Suréna de Corneille, mis en scène par Anne Delbée au Théâtre du Vieux-Colombier
Notice
Avec trois extraits du spectacle (acte II, scène 1, puis acte III, scène 3, puis fin de l'acte V, scène 5) alterne une interview d'Anne Delbée qui présente Suréna comme une image de l'incertitude de la jeunesse actuelle : pour elle, la pièce de Corneille possède une modernité et une universalité qui la rapprochent de la tragédie antique comme de la science-fiction.
Éclairage
Avec Suréna, Corneille vieillissant écrit sa dernière tragédie, donnée en 1674 à l'Hôtel de Bourgogne, le grand théâtre officiel. L'échec de la pièce, qui fait suite à plusieurs déconvenues, le décidera à mettre fin définitivement à sa carrière de dramaturge. C'est pourtant, de toutes les pièces de Corneille, la plus en prise avec les réalités politiques de son temps : mettant en scène le lieutenant Suréna qui, après avoir rétabli le roi des Parthes sur son trône, se trouve en butte à l'ingratitude du souverain, la tragédie porte toute l'amertume d'une époque où le pouvoir royal cède à une logique d'autoritarisme et écrase toute manifestation d'héroïsme. Méditation sur le pouvoir et sur la mort, la pièce sonne comme un adieu de Corneille aux anciennes valeurs nobiliaires.
Dans sa mise en scène de Suréna, créée en 1998 au Théâtre du Vieux Colombier, Anne Delbée s'attache à souligner les implications politiques de la pièce de Corneille en opérant un travail de transposition : avant l'ouverture du rideau, une voix off lit l'oraison funèbre de Jean Moulin par André Malraux, et la pièce se termine sur l'air de « Bella ciao », le chant des partisans italiens, désignant ainsi clairement Suréna comme une figure de résistance à l'oppression. La présence d'une danseuse indienne et les attitudes physiques de Suréna, proches de celles d'un moine bouddhiste, font signe quant à elles vers une transcendance pure et universelle. La mise en scène a cependant décontenancé le public par sa complexité et son hermétisme.