Huis Clos à la Comédie-Française

17 juin 1990
05m 22s
Réf. 00211

Notice

Résumé :

A l'occasion de l'entrée de Huis Clos au répertoire de la Comédie-Française, Claude Régy est interviewé sur sa mise en scène de la pièce. Après un extrait du spectacle, le metteur en scène évoque la création de la pièce et les indications de Sartre, et explique sa propre mise en scène, très éloignée des recommandations de l'auteur. Il évoque à cette occasion le rôle que tient, selon lui, le metteur en scène dans la création d'un spectacle.

Date de diffusion :
17 juin 1990
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Huis Clos, de Jean-Paul Sartre (1905-1980), a été écrite en 1943 et représentée pour la première fois en 1944. La pièce met en scène trois personnages, un homme et deux femmes, qui, après leur décès, se retrouvent en Enfer. S'éloignant des conceptions traditionnelles de l'Enfer, Sartre transpose la torture physique qui est souvent associée à ce lieu en une torture morale, résumée dans la célèbre formule : « l'Enfer, c'est les autres ». Ces trois personnages, Inès, Garcin et Estelle, ne se connaissent pas, et se trouvent ensemble coincés dans un intérieur bourgeois, dont il leur est impossible de sortir. Chacun d'entre eux devient un bourreau pour les deux autres, chacun à son tour se trouvant poussé à abandonner ses illusions et à se révéler sous son véritable jour. L'Enfer selon Sartre prend donc l'apparence d'un salon Second-Empire, d'un intérieur tel qu'on peut en rencontrer fréquemment. Il s'éloigne ainsi de toute représentation traditionnelle et métaphysique de l'Enfer comme un lieu sombre, ravagé par les flammes.

Sans revenir à la vision commune de l'Enfer, Régy s'éloigne clairement des directives de Sartre. Il ne recrée par, sur la scène de la Salle Richelieu, de décor bourgeois, rejette l'idée de ce salon. En lieu et place de ce décor, Régy pousse les trois personnages principaux à demeurer à l'avant de la scène, dans un espace réduit et clos par de monumentales portes mobiles. A chaque arrivée, les portes s'ouvrent puis se referment, immenses, dominant les personnages. Le décor, dans son ensemble, est gris, neutre, réduit au minimum. Les canapés sont remplacés par des marches, aucun mobilier n'est présent. Les costumes, de même, sont extrêmement neutres, semblant gommer les identités très marquées des personnages chez Sartre (Inès est postière, Estelle est une femme bourgeoise et Garcin un journaliste). Interrogé sur ce choix, Claude Régy soutient qu'il est essentiel pour lui, en tant que metteur en scène, de trouver une nouvelle forme. N'ignorant pas les recommandations de Sartre, qu'il a rencontré, ayant participé à la création de la pièce dans les années quarante, le metteur en scène conçoit sa réinterprétation de l'enfer sartrien comme une nécessité.

Selon Claude Régy, le metteur en scène se doit d'être un interprète de la pièce et un auteur du spectacle. Il ne peut se contenter de reproduire à l'identique, sur scène, les recommandations d'un auteur, mais doit aussi s'en emparer pour les réinterpréter, et trouver une nouvelle forme de spectacle. Dans l'extrait de Huis Clos, on voit à quel point Régy s'est emparé de l'écriture de Sartre et la transforme, tout en la respectant. Ainsi, la langue de Sartre, très quotidienne, est transformée par Régy, qui lui confère une musicalité particulière, presque chantante. Empreinte alors d'une solennité particulière, elle renforce l'impression de monumentalité que laisse le décor, et, surtout, elle permet au spectateur d'entendre différemment le texte, et de l'interpréter. Régy, de son propre aveu, a beaucoup réfléchi ici – comme dans toutes ses mises en scène – sur la place du spectateur : la salle Richelieu, selon lui, s'inscrit en continuité de la scène, avec laquelle elle entre en contraste. Le décor de la scène ne constitue en quelque sorte qu'un sas d'entrée vers cette salle très peuplée, et le spectateur est inclus dans ce regard des autres, dans cet Enfer dépeint par Sartre.

