Claude Régy à propos de la lenteur
Notice
Philippe Lefait reçoit Claude Régy à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage intitulé L'Ordre des morts et pour parler de sa mise en scène, au Théâtre Nanterre-Amandiers, de Quelqu'un va venir de Jon Fosse. Dans cet entretien, le metteur en scène parle de l'importance de la lenteur dans le travail d'interprétation de l'œuvre par l'acteur.
Éclairage
Né en 1923, Claude Régy est un metteur en scène majeur des dramaturgies modernes et contemporaines. Dans ses créations comme dans ses essais, il revendique une esthétique allant à l'encontre du théâtre naturaliste ou du théâtre politique. Ce travail l'amène à se tourner parfois vers des textes non dramatiques et poétiques, à l'exemple de Holocauste, recueil de poèmes de Charles Reznikoff qu'il met en scène en 1998 au Théâtre National de la Colline. Il est invité par Philippe Lefait dans l'émission « Des mots de minuit » (France 2) du 17 novembre 1999 à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage intitulé L'Ordre des morts et pour parler de sa mise en scène, au Théâtre Nanterre-Amandiers, de Quelqu'un va venir de Jon Fosse.
Romancier, poète et essayiste norvégien né en 1959, Jon Fosse a écrit pour le théâtre, depuis 1994, une vingtaine de pièces. Ecrite en 1996, Quelqu'un va venir est sa troisième pièce et la première de ses œuvres à être représentée en France. Elle est interprétée, dans le cadre du Festival d'Automne, par Yann Boudaud, Marcial Di Fonzo Bo et Valérie Dréville. La fable est celle de l'emménagement d'un couple dans une maison en bord de mer. Très vite, l'homme et la femme voient leur solitude perturbée notamment par la venue d'un deuxième homme. La simplicité de l'écriture met en valeur la récurrence des répétitions dans le langage. Celui-ci témoigne d'une tension constante qui trouve son prolongement dans la scénographie de Daniel Jeanneteau. Le voisinage de la vie et de la mort et la façon dont l'intime semble être relié à l'univers rapprochent cette dramaturgie de l'écriture du rêve. La mise en scène de Claude Régy souligne cette proximité en cherchant à représenter la dilatation du temps et de l'espace. Elle fait appel au jeu de l'acteur qui n'incarne pas le personnage mais se laisse traverser par le souffle de la parole. Le comédien ralentit ou suspend son geste. Il demeure avant tout attentif au silence et à la respiration du texte dont les phrases sont décomposées. Le recours à la lenteur participe, selon le metteur en scène, à l'ouverture du sens pour l'acteur comme pour le spectateur. Claude Régy n'essaie nullement de donner une interprétation spectaculaire de l'œuvre : il souhaite d'abord en faire entendre la poésie. Cette ambition requiert la concentration de l'acteur mais aussi du spectateur. Celui-ci, lorsqu'il parvient à s'abandonner à la représentation, fait l'expérience d'une nouvelle perception qui lui donne accès aux images mentales offertes par le texte. L'importance accordée à la relation entre la scène et la salle amène régulièrement le metteur en scène à réduire la jauge d'accueil pour ses spectacles. Cette posture artistique, qui joue avec la limite (du visible, de l'audible, du conscient), affirme une part de subversion envers la société contemporaine. Pendant les représentations des mises en scène de Claude Régy, les réactions des spectateurs sont souvent virulentes.
Quelques mois plus tard, Claude Régy mettra en scène au Théâtre Nanterre-Amandiers Des couteaux dans les poules de David Harrower.