Discours de Bayeux

16 juin 1946
11m 23s
Réf. 00007

Notice

Résumé :

Visite du général de Gaulle à Bayeux pour y présider les fêtes organisées par la municipalité en commémoration de sa visite à cette ville, la première libérée, dans les premiers jours de la bataille de France de juin 1944. De Gaulle rappelle la Libération grâce à la victoire finale des alliés et de la France, ce qui permet la réapparition sur le sol des ancêtres de l'Etat légitime. Puis il souligne l'urgence de bâtir les institutions nouvelles de la France et expose, de façon précise, sa vision des institutions, marquée par une profonde rénovation, avec deux idées principales : le pouvoir exécutif ne doit pas procéder du Parlement et c'est d'un chef de l'Etat fort que doit procéder le pouvoir exécutif.

Type de média :
Date de diffusion :
16 juin 1946

Éclairage

Un an après la fin de la guerre en Europe, la France est en pleine reconstruction. La tâche est ample et rude, y compris au niveau politique. Les élections locales puis l'élection d'une assemblée constituante en 1945 ont certes marqué le retour à la démocratie. Mais il manque au pays des institutions et la France est toujours dirigée par un gouvernement provisoire. Les Français rejettent lors du référendum du 5 mai 1946 le projet de constitution qui leur est proposé par une majorité PCF-SFIO. Une deuxième assemblée constituante élue le 2 juin 1946 prépare un autre texte.

De Gaulle, qui a démissionné de ses fonctions de président du Gouvernement provisoire de la République française le 20 janvier 1946, ne s'est pas prononcé sur le premier projet de constitution et n'a pris la parole qu'une fois depuis son départ, le 12 mai, sur la tombe de Clemenceau en Vendée. De Gaulle se rend à Bayeux (Calvados) où il est invité pour présider les fêtes de commémoration de la libération de cette cité, première ville de France libérée le 16 juin 1944.

Bibliographie : François Decaumont (dir.), Le discours de Bayeux, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1991.