Anaïs Bonnier

Transcription

(Bruit)
Intervenant 1
Vous m’avez appelé ?
(Bruit)
Michel Aumont
Non.
(Bruit)
Intervenant 1
Vous êtes chez vous Madame. Si vous avez des questions à me poser. D’ordinaire, les clients aiment à se renseigner. Je n’insiste pas d’ailleurs. Pour la brosse à dent, la sonnette et le bronze de Barbedienne, Monsieur est au courant et il vous répondra aussi bien que moi.
(Bruit)
Christine Fersen
Où est Florence ? Je vous demande où est Florence ?
Michel Aumont
Je n'en sais rien.
Christine Fersen
C’est tout ce que vous avez trouvé ? La torture par l’absence ? Et bien, c’est manqué. Florence était une petite sotte et je ne la regrette pas.
Michel Aumont
Je vous demande pardon, pour qui me prenez-vous ?
Christine Fersen
Vous ? Vous êtes le bourreau.
(Silence)
Michel Aumont
C’est une méprise tout à fait amusante. Le bourreau, vraiment ? Vous êtes entrée, vous m’avez regardé et vous avez pensé, c’est le bourreau. Quelle extravagance ! Le garçon est ridicule, il aurait dû nous présenter l’un à l’autre. Le bourreau, je suis Joseph Garcin, publiciste et homme de lettres. La vérité, c’est que nous sommes logés à la même enseigne. Madame ?
Christine Fersen
Inès Serrano, Mademoiselle.
Présentatrice
Pourquoi, justement, vous vous êtes affranchi du décor indiqué par Sartre qui lui imaginait un salon bourgeois qui pouvait banaliser l’enfer. Tandis que vous, vous montrez, effectivement, …
Intervenant 2
Oui, parce que j’ai vu la création. J’avais même à un moment repris le rôle du garçon d’étage, donc je jouais ça dans des tas de tournées, des tas de théâtres, je connaissais très bien ce décor et cette mise en scène. J’ai pensé que cette mise en scène là, ayant été faite et avec le recul du temps, il était justement important de s’en éloigner, de faire comme un travelling arrière, si vous voulez et de nettoyer tout accessoire pour restituer l’idée pure.
Présentatrice
Si Sartre était vivant, est-ce qu’il aurait été d’accord ?
Intervenant 2
Je ne sais pas, je crois même que ce n’est pas très important. Il m’est arrivé très souvent que les auteurs ne soient pas très d’accord avec les mises en scène. Je pense que ce n’est pas important parce que l’auteur ne peut pas tout prévoir de son œuvre. Mais en plus, si on…, ou les metteurs en scène ne sont rien que des recopieurs, des photocopieurs qui recopient sempiternellement les mêmes schémas, ou ce sont des créateurs à part entière et ils ont, au contraire, le devoir de donner une forme nouvelle, de relire la pièce et de la faire entendre sous un autre aspect. Et en même temps, je respecte ce que Sartre a dit, qui me paraît aussi une des choses essentielles, c’est que ces damnés, ces soi-disant damnés voient des visions de la terre dans le fond de la salle. Donc, tout est projeté en fait sur le public et à ce moment là, il est indiqué qu’ils descendent droit devant eux ce que nous appelons à la face et que ils sont en prise directe, et qu'ils font vivre ces visions vraiment dans le lieu où se tiennent les spectateurs. Et d’ailleurs, pour moi, vous parliez de ce que j'ai supprimé du Second Empire mais comme je joue beaucoup avec la salle, le décor est complété par la salle. Ce décor nu qui est derrière les acteurs est complété devant les acteurs par la salle Richelieu qui est précisément de la fin du siècle et qui est totalement du Second Empire.
Présentatrice
Donc on est, nous, dans l’Enfer ?
Intervenant 2
Bien sûr, d’ailleurs, c’est toujours ce que j’essaie de faire. C'est que ce soit le public qui, en fait, joue la pièce et il est représenté par trois pivots, si vous voulez, par trois pivots symboliques ; entre lesquels circule le tissu de nos misères et de nos pauvres vies très aliénées et auxquelles, pourtant, nous sommes terriblement attachés ; et comme si on ne pouvait pas se passer de souffrir et de se faire souffrir.