Les manifestations de Creys Malville
Notice
Une manifestation s'est tenue à Creys Malville contre le réacteur Superphénix. Il y a eu plusieurs blessés et un mort, Vital Michalon. L'attitude hostile de certains riverains face aux jeunes allemands venus manifester, n'entame pas les résolutions des manifestants.
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Éclairage
Depuis qu'en 1960 le général de Gaulle a bravé la communauté internationale en décidant de lancer la première expérimentation française au Sahara, alors que les pays occidentaux et l'URSS observaient un moratoire, le nucléaire est considéré comme garant de l'indépendance nationale. La grande majorité des Français a toujours soutenu le gouvernement dans sa politique et l'EDF, qui gérait ce secteur, était le fleuron du service public à la française.
La première manifestation antinucléaire organisée par l'association régionale pour la protection de la nature a lieu à Fessenheim, en Haute Alsace, en 1971, et rassemble quelques milliers de manifestants. Ils sont dix fois plus l'année suivante. Les travaux du surgénérateur Superphénix à Creys-Malville en Isère avaient démarré le 8 novembre 1974. En juillet 1976, les écologistes - dont quelques dizaines d'Allemands et de Suisses - décident une occupation pacifique du site, vite délogés par les CRS. Un an plus tard, les Comités Malville de la région Rhône-Alpes appellent à une « marche offensive, mais pacifique » vers le site, le 31 juillet 1977. 140 élus de la région appellent à y participer pacifiquement avec « les couleurs de la République » (c'est-à-dire leur écharpe tricolore d'élus). La manifestation est interdite par la préfecture de l'Isère : la CFDT dénonce alors les « risques de provocation » et refuse d'appeler à la marche ; la CGT rejette le 19 juillet le « nihilisme rétrograde » et défend le productivisme énergétique national ; le parti socialiste appelle seulement à un rassemblement devant une mairie proche ; le parti communiste, dénonce la provocation de la marche. Les seuls qui soutiennent la marche préparée dans un climat tendu sont le PSU, des groupes d'extrême gauche et l'association écologiste Les Amis de la Terre. Le Progrès titre le 30 juillet 1977 : « Creys Malville, la mobilisation n'est pas la guerre, mais elle crée les conditions du conflit ».
Plusieurs dizaines de milliers de manifestants - 60 000 selon les organisateurs, 40 000 selon la presse - se rassemblent néanmoins pour une marche en direction de la centrale. Les forces de l'ordre les laissent se regrouper puis chargent les manifestants dans les champs à l'aide de grenades lacrymogènes et offensives, ce que montrent les images du reportage. Le bilan est lourd : des dizaines de blessés, trois mutilés (deux parmi les manifestants, un Allemand qui a eu la main arrachée et un Français la jambe déchiquetée, un CRS sa grenade lui ayant explosé dans la main) et un mort - Vital Michalon, un professeur de physique de la Drôme âgé de 31 ans qui a reçu une grenade offensive dans la poitrine. Le préfet de l'Isère, René Janin, annonce le décès en disant qu'un Allemand est mort d'une crise cardiaque : la responsabilité des forces de l'ordre est ainsi niée et la figure de « l'ennemi héréditaire » est réactivée ; la xénophobie anti-allemande se donne alors libre cours.
La manifestation est suivie très vite par un procès le 6 août : sept Allemands, trois Français et deux Suisses arrêtés plusieurs heures après les faits comparaissent en flagrant délit. Plusieurs condamnations à trois mois de prison ferme sont prononcées et confirmées ensuite en appel. À Creys-Malville, l'État a choisi l'affrontement, aidé par l'isolement politique des écologistes. Sur place, le manque d'organisation et de coordination des manifestants dispersés dans les champs a fait le reste. Le combat anti-nucléaire s'est heurté à la certitude, largement partagée, selon laquelle lutter contre le nucléaire, c'est lutter contre l'indépendance de la nation. Ceci explique la faiblesse et l'isolement des contestataires sur cette question et la violence des réactions de l'État à Creys-Malville, quand le « tout nucléaire » était attaqué.