Nathalie Sarraute à propos de Pour un oui pour un non
Notice
Nathalie Sarraute s'exprime sur sa vision du théâtre, et sur la mise en scène, réalisée par Simone Benmussa, de sa pièce Pour un oui ou pour un non. Elle aborde la question de l'écriture - indiquant notamment qu'elle ne pense pas l'action scénique lorsqu'elle écrit - et évoque sa collaboration avec Simone Benmussa.
Éclairage
Nathalie Sarraute (1900-1999) est un écrivain français d'origine russe. Elle vit son enfance entre la Russie, où elle est née, la Suisse et la France. Elle entame une carrière de juriste en droit international, et découvre la littérature du début du XXe siècle – James Joyce, Virginia Woolf, etc. Elle commence elle-même à écrire des textes courts en 1932, qui deviendront le recueil Tropismes. Dans ces textes, elle s'attache à déceler les mouvements les plus infimes du moi, les émotions, sentiments fugaces qui échappent à la conscience, et provoquent de véritables drames intimes, intérieurs. Dans les années 60, elle commence à s'intéresser au théâtre, et Pour un oui ou pour un non est sa sixième pièce, certainement la plus aboutie. Connue pour ses romans autant que pour son théâtre, Nathalie Sarraute est l'auteur d'un texte théorique fondamental : L'Ere du soupçon. Elle y met en question sa vision de la littérature, et développe l'idée d'une crise du roman, qu'il appartiendrait aux auteurs de résoudre. Elle conçoit la finalité de l'écriture comme la mise à nu d'états inexplorés, universels, au point que le personnage en devient secondaire. Elle rejette la psychologie en littérature, en tant qu'elle s'intéresserait au caractère précis d'un seul personnage : pour elle, la littérature explore des tourments de l'âme en désintégrant le caractère du personnage. Peu à peu, cette exploration se couple et se confond avec un travail sur les silences, ruptures, et petites phrases anodines de la conversation. C'est ainsi que la langue se trouve placée au centre d'une écriture où le personnage, l'action, l'intrigue, deviennent pour ainsi dire secondaires.
Pour un oui ou pour un non illustre parfaitement ce travail sur la langue. Dans cette pièce, tout le drame naît d'une phrase, de trois petits mots, et non de ces mots même, mais de l'intonation avec laquelle ils ont été prononcés. Cette petite phrase, prononcée comme par inadvertance, mais peu à peu chargée de toutes les connotations possibles, devient le centre de l'intrigue, emplit à elle seule une pièce pour ainsi dire sans héros et sans action. De fait, c'est bien la parole, et les déflagrations qu'elle provoque dans l'univers des personnages, qui est au centre de la pièce, et qui constitue le drame. Lorsque Nathalie Sarraute évoque sa pièce, elle indique d'ailleurs que le conflit n'existe pas entre les deux personnages : il s'agit uniquement, selon elle, de tendances contradictoires. La parole est à ce point essentielle qu'il ne s'agit pas, pour elle, d'un conflit interpersonnel, puisque les personnages pourraient, à son sens, n'être simplement que deux facettes de la même personnalité. Dans la pièce, en effet, les caractères ne sont que peu marqués, les personnages n'ont pas vraiment d'identité : tout au plus peut-on les entrevoir issus d'un milieu bourgeois et intellectuel, et deviner que H2 – celui qui souffre de la phrase prononcée par son ami – est plus agité que son comparse.
La mise en scène a donc la tâche de remplir les blancs et d'interpréter le texte. Le théâtre ne peut demeurer dans la même indécision, il a besoin d'incarner les personnages. La pièce de Sarraute étant totalement ouverte, elle appelle le metteur en scène à trouver des solutions. Simone Benmussa, qui a créé la pièce en France au Théâtre du Rond-Point en 1986, avait, avec les comédiens Jean-François Balmer et Sami Frey, décidé de ne pas individualiser les personnages : ainsi, les deux comédiens jouaient alternativement l'un ou l'autre des personnages, en alternance. Nathalie Sarraute souligne à quel point, pour elle, la mise en scène s'apparente à une traduction de l'œuvre : si elle entend le texte, et imagine l'intonation lors de l'écriture, elle dit ne pas visualiser les mouvements, et laisser au metteur en scène le soin de les inventer pour le spectacle. Elle évoque la mise en scène de Simone Benmussa, à la scénographie très épurée – deux simples fauteuils gris – et la précision du jeu des acteurs, que le metteur en scène a chorégraphiés, de façon à représenter, sur la scène, les mouvements intérieurs que Nathalie Sarraute a écrits.