Bernard Lachaise

Transcription

Charles de Gaulle
Dans notre Normandie glorieuse et mutilée, Bayeux et ses environs ont été les témoins d'un des plus grands événements de l'Histoire et nous attestons qu'ils l'ont bien mérité et qu'ils s'en sont montrés dignes. Ici, quatre années après le désastre initial de la France et des alliés, commença la victoire finale des alliés et de la France ! Ici, l'effort de ceux qui n'avaient jamais cédé et autour desquels, à cause de cela, s'étaient rassemblé l'instinct national et reformée la puissance française, trouva sa décisive justification. En même temps, c'est ici que, sur le sol des ancêtres, réapparut l'Etat, l'Etat légitime. Sa volonté de survivre et de triompher n'avait jamais tenu le désastre de 1940 pour autre chose que pour une péripétie dans la lutte mondiale où la France servait d'avant-garde. Si beaucoup se plièrent par force aux circonstances, le nombre de ceux qui les acceptèrent dans leur esprit et dans leur coeur fut littéralement infime. Jamais, non pas une seconde, la France ne crût que l'ennemi n'était pas l'ennemi et que le salut était ailleurs que du côté des âmes de la liberté. Partout où se déchiraient les voiles, le sentiment profond du pays apparaissait dans sa réalité. Partout, où paraissait notre Croix de Lorraine, s'écroulait l'échafaudage d'une autorité fictive bien qu'elle fut en apparence constitutionnellement fondée, tant qu'il est vrai que les pouvoirs publics ne valent que s'ils reposent sur l'intérêt supérieur du pays et sur l'adhésion générale des citoyens. En matière d'institutions, bâtir sur autre chose, ce serait bâtir sur du sable, ce serait risquer que l'édifice s'écroule. Une fois de plus, à l'occasion d'une de ces crises auxquelles, par la nature des choses, notre pays se trouve si souvent exposé. Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l'Etat dans la victoire remportée et dans l'unité nationale maintenue, aucune tâche n'était plus urgente et plus essentielle que de bâtir les institutions nouvelles de la France. Dès que cela fut possible, le peuple français fut donc invité à élire ses constituants tout en fixant à leur mandat des limites déterminées et en se réservant à lui-même la décision définitive. Puis le train mis sur ses rails, nous-mêmes, nous sommes retirés de la scène pour ne pas jeter dans les luttes politiques ce que, en vertu des événements, nous pouvons symboliser, qui appartient à la nation tout entière ! Et aussi, pour qu'aucune considération relative à un homme, tandis ce que (...) fédéraux et municipaux, et qui aura pour tâche d'amener la première assemblée à réviser, s'il y a lieu, ses premières décisions ou à examiner d'autres projets. Il sera normal d'y introduire également des représentants des grandes organisations économiques, familiales, intellectuelles de telle manière que, à l'intérieur même de l'Etat, se fasse entendre la voix des grandes activités du pays. Les membres de cette deuxième assemblée, se réunissant avec les représentants désignés par les assemblées locales des territoires d'outre-mer, constitueront le grand Conseil de l'Union française, apte à délibérer des questions et des lois qui concernent l'Union française, en particulier les relations extérieures, les budgets, les rapports intérieurs, la défense nationale, l'économie et les communications. Du Parlement ainsi composé de deux chambres, il est clair que ne peut pas et ne doit pas procéder le pouvoir exécutif sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs, qui aurait pour résultat que le gouvernement de la France ne serait bientôt plus qu'un assemblage de délégations ! Sans doute aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l'Assemblée nationale constituante le Président du gouvernement provisoire parce que, sur la table rase, il n'y avait pas d'autres procédés acceptables de désignation, mais cela ne peut être qu'un expédient du moment. En vérité, l'unité, la cohésion, la discipline, l'intérieur du gouvernement de la France doivent être tenus pour des choses sacrées, et sous peine que la direction même du pays ne soit bientôt impuissante et disqualifiée. Et comment cette unité, cette cohésion et cette discipline seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif procédait de l'autre pouvoir auquel il doit faire équilibre ? Et si chaque membre du gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale, chaque membre du gouvernement n'était à son poste que le mandataire d'un parti ! C'est donc du chef de l'Etat, élu par un collège électoral qui englobe le Parlement mais qui le dépasse largement de manière à en faire le Président de l'Union française en même temps que celui de la République... C'est du chef de l'Etat que doit procéder le pouvoir exécutif. A lui, la charge d'accorder les nécessités générales concernant le choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement. A lui, la mission de nommer les ministres et d'abord, naturellement, le Premier qui a la charge, lui, de diriger l'action, la politique et le travail du gouvernement. Au chef de l'Etat, la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets parce que c'est vis-à-vis de l'Etat tout entier que ceux-ci comme ceux-là engagent les citoyens. A lui, l'attribution de servir d'arbitre, d'abord, normalement, par le Conseil et puis, dans les cas de grande confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa volonté et sa décision souveraine. A lui encore, la tâche de présider les conseils du gouvernement de manière à y assurer la continuité au milieu (et) dont une nation ne se passe pas. A lui enfin, si le péril extérieur devait une fois de plus peser sur la France. A lui, le devoir d'être cette fois le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France. Des Grecs jadis demandaient au sage Solon : " Quelle est la meilleure constitution ? " Il leur répondait : " Dites-moi d'abord pour quel peuple et à quelle époque " Aujourd'hui, c'est du peuple français et des peuples de l'Union française qu'il s'agit, et à une époque bien dure et bien dangereuse. Prenons-nous tels que nous sommes ! Prenons le siècle comme il est ! Nous avons à accomplir une rénovation profonde malgré l'immense difficulté, une rénovation qui conduit chaque homme et chaque femme de chez nous à plus d'aisance, à plus de sécurité et à plus de joie et qui nous fasse tous ensemble plus nombreux, plus puissants, plus fraternels. Nous avons à conserver la liberté sauvée avec tant et tant de peine. Nous avons à assurer le destin de la France malgré tous les obstacles qui se dressent sur sa route et sur celle de la paix. Nous avons à déployer, parmi nos frères les hommes, tout ce dont nous sommes capables pour aider notre pauvre vieille mère, la Terre. Tout cela, c'est une tâche infiniment difficile.