L'abandon de Superphénix
Notice
Ce soir, le Premier ministre Lionel Jospin annoncera l'abandon du surgénérateur Superphénix. Si le démantèlement ne semble pas chose aisée, il faut prendre en compte également la reconversion du site et du personnel de la centrale.
Éclairage
Le 19 juin 1997, le nouveau Premier ministre, Lionel Jospin, annonce, lors de sa déclaration de politique générale : « le surgénérateur qu'on appelle Superphénix sera abandonné ». Il respecte ainsi un des engagements de sa campagne électorale, notamment auprès de ses alliés écologistes, « les Verts », dont la chef de file, Dominique Voynet, est devenue ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement dans son gouvernement. La décision est confirmée en février 1998, puis un décret ministériel du 30 décembre 1998 met Superphénix définitivement à l'arrêt.
C'est la fin d'une longue période de débats et de rebondissements autour d'un équipement emblématique de la politique nucléaire française. La construction du surgénérateur avait été décidée en 1974, époque où la France avait résolument fait le choix de développer son programme de production nucléaire à la suite des conséquences du choc pétrolier et du constat d'une trop forte dépendance énergétique. Le projet de construction de la centrale fut confié à la société NERSA, fruit d'une collaboration européenne et dont le capital était réparti entre EDF (51%), l'italien ENEL (33%) et la société allemande SBK (16%). En bordure du Rhône, le site de Malville, dans la commune iséroise de Creys fut alors choisi. Le projet Superphénix était très ambitieux : il s'agissait de développer la filière à neutrons rapides refroidie au sodium (RNR) différente de celle des réacteurs à eau pressurisée (REP) qui est utilisée pour la quasi-totalité des réacteurs français. La filière RNR permettait de valoriser l'uranium appauvri (bien plus abondant que l'uranium 235 nécessaire au fonctionnement des REP – ce qui pouvait apporter une solution en cas de pénurie de ce dernier, éventualité prise très au sérieux à la fin des années 1970) et de le convertir en plutonium utilisable comme combustible. Un prototype de RNR, d'une puissance de 250 mégawatts, baptisé « Phénix », avait démarré sur le site de Marcoule (Gard) en 1973. Superphénix représentait un passage, sans transition, à une puissance beaucoup plus importante de 1200 mégawatts.
De fait, de nombreuses contestations virent le jour pendant la phase des travaux. Des « comités Malville » se formèrent, marquant leur hostilité à ce surgénérateur fonctionnant au plutonium et requérant du sodium. Ces comités déploraient également la non information et la non concertation des citoyens sur cette politique. Les 30 et 31 juillet 1977 une importante manifestation dégénéra en affrontement violent avec les forces de l'ordre et se solda par la mort d'un manifestant (Vital Michalon) et une centaine de blessés. Par la suite, certains militants issus de groupes déterminés allèrent même jusqu'à effectuer des actes de sabotage sur la centrale ; en 1982 celle-ci subit même un tir de roquette.
La centrale a malgré tout été mise en activité à partir de 1986. Cependant, du fait de nombreux incidents (fuite de sodium en 1987, fuite d'argon en 1994...), de blocages d'ordres administratif et juridique et d'une redéfinition de sa fonction à partir de 1994 (il est alors défini comme réacteur expérimental et doit permettre des recherches sur les destructions de déchet radioactifs) le réacteur n'a réellement fonctionné que quelques mois en onze années (dix mois d'équivalent pleine puissance). Surtout, il s'est avéré être un gouffre financier. Un rapport de la Cour des Comptes en 1996 avait estimé à 9,15 milliards d'euros le coût complet de la centrale, de l'investissement initial à la "déconstruction" totale. Cette déconstruction a commencé dès 1999 malgré les revendications d'une partie du personnel qui demandait qu'on laisse au moins le réacteur brûler le combustible présent dans le cœur de la centrale. L'important chantier de démantèlement (qui doit s'achever en 2026) s'attache à l'extraction des éléments combustibles du réacteur puis à leur retraitement, au démantèlement de la salle des machines, à la « vidange » du sodium, hautement inflammable et explosif, puis à la démolition finale du bâtiment. Il s'accompagne également d'un chantier social : en 1997 environ 700 agents d'EDF et 400 permanents d'entreprises prestataires étaient employés par la centrale.