Conférence de presse du 19 mai 1958

19 mai 1958
10m 08s
Réf. 00210

Notice

Résumé :

Immédiatement après la grave crise politique du 13 mai 1958, le général de Gaulle convoque la presse au Palais d'Orsay, pour montrer quelles sont les causes de la situation où se trouve la France et pour préciser la portée de sa déclaration du 15 mai, dans laquelle il se déclarait "prêt à assumer les pouvoirs de la République".

Type de média :
Date de diffusion :
01 janvier 1958
Date d'événement :
19 mai 1958
Type de parole :

Éclairage

Depuis le 13 mai 1958, l'Algérie est en situation de dissidence par rapport au gouvernement français, gouvernée par les Comités de Salut Public regroupant les activistes européens et certains éléments de l'armée, cependant que des manifestations de fraternisation entre Européens et musulmans y sont organisées. Le 15 mai, le Général Salan, commandant en chef de l'armée d'Algérie, nommé délégué général par le gouvernement, a fait appel au général de Gaulle sous la pression des éléments gaullistes du Comité de Salut public. Le même jour, le général de Gaulle a publié un communiqué rejetant sur le "régime des partis" la détérioration de la situation en Algérie, ne condamnant ni les insurgés d'Alger ni l'indiscipline des chefs militaires, mais se présentant en recours prêt " à assumer les pouvoirs de la République". Bien que ce communiqué ait été rédigé avant l'appel du Général Salan, il apparaît à l'opinion comme une réponse à celui-ci, donnant le sentiment que de Gaulle a partie liée avec les insurgés d'Alger.

C'est pour clarifier sa position que le général de Gaulle convoque le 19 mai une conférence de presse dont l'objet est double : confirmer et préciser le sens de sa déclaration du 15 mai et rassurer les Français sur ses intentions. Après une déclaration liminaire au cours de laquelle il rappelle le rôle qu'il a joué dans le passé et reprend son réquisitoire contre le "régime exclusif des partis " dont les carences rendent compte à ses yeux de la crise algérienne, les réponses qu'il fournit aux questions des journalistes sont centrées autour des deux objectifs qu'il assigne à sa conférence de presse et que retiennent les extraits filmés.

Concernant la situation en Algérie, il la présente comme résultant du désarroi de la population et de l'armée qui redoutent l'impuissance du pouvoir politique et se tournent vers de Gaulle pour y remédier. En ce qui touche à son éventuel retour au pouvoir, il affirme son intention de n'agir que dans la légalité, rappelant son passé comme gage de ses intentions, mais se refusant cependant à envisager de se soumettre à la procédure habituelle de désignation des présidents du Conseil qui le contraindrait à se ravaler au niveau des partis qu'il n'a cessé de critiquer. Enfin, il écarte d'un revers de main la question évoquant la crainte que son retour au pouvoir signifie une atteinte aux libertés publiques en ironisant sur ceux qui lui prêtent (à 67 ans!) des intentions dictatoriales

