Journaliste
Le Président de la République devait se rendre à l'Hôtel de Ville, où il allait prononcer un important discours rappelant les évènements qui devaient libérer Paris.
Charles de Gaulle
Aujourd'hui, après 20 ans, et en complète connaissance de cause, la patrie peut et doit reconnaître quel service qui engageait l'avenir lui a été rendu alors dans sa capitale.
D'abord, il fallait que Paris lui-même combattît pour briser ses chaînes, au lieu d'être un enjeu passif entre l'ennemi et les alliés.
Certes, les moyens étaient faibles dans la ville, que depuis 4 ans, l'ennemi aidé par ses collaborateurs s'employait à vider de tout ce qui pouvait lutter.
Après l'arrestation de tant et tant de résistants, déportés en grand nombre, les derniers par le train du 15 août ou fusillés par milliers, les derniers au Bois de Boulogne,
Après les fouilles perpétuelles des personnes et des maisons, après l'effort constant d'une propagande qui s'acharnait à répandre le désespoir et la délation, on pouvait se demander s'il resterait dans Paris assez d'hommes résolus,
et disposant d'armes suffisantes pour engager le combat contre une garnison allemande de plus de 20.000 soldats, 80 chars, 60 canons, 60 avions, sans compter les renforts qui pourraient lui être envoyés.
Eh bien le fait est, que le 19 août, la police parisienne s'emparait de cet Hôtel de Ville et ouvrait le feu sur l'occupant.
Aussitôt, les éléments des forces de l'intérieur entraient en ligne à leur tour, utilisant avec audace un armement rare et disparate, et moyennant des pertes qui dépassèrent 4.000 hommes, dont plus d'un millier de tués, bloquait l'ennemi dans ses réduits.
Partout la population assistait et acclamait les combattants de la résistance.
Mais pour venir à bout des puissantes organisations que l'ennemi tenait dans tous les points essentiels, et pour empêcher les troupes allemandes venant de l'extérieur de s'introduire dans la ville, il fallait l'intervention d'une grande unité régulière, fortement armée et équipée.
Il était évidemment de la plus haute importance nationale qu'elle appartînt à l'armée française, et enfin tout devait être fait pour qu'elle arrivât à temps.
Ces conditions ont été remplies.
On sait qu'en vertu d'un plan, longuement poursuivi par nous, et non sans heurt, la deuxième division blindée participait aux côtés de nos alliés à la bataille de France.
On sait dans quelles circonstances elle fut lancée sur la capitale.
On sait qu'après avoir brisé la défense germanique à la lisière du grand Paris, on sait comment elle se rendit maîtresse de la ville, avec l'aide efficace et courageuse des partisans, fit capituler l'ennemi, d'ailleurs désemparé par ses revers en Normandie et en Provence, et repoussa l'ultime contre-attaque qui pénétrait dans la banlieue nord.
Mais pour fixer le destin de la France, il ne suffisait pas qu'elle fût libérée notamment dans sa capitale. Si brillante et méritoire qu'ait été l'action militaire, menée par la division Leclerc et ses 3 groupements, Billotte, Langlade et Dio, ainsi que par les forces de l'intérieur de Rol-Tanguy et de Marguerittes, il fallait que Paris en conséquence montrât de toute son âme qu'il voulait voir la rénovation du pays et de la république.
Il fallait qu'après avoir subi l'opprobre et l'abandon, et quelles que puissent être dans le succès survenu les ambitions partisanes, il consacrât la légitimité du gouvernement de la résistance, c'est-à-dire de la défense nationale.
Ainsi, la direction à suivre serait-elle montrée au pays, tandis que l'univers connaîtrait le choix de la France. Cela fut fait.
A partir du 19 août, les responsables civils et militaires, nommés d'avance par le gouvernement, et groupés autour de Parodi, de Chaban-Delmas, de Luizet, de Flouret, établissaient l'autorité de la république dans les ministères, les préfectures de police et de la Seine, les services publics, les mairies, les centres de commandement.
Le 25, après avoir pris contact à Montparnasse avec les chefs des combattants, j'avais moi-même l'honneur d'installer l'Etat en son centre qui était naturellement le ministère de la guerre, puis d'aller saluer la police parisienne, et enfin, d'apporter dans cet Hôtel de Ville, au cours d'une cérémonie inoubliable, le témoignage du pays et du gouvernement au Conseil National de la Résistance, et au Comité Parisien de la Libération.
Le 26 août, à l'occasion du défilé, entre l'Arc de Triomphe et Notre Dame, au milieu d'une foule immense, et saisie d'une ferveur indicible, avait lieu une démonstration de l'unité nationale, à la dimension d'une grande cause, d'un grand peuple, et d'une grande histoire.
Mais si nous pouvons aujourd'hui, grâce aux exploits accomplis, il y a 20 ans, commémorer dans la fierté et la fraternité la libération de Paris, c'est aussi notre devoir de regarder bien en face afin d'en tirer la leçon, l'origine des malheurs qui avait jeté la capitale aux souffrances et aux outrages.
Car l'invasion, la capitulation, l'oppression, n'avaient été rien d'autre que la sanction d'un effondrement politique, militaire et moral, lequel résultait de la longue inconsistance de nos pouvoirs publics, des graves lacunes de nos moyens, et des multiples incertitudes et divisions de notre pays.
Certes le passé ne recommence jamais tel qu'il fut, mais quelles que doivent être les conditions dans lesquelles se déroulera notre avenir, au sein d'un monde toujours plein de périls, assurons-nous des garanties élémentaires que sont dans tous les cas, un Etat solide, une défense moderne et une nation rassemblée.
Vive Paris ! Vive la République ! Vive la France !