Rétrospective Pierre Soulages à Tokyo

18 mars 1984
04m 53s
Réf. 00014

Notice

Résumé :

Dans un dialogue avec Pierre Daix, Pierre Soulages parle de sa rétrospective organisée à Tokyo. Il évoque la façon particulière qu'ont les Japonais de regarder les toiles.

Type de média :
Date de diffusion :
18 mars 1984
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Transcription

(Musique)
Pierre Daix
La rétrospective de Pierre Soulages vient de se tenir à Tokyo, au musée Seibu qui occupe le dernier étage des grands magasins du même nom. On y accède par les ascenseurs qui desservent tous les rayons. Mais c’est un véritable musée.
(Musique)
Pierre Soulages
Il y a quelqu’un, à la source, qui est à la tête des affaires Seibu qui s’appelle monsieur Tsutsumi et qui est poète, qui a édité des livres de poésie et qui accorde un grand prix, évidemment, à tout ce qui est culturel. Alors l’organisation Seibu côté grand magasin, c’est une chose. Mais à côté de ça, il y a le musée Seibu avec une cinquantaine de personnes, 10 conservateurs et des vrais professionnels qui savent ce qu’est la peinture et qui tiennent à montrer les choses qu’ils considèrent comme importantes. C’est formidable à cause de l’organisation et puis aussi à cause du regard particulier que les gens qui visitent les expositions au Japon ont devant ce qui est montré. J’ai été très frappé, au musée Seibu, de voir beaucoup de gens qui regardaient attentivement les toiles comme à Paris mais qui allaient d’une toile à l’autre et qui revenaient à la première, et qui, quelquefois, plusieurs fois, ce qui est une manière de regarder qui n’est pas fréquente, ici, où l’on voit plutôt les gens qui regardent une peinture, qui passent ensuite à la suivante. Alors que la, il y avait continuellement un chassé-croisé de gens qui allaient d’un bout à l’autre et d’une toile à une autre.
(Musique)
Pierre Soulages
Mais si cela a intéressé les Japonais, je suppose que, peut-être, ils ont aussi les yeux formés à une analyse de la forme. Leur sensibilité formée à une analyse de la forme qui leur fait ressentir ce que fais plus aisément, sans qu’on lève les bras au ciel comme on le faisait à Paris lorsque j’ai montré mes premiers tableaux. C’est peut-être une raison. La vraie raison de ma rétrospective au Japon, c’est que les Japonais sont très curieux et intéressés par la novation, par la modernité de ce qu’il se passe. En tout cas, j’avais eu, déjà, des relations… Mais c’est la première fois que j’ai une grande exposition au Japon. J’avais eu, déjà, des toiles exposées depuis très longtemps. Et quand même, il me vient à l’esprit… Je pense à une chose. La première revue qui se soit intéressée à ma peinture, c’est une revue de calligraphes japonais. Oui. En 1950-51, je crois. C’est une revue qui était… dont le nom était [Bokubi], ce qui veut dire, je crois, beauté du blanc et du noir. Et les calligraphes expliquaient que ce n’était pas de la calligraphie, d’ailleurs, mais que s’ils s’intéressaient à mon travail, c’est peut-être aussi parce que comme la calligraphie, c’était un art de l’outil, un art du pinceau. Il y avait quelque chose en commun. Mais ça fonctionnait. Ça fonctionne tout à fait différemment.
Pierre Daix
Oui, mais ils ont quand même dû être épatés parce qu’il y a un sérieux changement d’échelle entre toi et cette peinture ?
Pierre Soulages
Oui.
Pierre Daix
Je vois, par exemple, le geste derrière toi sur ce tableau qui est un geste… Bon, on voit ta carrure de rugbyman…
Pierre Soulages
Oui, la forme…
Pierre Daix
Le joueur de paume. Et je sais que tu m’as même parlé un jour d’un geste de 3 mètres.
Pierre Soulages
Ah non, ce n’est pas moi. C’est moi qui ai parlé d'un geste de trois mètres ?
Pierre Daix
Je ne sais pas.
Pierre Soulages
Mais on peut. Ce n’est pas un geste. D’ailleurs, moi, le mot de geste ne me plaît pas. Mais c’est une trace qui peut avoir 3 mètres, oui, d’accord. Parce que ce qui compte, ce n’est pas le geste. Le geste renvoie à une gestuelle, c'est-à-dire presque à une gesticulation, ou à une danse pour ne pas être péjoratif. Et quand on voit… Moi, ce qui m’intéresse, c’est la trace. C’est toujours ce qui se produit sur une toile. La manière dont ça se produit, ce n’est pas capital. Je ne crois pas. C’est en cela que je ne me suis jamais considéré comme un peintre gestuel.
(Musique)