspendue officiellement en juillet 1974 par le gouvernement Chirac, mais le droit au regroupement familial d'abord autorisé, avait été ensuite refusé. Cependant, le droit pour tous de mener une vie familiale normale, garanti par la constitution, est confirmé par le conseil d'État en 1978. Le gouvernement met alors en place un contrôle plus rigoureux des cartes de séjour et des dossiers administratifs des immigrés qui donne lieu à de nombreuses expulsions orchestrées par le ministre de l'Intérieur. Une forte mobilisation des forces politiques de gauche en premier lieu, mais aussi de droite (élus centristes du CDS et même RPR, ces derniers au nom de la tradition gaulliste), tente en vain de faire revenir le gouvernement sur ses projets : la loi de janvier 1980 dite « loi Bonnet » rend plus strictes les conditions d'entrée et de séjour des travailleurs immigrés, autorise les reconduites à la frontière et les expulsions des « clandestins ». La précarité créée par les mesures administratives tend à gommer la limite entre immigration légale et immigration irrégulière : tout résident privilégié au chômage depuis plus de six mois peut se voir retirer sa carte de séjour. Le débat public a donc contribué à construire une nouvelle figure de l'immigré, celle du « travailleur au noir » et du clandestin. Seule la grève des travailleurs turcs du Sentier à Paris en 1980, soutenue par la CFDT, opère un temps un déplacement par rapport à cet imaginaire social et aux mesures restrictives prises par le gouvernement : le secrétaire d'État accepte d'attribuer une carte de séjour à tout travailleur « clandestin » possédant un contrat de travail délivré par les patrons textiles du Sentier.

C'est dans ce contexte – et aussi celui de la campagne pour l'élection présidentielle de mai 1981 - que se situe la grève de la faim lyonnaise du père Delorme, du pasteur Costil et d'un des immigrés sous le coup d'une expulsion en faveur de jeunes immigrés accusés d'être des délinquants et menacés d'expulsion en avril 1981. Il faut tout d'abord souligner le fait que la pratique de la grève de la faim n'était pas pour eux un mode d'action inconnu. Héritée des prisonniers politiques algériens pendant la Guerre d'indépendance, cette pratique existait en prison pour demander de meilleures conditions de détention. La grève de la faim faisait donc partie de leur univers des possibles. Cette action est soutenue et encadrée par des chrétiens progressistes de Lyon en particulier le curé Christian Delorme, prêtre à Saint-Fons, en charge de la cité des Minguettes à Vénissieux et le pasteur Costil de la CIMADE. Ils argumentent que ceux qui sont menacés d'expulsion, n'ont pas été condamnés par la justice, mais sont soupçonnés par la police de méfaits divers. Interpellé sur le sujet, le candidat Mitterrand promet la régularisation des immigrés clandestins s'il est élu.

Après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République en mai 1981, le nouveau gouvernement dirigé par Pierre Mauroy décide de suspendre les expulsions des étrangers et de régulariser 130 000 étrangers en situation irrégulière.

Michelle Zancarini

Transcription

Journaliste
Christian Delorme, Prêtre à Saint-Fons, Jean Costil, pasteur responsable de la Cimade, un service œcuménique d’entraide et Hamid, même s’ils ont déjà reçu le soutien de plusieurs organismes savent bien qu’une grande partie de l’opinion publique ne leur est pas acquise. Mais affirment-ils en cette période électorale, il est bon d’affirmer la nécessaire solidarité entre Français et étrangers et de mettre en lumière les problèmes des immigrés de la deuxième génération, à savoir tous ces jeunes nés de parents étrangers vivant en France et qui sont le plus souvent rejetés par les deux communautés. Et c’est parce qu’ils sont des exclus, ajoutent-ils, qu’il leur arrive de commettre des délits mineurs qui les placent sous la menace d’expulsion.
Intervenant 1
Alors, alors, alors…, nous voyons que l’expulsion est la grande peur chez tous les jeunes Maghrébins, et les jeunes immigrés en général, mais particulièrement chez les jeunes Maghrébins. Nous avons choisi, décidé de mener cette action un peu dure, cette grève de la faim pour obtenir du Ministère de l’Intérieur une circulaire stipulant que ne peuvent pas être expulsés des jeunes qui sont nés ou qui ont passé plus de la moitié de leur vie en France. Des jeunes qui sont peut-être de nationalité étrangère au regard de l’Administration mais qui sont français de fait.
Journaliste
Vous êtes décidé à tenir longtemps ?
Intervenant 1
Ah ! Nous irons jusqu’à ce que nous ayons obtenu cette circulaire du Ministère de l’Intérieur. Peut-être dans un mois et demi, peut-être dans deux mois, peut-être plus.
Journaliste
Lundi, certains partis politiques et syndicats devraient se prononcer sur cette initiative. Pour sa part, le Préfet de Police de Lyon, dans un communiqué, rappelle que ces expulsions sont prononcées par arrêté ministériel pour atteinte à l’ordre public, qu’elles ne concernent que des multirécidivistes qui troublent la sécurité des biens et des personnes et précise qu’il y a des périodes de probation et que parmi les expulsés, il n’y a que 3% d’étrangers nés en France.