Discours de l'Albert Hall

11 novembre 1942
07m 30s
Réf. 00001

Notice

Résumé :

Du long (près de huit pages dans l'édition Plon du tome 1 des "Discours et Messages") et magnifique discours prononcé par le général de Gaulle le 11 novembre 1942, le document ci-joint ne présente que quelques paragraphes. Diffusés le 1er janvier 1943, c'est-à-dire après l'assassinat de l'amiral Darlan et alors que la crise ouverte par le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord est entrée dans une phase moins aigue, ces extraits rappellent l'essentiel du message martelé par de Gaulle le 11 novembre. L'homme du 18 Juin y rend hommage au combat et aux sacrifices de la France combattante. Il y affirme envers et contre tous - et notamment les Alliés ! - que "c'est dans la France combattante que toute la France doit se rassembler". En d'autres termes, seuls celles et ceux qui, dès le premier jour, en France même ou avec de Gaulle, se sont dressés contre l'occupation et contre le régime de Vichy sont habilités à donner à la France "la direction de son combat".

Type de média :
Date de diffusion :
01 janvier 1943
Date d'événement :
11 novembre 1942
Type de parole :

Éclairage

Le 11 novembre 1942 à 17h, le chef de la France combattante prend la parole devant les Français de Grande-Bretagne dans l'immense salle de concert londonienne de l'Albert Hall. Préparé de longue date, l'événement est quasi rituel, puisque le Général s'est exprimé ainsi un an plus tôt et le 18 juin 1942. Toutefois le discours du 11 novembre 1942 intervient dans un contexte dramatique. En effet, le 8 novembre, les forces anglo-américaines ont débarqué en Algérie et au Maroc. Tenu à l'écart de l'opération, de Gaulle n'en a pas moins appelé à la radio les Français d'Afrique du Nord à se joindre aux Alliés. Mais ce 11 novembre, alors que les troupes allemandes approchent de Marseille, le chef de la France combattante vient d'apprendre que l'amiral Darlan a ordonné un cessez-le-feu étendu à toute l'Afrique du Nord. Au yeux de l'homme du 18 Juin, la man?uvre alliée est claire qui vise à s'assurer de l'Afrique du Nord tout en marginalisant la France combattante. Celle-ci s'apprête donc à traverser la plus grave crise de son existence. Une crise que sous la houlette du général de Gaulle, elle affrontera en faisant montre de la plus grande intransigeance : refus absolu de traiter avec "l'expédient temporaire" Darlan ; combat farouchement mené sur le plan de la morale politique ; appel résolu, répété et? fructueux à la Résistance intérieure et aux opinions publiques. C'est en quelque sorte en ouverture de rideau de ces très difficiles semaines que l'homme du 18 Juin prononce son remarquable discours du 11 novembre 1942.

Guillaume Piketty

Transcription

(Silence)
Charles de Gaulle
Messieurs, Mesdames, je dis que la Résistance française, négativement et positivement, a fait échouer le plan politique d'Hitler. Je dis que, sans la Résistance française, les démocraties ne pourraient pas gagner la guerre mais il reste à faire en sorte que cette guerre soit gagnée par elle avec la France ! Je dis la France, c'est-à-dire une seule nation, un seul territoire, un seul empire et une seule loi ! Ah certes, dans l'abîme effrayant où nous avait fait rouler le désastre et la trahison, mille forces centrifuges se sont exercées sur l'unité de la France. Ou du moment qu'un pouvoir illégitime et soumis aux ordres de l'ennemi tournait contre l'honneur, contre l'intérêt, contre la liberté du peuple, tous les moyens du gouvernement, du moment que ce pouvoir répandait partout une propagande tendancieuse, cherchent à diviser la nation contre elle-même en jetant l'anathème contre des catégories entières de citoyens. Et d'abord, entre ceux qui continuaient la lutte pour la patrie du moment que l'empire se déchirait en deux, une partie qui continuait à être tyrannisée et l'autre qui était libérée par le combat alors, certes, l'union nationale subissait de bien graves dangers. Et, cependant, c'est un fait qu'elle survive et qu'elle subsiste parmi les Français, qu'ils soient dispersés par la force ou qu'ils soient sollicités par le désespoir. C'est un fait que l'accord secret des âmes s'est réalisé et c'est un fait que cet accord est maintenant public. La masse française est unie en réalité sur trois impératifs que voici : premièrement, l'ennemi est l'ennemi. Deuxièmement, le salut de la patrie n'est que dans la victoire. Troisièmement, c'est dans la France combattante que toute la France doit se rassembler ! Le ciment de l'unité française, c'est le sang des Français qui n'ont pas, eux, accepté l'armistice, qui, malgré Rethondes, continuent à mourir pour la France. De ceux qui n'ont pas voulu connaître, suivant le vers de Corneille, " la honte de mourir sans avoir combattu ". Oui, c'est [le cas] sacrifice total de certains pour le salut de tous qui rassemble toute la patrie : soldats morts de Keren, Koufra, Mourzouk, Damas, Bir-Hakeim, Hameimat. Marins de nos navires coulés : Narval, Surcouf, Alice, Mimosa, Poulmic, Viking, Chasseur Huit. Aviateurs tués dans les ciels des batailles d'Angleterre, d'Orient, d'Afrique. Volontaires françaises écrasées à votre poste. Equipages de nos navires marchands détruits en service commandé. Combattants de Saint-Nazaire tombés le couteau à la main. Fusillés de Nantes, de Paris, de Lille, de Bordeaux, de Strasbourg. Et d'ailleurs, c'est vous qui faites que la patrie est indivisible. Le centre autour duquel se refait l'unité française, c'est la France qui combat. A la nation mise au cachot, nous n'avons jamais rien offert nous, excepté la lutte et l'effort. Eh bien, il a suffi de cela pour que ce soit vers nous que s'établisse le courant national. Nous avons entendu parler quelquefois de territoires, de troupes, de groupements qui se sont ralliés à nous. Nous voyons arriver tous les jours des hommes venant de toutes les parties de la France et de l'empire qui ont tout surmonté pour nous rejoindre. Et, nous savons bien quel développement énorme ont pris, en France même, nos vaillantes phalanges d'action et qui s'appellent Combat, Libération, Francs-Tireurs, Avant-Garde. Nous connaissons le nombre immense des Français et des Françaises qui nous attendent avec ferveur. Eh bien, où sont les territoires, les troupes et les groupements qui nous ont quittés pour aller jouir des bienfaits de l'armistice ou des douceurs de l'ordre nouveau ? Où est la liste de ceux qui coururent rejoindre Vichy ? Et, qui donc a accepté d'être fusillé pour confesser la collaboration ? Et, enfin, qui a troqué sa Croix de Lorraine pour le portrait du maréchal ? En vérité, tous les jours, la nation plébiscite la France combattante. C'est vers elle qu'elle se tourne. C'est en elle qu'elle se reconnaît. C'est d'elle seule qu'elle attend la direction de son combat ! La France est rassemblée dans une seule volonté et dans une seule espérance, la France toute entière, à la seule exception des traîtres. Eh bien, de même qu'ici, nous nous trouvons réunis, des milliers de Français, des milliers de Françaises, de tous les pays de chez nous, et dont la réunion donne comme une image de la patrie elle-même. De même, dis-je, que nous nous trouvons réunis, côte à côte, dans un même acte de foi, sous le signe immortel de notre Croix de Lorraine. Ainsi, soyons-en sûrs, la France sera rassemblée toute entière dans le dernier effort qui l'attend : un seul combat pour une seule patrie !