Pour un oui pour un non à la Colline

12 octobre 1998
02m 41s
Réf. 00212

Notice

Résumé :

Extrait du début de la pièce de Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non, mise en scène par Jacques Lassalle au Théâtre National de la Colline, en 1998.

Date de diffusion :
12 octobre 1998
Source :
A2 (Collection: LE CERCLE )
Fiche CNT :

Éclairage

Dans Pour un oui ou pour un non, deux personnages, H1 et H2, se disputent au sujet d'une phrase bénigne que H1 aurait un jour lâchée et qui aurait poussé H2 à rompre toute relation. Peu à peu, le ton s'envenime, la petite phrase est réinterprétée et mise au centre d'une lutte de pouvoir, qui se transforme en procès - chacun des deux personnages accusant l'autre, lui imputant la responsabilité de la rupture, inévitable, mais jamais consommée.

La mise en scène de Jacques Lassalle, qui avait déjà mis en scène Le Silence et Elle est là, de Nathalie Sarraute, à la Comédie-Française (à l'occasion de l'entrée au répertoire de ces pièces), s'intéresse avant tout au travail de la parole. Pour le metteur en scène, ce qui est fondamental, c'est l'emprise de la parole sur l'action. « Cette parole », dit Jacques Lassalle dans le programme du spectacle, c'est « la nôtre. Elle s'expulse de nous. Et elle rit, elle rit à pleurer, à perdre le souffle, de tout le mal qu'elle se donne pour venir au jour et dire l'incorrigible angoisse, le farcesque tumulte, l'infini grouillement de nos pensées antérieures ». C'est que la parole, pour Sarraute comme pour Lassalle, résonne surtout dans toutes ces petites manifestations anodines, qui révèlent de manière fugace une pensée, un état, un sentiment, que l'on cache habituellement. Ces petits riens deviennent, dans l'univers de Sarraute, une montagne, le noyau du drame. Ici, c'est une intonation perçue comme condescendante, dans une réaction sans importance, qui conduit à la rupture d'une amitié, au procès de chacun des deux amis.

Pour laisser à la parole la première place, Jacques Lassalle épure le décor. L'appartement représenté, immaculé, laisse apparaître derrière une fenêtre une cour d'immeuble haussmannien, un univers très parisien, bourgeois. L'intérieur représenté est vide, monacal - H1 est d'ailleurs soupçonné d'envisager H2 comme un moine dans sa cellule - et oblique. Les lignes qu'il dessine sont tangentes, à l'image de la parole, qui, toujours, dévie vers cette obsession de la rupture.

Dans ce décor, Lassalle traite les personnages par le contraste : H1 est impassible, mesuré, et H2 hypersensible, à la limite de l'hystérie. Ce contraste entre les deux hommes renforce la violence latente de la situation, cet affrontement larvé, qui repose sur la parole. Il en renforce également le comique.

Le texte de Sarraute oscille de fait entre ces deux pôles : il met en jeu deux hommes qui, d'une simple conversation censée solder les comptes, vont tomber dans un « combat sans merci, une lutte à mort ». Cette guerre des tranchées, où chacun tente de faire porter les torts à l'autre, se tient sans armes autres que les mots, ceux que l'on dit ou ne dit pas, et qui révèlent les intentions cachées de l'autre. Sous une phrase innocente se cache la bombe qui fait voler en éclats l'amitié, la relation, le vernis social. Mais l'exaspération de H2, les proportions invraisemblables que prend cette petite phrase, la façon, justement, dont l'explication vire au règlement de comptes, sont également source de rire. Parce que Nathalie Sarraute se saisit d'un petit rien, d'une petite phrase de trois mots, et la grossit, pour la rendre plus visible, la situation finit par virer à l'absurde. Mais ce grossissement est également une déformation, portant une part monstrueuse. Le rire et l'effroi se mêlent face à la force du langage.

Voir un entretien avec Nathalie Sarraute à propos de la pièce.

Anaïs Bonnier

Transcription

Comédien 1
Alors,
Comédien 2
Alors que veux-tu que je te dise ?
Comédien 1
Si, moi ! Je te connais trop bien, il y a quelque chose de changé. Tu étais toujours à une certaine distance, de tout le monde, du reste, mais maintenant avec moi. Encore l’autre jour au téléphone, tu étais à l’autre bout du monde.
(Silence)
Comédien 1
Ça me fait de la peine tu sais !
Comédien 2
Mais moi aussi, figure-toi.
Comédien 1
Ah tu vois, j’ai donc raison !
Comédien 2
Que veux-tu, je t’aime tout autant, tu sais, ne crois pas ça. Mais, c’est plus fort que moi.
Comédien 1
Qu’est-ce qui est plus fort ? Pourquoi ne veux-tu pas le dire ? Il y a donc eu quelque chose ?
Comédien 2
Non, vraiment rien ! Rien qu’on puisse dire !
Comédien 1
Essaye quand même.
Comédien 2
Oh ! Non, je ne veux pas !
Comédien 1
Pourquoi ? Dis-moi pourquoi ?
Comédien 2
Ne me force pas !
Comédien 1
C’est donc si terrible ?
Comédien 2
Non, pas terrible. Ce n’est pas ça.
Comédien 1
Mais qu’est-ce que c’est alors ?
Comédien 2
C’est… c’est plutôt que ce n’est rien, ce qui s’appelle rien. Ce qu’on appelle ainsi, en parler seulement, évoquer ça, ça peut vous entrainer, de quoi on aurait l’air ? Personne du reste, personne ne l’ose, on n’en entend jamais parler.
Comédien 1
Et bien je te demande au nom de tout ce que tu prétends que j’ai été pour toi, au nom de ta mère, de nos parents, je t’abjure solennellement tu ne peux plus reculer, qu’est-ce qu’il y a eu, dis-le ! Tu me dois ça.
Comédien 2
Je te dis ce n’est rien qu’on puisse dire. Rien dont il soit permis de parler.
Comédien 1
Allons, vas-y !
Comédien 2
Et bien, c’est juste des mots.
Comédien 1
Des mots ? Entre nous ? Ne me dis pas qu’on a eu des mots ! Ce n’est pas possible. Je m’en serais souvenu !
Comédien 2
Non pas des mots comme ça, d’autres mots ! Pas ceux dont on dit qu’on les a eus. Des mots qu’on n’a pas eus justement. On ne sait pas comment ils vous viennent.