Nathalie Sarraute à propos de Pour un oui pour un non

24 mars 1986
02m 11s
Réf. 00210

Notice

Résumé :

Nathalie Sarraute s'exprime sur sa vision du théâtre, et sur la mise en scène, réalisée par Simone Benmussa, de sa pièce Pour un oui ou pour un non. Elle aborde la question de l'écriture - indiquant notamment qu'elle ne pense pas l'action scénique lorsqu'elle écrit - et évoque sa collaboration avec Simone Benmussa.

Date de diffusion :
24 mars 1986
Source :
FR3 (Collection: TOUS EN SCENE )

Éclairage

Nathalie Sarraute (1900-1999) est un écrivain français d'origine russe. Elle vit son enfance entre la Russie, où elle est née, la Suisse et la France. Elle entame une carrière de juriste en droit international, et découvre la littérature du début du XXe siècle – James Joyce, Virginia Woolf, etc. Elle commence elle-même à écrire des textes courts en 1932, qui deviendront le recueil Tropismes. Dans ces textes, elle s'attache à déceler les mouvements les plus infimes du moi, les émotions, sentiments fugaces qui échappent à la conscience, et provoquent de véritables drames intimes, intérieurs. Dans les années 60, elle commence à s'intéresser au théâtre, et Pour un oui ou pour un non est sa sixième pièce, certainement la plus aboutie. Connue pour ses romans autant que pour son théâtre, Nathalie Sarraute est l'auteur d'un texte théorique fondamental : L'Ere du soupçon. Elle y met en question sa vision de la littérature, et développe l'idée d'une crise du roman, qu'il appartiendrait aux auteurs de résoudre. Elle conçoit la finalité de l'écriture comme la mise à nu d'états inexplorés, universels, au point que le personnage en devient secondaire. Elle rejette la psychologie en littérature, en tant qu'elle s'intéresserait au caractère précis d'un seul personnage : pour elle, la littérature explore des tourments de l'âme en désintégrant le caractère du personnage. Peu à peu, cette exploration se couple et se confond avec un travail sur les silences, ruptures, et petites phrases anodines de la conversation. C'est ainsi que la langue se trouve placée au centre d'une écriture où le personnage, l'action, l'intrigue, deviennent pour ainsi dire secondaires.

Pour un oui ou pour un non illustre parfaitement ce travail sur la langue. Dans cette pièce, tout le drame naît d'une phrase, de trois petits mots, et non de ces mots même, mais de l'intonation avec laquelle ils ont été prononcés. Cette petite phrase, prononcée comme par inadvertance, mais peu à peu chargée de toutes les connotations possibles, devient le centre de l'intrigue, emplit à elle seule une pièce pour ainsi dire sans héros et sans action. De fait, c'est bien la parole, et les déflagrations qu'elle provoque dans l'univers des personnages, qui est au centre de la pièce, et qui constitue le drame. Lorsque Nathalie Sarraute évoque sa pièce, elle indique d'ailleurs que le conflit n'existe pas entre les deux personnages : il s'agit uniquement, selon elle, de tendances contradictoires. La parole est à ce point essentielle qu'il ne s'agit pas, pour elle, d'un conflit interpersonnel, puisque les personnages pourraient, à son sens, n'être simplement que deux facettes de la même personnalité. Dans la pièce, en effet, les caractères ne sont que peu marqués, les personnages n'ont pas vraiment d'identité : tout au plus peut-on les entrevoir issus d'un milieu bourgeois et intellectuel, et deviner que H2 – celui qui souffre de la phrase prononcée par son ami – est plus agité que son comparse.

La mise en scène a donc la tâche de remplir les blancs et d'interpréter le texte. Le théâtre ne peut demeurer dans la même indécision, il a besoin d'incarner les personnages. La pièce de Sarraute étant totalement ouverte, elle appelle le metteur en scène à trouver des solutions. Simone Benmussa, qui a créé la pièce en France au Théâtre du Rond-Point en 1986, avait, avec les comédiens Jean-François Balmer et Sami Frey, décidé de ne pas individualiser les personnages : ainsi, les deux comédiens jouaient alternativement l'un ou l'autre des personnages, en alternance. Nathalie Sarraute souligne à quel point, pour elle, la mise en scène s'apparente à une traduction de l'œuvre : si elle entend le texte, et imagine l'intonation lors de l'écriture, elle dit ne pas visualiser les mouvements, et laisser au metteur en scène le soin de les inventer pour le spectacle. Elle évoque la mise en scène de Simone Benmussa, à la scénographie très épurée – deux simples fauteuils gris – et la précision du jeu des acteurs, que le metteur en scène a chorégraphiés, de façon à représenter, sur la scène, les mouvements intérieurs que Nathalie Sarraute a écrits.

Voir la mise en scène de la pièce par Jacques Lassalle.

Anaïs Bonnier

Transcription

(Musique)
Nathalie Sarraute
C’est pour moi autre chose, c’est comme une autre oeuvre à laquelle quelqu’un d’autre a collaborée. Puisque je ne donne pas du tout d’indications scéniques, je ne suis pas du tout visuelle, je ne vois pas du tout les personnages se mouvant sur un espace scénique. Et c’est le metteur en scène qui est obligé de tout faire. Alors, je vois autre chose, j’entends bien mon texte, je peux dire si le texte est faux, s’il n’est pas dit avec l’intonation que j’aurais voulue, ça oui ! Je suis très sensible à la façon de dire le texte, mais je suis incapable d’imaginer d’avance tous ces mouvements sur la scène. Et alors là, ça me parait tout à fait autre chose. Je regarde comme quelque chose d’inconnue qui ne serait pas de moi. Et ça m’intéresse.
(Musique)
Nathalie Sarraute
Dans cette dernière pièce, Pour un oui ou pour un non, à la limite ça aurait pu être presque la même personne qui entre elle… comme nous avons tous des tendances contradictoires qui luttent entre elles quelques fois. Ce n’est pas du tout deux personnes qui s’entredéchirent et qui se haïssent mais c’est deux personnes qui portent chacune des tendances opposées comme ça arrive à chacun de nous. Et je n’avais imaginé, que les dialogues, je n’entendais que les dialogues; il me paraissait très, très difficile, de faire se mouvoir sur une scène, donner un mouvement scénique à ces dialogues, à ce texte. Et j’ai été très, très surprise du travail de Simone Benmussa qui a réussi à transformer en quelque chose de mouvant et de dramatique, par les mouvements des acteurs, qui sont des mouvements d’une grande précision extrêmement étudiés. Il y a que deux fauteuils gris et deux acteurs qui se meuvent, entre ces fauteuils, et bien on n’imagine pas quel travail de précision a été le travail de mise en scène de Simone Benmussa. C’est presque pour moi, comme un ballet qui s’exécute ; et qui coïncide et qui porte plus fortement au dehors, ces mouvements intérieurs. Je crois que là, il y a une collaboration très, très grande, entre le metteur en scène et moi-même.