Huis Clos à la Comédie-Française
Notice
A l'occasion de l'entrée de Huis Clos au répertoire de la Comédie-Française, Claude Régy est interviewé sur sa mise en scène de la pièce. Après un extrait du spectacle, le metteur en scène évoque la création de la pièce et les indications de Sartre, et explique sa propre mise en scène, très éloignée des recommandations de l'auteur. Il évoque à cette occasion le rôle que tient, selon lui, le metteur en scène dans la création d'un spectacle.
- Europe > France > Ile-de-France > Paris > Comédie-Française
Éclairage
Huis Clos, de Jean-Paul Sartre (1905-1980), a été écrite en 1943 et représentée pour la première fois en 1944. La pièce met en scène trois personnages, un homme et deux femmes, qui, après leur décès, se retrouvent en Enfer. S'éloignant des conceptions traditionnelles de l'Enfer, Sartre transpose la torture physique qui est souvent associée à ce lieu en une torture morale, résumée dans la célèbre formule : « l'Enfer, c'est les autres ». Ces trois personnages, Inès, Garcin et Estelle, ne se connaissent pas, et se trouvent ensemble coincés dans un intérieur bourgeois, dont il leur est impossible de sortir. Chacun d'entre eux devient un bourreau pour les deux autres, chacun à son tour se trouvant poussé à abandonner ses illusions et à se révéler sous son véritable jour. L'Enfer selon Sartre prend donc l'apparence d'un salon Second-Empire, d'un intérieur tel qu'on peut en rencontrer fréquemment. Il s'éloigne ainsi de toute représentation traditionnelle et métaphysique de l'Enfer comme un lieu sombre, ravagé par les flammes.
Sans revenir à la vision commune de l'Enfer, Régy s'éloigne clairement des directives de Sartre. Il ne recrée par, sur la scène de la Salle Richelieu, de décor bourgeois, rejette l'idée de ce salon. En lieu et place de ce décor, Régy pousse les trois personnages principaux à demeurer à l'avant de la scène, dans un espace réduit et clos par de monumentales portes mobiles. A chaque arrivée, les portes s'ouvrent puis se referment, immenses, dominant les personnages. Le décor, dans son ensemble, est gris, neutre, réduit au minimum. Les canapés sont remplacés par des marches, aucun mobilier n'est présent. Les costumes, de même, sont extrêmement neutres, semblant gommer les identités très marquées des personnages chez Sartre (Inès est postière, Estelle est une femme bourgeoise et Garcin un journaliste). Interrogé sur ce choix, Claude Régy soutient qu'il est essentiel pour lui, en tant que metteur en scène, de trouver une nouvelle forme. N'ignorant pas les recommandations de Sartre, qu'il a rencontré, ayant participé à la création de la pièce dans les années quarante, le metteur en scène conçoit sa réinterprétation de l'enfer sartrien comme une nécessité.
Selon Claude Régy, le metteur en scène se doit d'être un interprète de la pièce et un auteur du spectacle. Il ne peut se contenter de reproduire à l'identique, sur scène, les recommandations d'un auteur, mais doit aussi s'en emparer pour les réinterpréter, et trouver une nouvelle forme de spectacle. Dans l'extrait de Huis Clos, on voit à quel point Régy s'est emparé de l'écriture de Sartre et la transforme, tout en la respectant. Ainsi, la langue de Sartre, très quotidienne, est transformée par Régy, qui lui confère une musicalité particulière, presque chantante. Empreinte alors d'une solennité particulière, elle renforce l'impression de monumentalité que laisse le décor, et, surtout, elle permet au spectateur d'entendre différemment le texte, et de l'interpréter. Régy, de son propre aveu, a beaucoup réfléchi ici – comme dans toutes ses mises en scène – sur la place du spectateur : la salle Richelieu, selon lui, s'inscrit en continuité de la scène, avec laquelle elle entre en contraste. Le décor de la scène ne constitue en quelque sorte qu'un sas d'entrée vers cette salle très peuplée, et le spectateur est inclus dans ce regard des autres, dans cet Enfer dépeint par Sartre.