A propos de La chevauchée sur le lac de Constance
Notice
Extrait de la pièce de Peter Handke, La Chevauchée sur le lac de Constance (Der Ritt über den Bodensee), mise en scène par Claude Régy à l'Espace Cardin en 1974, avec Michael Lonsdale et Gérard Depardieu. Extrait entrecoupé d'entretiens avec Claude Régy et avec un traducteur.
- Europe > France > Ile-de-France > Paris > Espace Cardin
Éclairage
La Chevauchée sur le lac de Constance est une pièce du dramaturge autrichien, Peter Handke, écrite en 1970, et présentée pour la première en fois en France dans une mise en scène de Claude Régy, à L'Espace Cardin à Paris, de janvier à avril 1974. Les décors et les costumes sont signés Ezio Frigerio (collaborateur du metteur en scène italien Giorgio Strehler) et Yves Saint-Laurent. Dans la distribution, sont présents Gérard Depardieu, Sami Frey, Michael Lonsdale, Jeanne Moreau et Delphine Seyrig.
Le titre de la pièce fait référence à une célèbre ballade allemande de Gustav Schwab. En hiver, un cavalier chevauche les plaines du sud de l'Allemagne, à la recherche du lac de Constance auprès duquel il souhaite passer la nuit. Etonné de ne pas le trouver, il interroge une jeune femme qui, inquiète, lui apprend qu'il vient de le traverser. A ces mots, le cavalier se fige. Littéralement glacé d'effroi, il s'écroule de son cheval, mort. Le texte de Peter Handke a peu à voir avec ce poème, si ce n'est peut-être ce lien ténu avec la mort qui traverse la pièce. Les personnages de La Chevauchée sur le lac de Constance sont des comédiens dans « un décor qui est un décor », évoluant dans un espace d'illusions, en hors du champ du réel. Handke se réfère explicitement au cinéma expressionniste allemand pour évoquer ses personnages qui dans le texte original sont tous des acteurs célèbres de cette période (Emil Jannings, Heinrich George, Erich Von Stroheim). Conversant sur leur vie, leur métier, les problèmes de la création, ils finissent par se rendre compte qu'ils sont morts et qu'ils l'ignoraient. Bousculant les axiomes traditionnels du théâtre, ceux de la fable et de l'action, la pièce de Handke ne raconte rien, il ne se passe rien. Le dramaturge cherche à réinventer un théâtre, un théâtre qui est d'abord affaire de langage. C'est pourquoi dans La Chevauchée sur le lac de Constance, « le théâtre traditionnel est une fois de plus bafoué : les acteurs ne sont pas des personnages ; ils sont eux-mêmes pris dans une longue conversation, à la recherche, par les moyens de la langue, de ce qu'ils sont, de quoi leur vie est faite. Vains efforts ; une muette apportera le saisissement final, en leur faisant comprendre qu'ils étaient déjà tous morts. » [1]
A travers sa mise en scène, Claude Régy s'efforce d'être le passeur de cette langue. L'influence expressionniste se retrouve à plusieurs niveaux. Les décors imposants occupent tout l'espace scénique. Au centre trône un monumental escalier. A l'avant-scène se trouve une longue table basse recouverte de dentelle. L'ensemble est surchargé de meubles et d'accessoires, le tout dans des couleurs sombres, où dominent le noir et le gris. Les acteurs sont maquillés, leur visage grimé de blanc, avec un cerne noir autour des yeux. Leurs mouvements s'interrompent souvent et semblent se figer en d'étranges poses.
A sa création, le spectacle déstabilise le public ou l'envoûte. Aux sorties et huées des spectateurs lors des premières représentations répond la fascination d'une Bulle Ogier qui venait tous les soirs. Ce spectacle demeure une énigme, son aura a traversé les décennies, il est devenu un événement, faisant partie d'une mémoire collective théâtrale, même si, concrètement, peu de gens l'ont vu. Cette intensité que peu de spectacles possèdent s'explique, en partie, et en partie seulement, par un faisceau de faits : « Cardin et son Théâtre qui [présente] quelques-uns des événements théâtraux les plus significatifs des années soixante-dix ; Handke, qui arrive en France avec une réputation sulfureuse de provocateur et de jeune auteur incontournable ; la pièce elle-même, d'abord créée à New-York [...] ; Depardieu, dont on parle déjà pour Les Valseuses qui sortira en avril, peu de temps après la dernière représentation, et qui sera à Cannes avec le Stavisky de Resnais ; Jeanne Moreau, qui s'impose comme une importante star française accomplie en annonçant son premier film comme réalisatrice – au moment où elle revient au théâtre avec La Chevauchée... » [2]
[1] Jean-François Peyret, « Peter Handke », in Michel Corvin (sld), Dictionnaire encyclopédique du théâtre à travers le monde, Bordas/SEJER, 2008, p. 666.
[2] Eric Vautrin, « Pas du spectacle la chevauchée ou inventer le verre », in Marie-Madeleine Mervant-Roux (sld), Claude Régy, Les Voies de la création théâtrales, n° 23, CNRS Editions, 2008, p. 95.