Serge Berstein

Transcription

(Silence)
Charles de Gaulle
Mesdames, Messieurs, Il y aura tantôt 3 années que je n'ai eu le plaisir de vous voir. Lors de notre dernière rencontre, si vous vous en souvenez, je vous avais fait part de mes prévisions et de mes inquiétudes quant au développement probable des évènements. Et aussi quant à ma résolution de garder le silence, jusqu'au moment où en le rompant, je pourrais servir le pays. Et en effet, depuis lors, les évènements ont été de plus en plus graves. Ce qui se passait en Afrique du Nord, depuis quatre ans, était une très lourde épreuve, ce qui se passe en ce moment, en Algérie, par rapport à la métropole et dans la métropole par rapport à l'Algérie, peut conduire à une crise nationale extrêmement grave. Mais aussi, ce peut être le début d'une espèce de résurrection. Voilà pourquoi le moment m'a semblé venu où il pourrait m'être possible d'être utile, encore une fois, directement, à la France. Utile pour quoi ? Parce que, naguère, certaines choses se sont passées, ont été accomplies, que les Français le savent, que les peuples qui sont associés aux nôtres ne l'ont pas oublié et que l'étranger s'en souvient. Et peut-être, cette espèce de capital moral, pourrait-il, devant les difficultés qui nous assaillent, les malheurs qui nous menacent, pourrait-il avoir son poids dans la politique, dans un moment de grave confusion. Utile aussi parce que c'est un fait dont nous devons tous prendre acte, tous qui que nous soyons. C'est un fait que le régime exclusif des partis n'a pas résolu, ne résout pas, ne résoudra pas, les énormes problèmes avec lesquels nous sommes confrontés. Notamment, celui de l'association de la France avec les peuples d'Afrique. Celui aussi de la vie en commun des diverses communautés vivant en Algérie. Et même celui de la concorde à l'intérieur de chacune de ces communautés. Le fait est là, je répète que tout le monde doit en prendre acte. Les combats qui se livrent, en Algérie, et la fièvre qui bouillonne ne sont que les conséquences de cette carence. Et si les choses continuent, de la façon dont elles sont engagées, nous savons tous parfaitement bien que le régime tel qu'il est ne pourra pas y trouver d'aboutissement. Il pourra faire des programmes, manifester des intentions, exercer même des actions, des efforts en sens divers, et je répète qu'il ne, n'ira pas à des aboutissements. Et qu'alors, nous risquons que ces aboutissements nous soient un jour imposés du dehors, ce qui serait, sans aucun doute, la solution la plus désastreuse possible, comme dans la précédente grande crise nationale, à la tête du gouvernement de la République Française. Ceci dit messieurs, je suis prêt à répondre à telles ou telles questions que vous voudrez bien me poser. Cependant, comme je vois que beaucoup d'entre vous, dont je reconnais d'ailleurs avec plaisir les visages, se prépareraient à me poser des questions de toutes sortes, je tiens à dire qu'aujourd'hui, je ne répondrais, et vous m'en excuserez et vous le comprendrez bien, je ne répondrais qu'à ce qui a trait à la question des institutions. Moi compris, si vous voulez bien.
Journaliste 1
Vous aviez dit que vous vous teniez prêt à assumer les pouvoirs de la République. Qu'entendez-vous au juste par là ?
Charles de Gaulle
Je vais vous répondre au mieux. Les pouvoirs de la République, quand on les assume, ce ne peut-être que ceux qu'elle-même vous aura délégués. Voilà pour les termes qui me paraissent parfaitement clairs. Et puis alors maintenant, il y a l'homme qui les a prononcés. La République, il fut un temps où elle était reniée, trahie, par les partis eux-mêmes, et moi, j'ai redressé ses armes, ses lois, son nom !
Journaliste 2
(...) (Question inaudible) Comment jugez-vous les événements actuels d'Alger ?
Charles de Gaulle
En Algérie, il y a une population, tant française de souche que musulmane, qui depuis des années est dans la guerre, les meurtres, les attentats. Et cette population constate, depuis que cela dure, que le système actuel établi à Paris ne peut pas résoudre ses problèmes. Bien mieux, ils ont vu ce système, récemment, s'orienter vers les offices de l'étranger. Ils ont entendu l'homme, qui est d'ailleurs mon ami, et qui se trouvait, à ce moment là ministre de l'Algérie, sur place déclarer publiquement : " Nous allons à un Dien Bien Phu diplomatique". Comment voulez-vous qu'à la longue, cette population, dans la fièvre où elle est, ne se soulève pas ? Elle voit, à Paris, les crises succéder aux crises. Indéfiniment, les mêmes représentants des mêmes partis, se répartir, se mélanger, dans les mêmes postes ministériels sans qu'il en sorte jamais rien de net, de précis et d'efficace. [...] ni décider, parce que les choses et les esprits vont vite.
Commentateur
Au moment
Journaliste 1
Mon Général
Charles de Gaulle
Oui. Attendez, je suis à vous. Voilà ... [...] assumer, à se voir déléguer, des pouvoirs exceptionnels pour une tâche exceptionnelle, dans un moment exceptionnel, évidemment, ça ne pourrait pas se faire, suivant les rites et la procédure, tellement habituels que tout le monde en est excédé. Donc, il faudrait adopter une procédure, elle aussi, exceptionnelle, pour l'investiture de l'Assemblée Nationale, par exemple.
Journaliste 3
Celui dans le domaine intérieur ou dans le domaine extérieur ?
Charles de Gaulle
Si vous me permettez, je vous répondrai ceci. Dans le cas où il me serait demandé par le peuple français un arbitrage, dans ces matières que vous venez d'évoquer, eh bien, c'est une raison de plus pour que actuellement, je ne vous indique pas quelles seraient les conclusions de mon arbitrage. Pour rendre un arbitrage, il faut avoir entendu les parties en cause, il faut avoir rendu le jugement, et il faut être en mesure d'en imposer l'exécution. Toutes choses qui actuellement n'existent pas. Je ne connais pas de juge qui donne son jugement avant les audiences.
Journaliste 4
(Question inaudible) Certains craignent que, si vous reveniez au pouvoir, vous attentiez aux libertés publiques.
Charles de Gaulle
Est-ce que j'ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ? Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ?