Bérénice de Racine, mis en scène par Antoine Vitez

19 mai 1980
04m 21s
Réf. 00263

Notice

Résumé :

Entrecoupée d'extraits du spectacles, tirés de la scène 3 de l'acte III et de la scène 5 de l'acte IV, une interview du metteur en scène Antoine Vitez analyse le jeu amoureux décrit par la pièce et l'incapacité des trois personnages principaux à se rejoindre.

Date de diffusion :
19 mai 1980
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

En faisant jouer Bérénice à l'Hôtel de Bourgogne en 1670, Jean Racine déplace les limites de la tragédie : à l'encontre d'un Pierre Corneille pour qui seuls les périls de mort ou d'Etat sont de dignité suffisante pour donner lieu à un sujet tragique, Racine revendique pour principe fondamental du genre une « tristesse majestueuse » qui peut aussi bien découler d'un simple enjeu amoureux. C'est pourquoi il ose consacrer sa tragédie aux amours malheureuses de l'empereur Titus, de la reine de Syrie Bérénice et du prince Antiochus, tandis qu'au même moment Corneille présente au Théâtre du Palais-Royal sa pièce Tite et Bérénice, écrite sur le même sujet, comme une « comédie héroïque ». Couronnée de succès, la tragédie de Racine est alors en butte aux attaques du parti cornélien, qui lui reproche la faiblesse de son enjeu et tâche en vain de convaincre le public de la supériorité de la pièce de Corneille, qui connaît un accueil plutôt tiède.

Lorsqu'il met en scène Bérénice en 1980, Antoine Vitez semble se désintéresser de Titus, joué par le jeune Pierre Romans, au profit d'Antiochus, dont il assume lui-même le rôle face à la Bérénice de Madeleine Marion. La pièce est jouée en costumes du XVIIIe siècle comme pour souligner l'universalité de ce qui s'y joue. Pour Vitez, cette tragédie est celle des amours interdites d'une femme pour un homme dont tout la sépare, et de son impossibilité d'en aimer un autre dont tout la rapproche : Bérénice et Antiochus présentent d'ailleurs tout au long du spectacle un rapport d'étrange camaraderie amoureuse, tandis que Titus est un adolescent veule qui fuit. Ces personnages, qui se confondent avec le politique, ne songent jamais à y renoncer et leur douleur est d'autant plus déchirante qu'elle est, dès le début, lucide.

Voir Bérénice mis en scène par Klaus Michael Grüber (1984) et par Lambert Wilson (2008)

Céline Candiard

Transcription

(Silence)
(Musique)
Journaliste
Planchon à Lyon avec Dom Juan et Athalie , Gildas Bourdet à Tourcoing avec Britannicus , et maintenant Bérénice , par Antoine Vitez, au Centre Dramatique de Nanterre puis au Théâtre des Quartiers d'Ivry ; l'heure est aux classiques. De bien brillants moments de théâtre. Vitez prouve ici, une fois de plus, son talent - élégance de ton, de décors, de costumes - une courtoisie chez les personnages qui rend plus amère, plus désespérée encore leur cruauté. Ne ratez pas le rendez-vous.
Madeleine Marion
Hé quoi, Seigneur, vous n'êtes point parti ?
Antoine Vitez
Madame, je vois bien que vous êtes déçue, Et que c'était César que cherchait votre vue. Mais n'accusez que lui, si malgré mes adieux De ma présence encor j'importune vos yeux. Peut-être en ce moment je serais dans Ostie, S'il ne m'eût de sa cour défendu la sortie.
Madeleine Marion
Il vous cherche vous seul. Il nous évite tous.
Antoine Vitez
Il ne m'a retenu que pour parler de vous.
Madeleine Marion
De moi, Prince !
Antoine Vitez
Oui, Madame.
Madeleine Marion
Et qu'a-t-il pu vous dire ?
Antoine Vitez
Mille autres mieux que moi pourront vous en instruire.
Madeleine Marion
Quoi, Seigneur...
(Silence)
Antoine Vitez
Suspendez votre ressentiment. D'autres, loin de se taire en ce même moment, Triompheraient peut-être, et pleins de confiance Cèderaient avec joie à votre impatience. Mais moi, toujours tremblant, moi, vous le savez bien, À qui votre repos est plus cher que le mien, Pour ne le point troubler, j'aime mieux vous déplaire, Et crains votre douleur plus que votre colère. Avant la fin du jour vous me justifîrez. Adieu, Madame.
Madeleine Marion
Ô ciel ! quel discours ! Demeurez.
Antoine Vitez
Cette pièce, c'est finalement le triangle. Une femme, deux hommes. Ce fameux triangle où il y a... on pourrait penser, le mari, la femme et l'amant. Mais c'est pas du tout le mari, la femme et l'amant. C'est une femme, et deux hommes, mais elle est entre ces deux hommes, mais les personnages en quelque sorte glissent l'un sur l'autre. N'arrivent jamais à se rejoindre, à se... à se rencontrer. Ils sont... Chacun d'eux est en porte à faux par rapport à l'autre. C'est-à-dire, toujours, les thèmes qui obsédaient Racine. Je connais votre cœur : vous devez vous attendre Que je le vais frapper par l'endroit le plus tendre. Titus m'a commandé...
Madeleine Marion
Quoi ?
Antoine Vitez
De vous déclarer Qu'à jamais l'un de l'autre il faut vous séparer.
Madeleine Marion
Nous séparer ? Qui ? Moi ? Titus de Bérénice !
Antoine Vitez
Il faut que devant vous je lui rende justice. Tout ce que dans un cœur sensible et généreux L'amour au désespoir peut rassembler d'affreux, Je l'ai vu dans le sien. Il pleure ; il vous adore. Mais enfin que lui sert de vous aimer encore ?
(Silence)
Antoine Vitez
Une reine est suspecte à l'empire romain. Il faut vous séparer, et vous partez demain. Comme toute pièce de Racine, cette pièce est une sorte de théorème et d'examen clinique extrêmement dur de la... du jeu amoureux. Du rapport entre le jeu amoureux et le pouvoir.
Madeleine Marion
Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez !
(Silence)
Pierre Romans
Oui, Madame, il est vrai, je pleure, je soupire, Je frémis. Mais enfin, quand j'acceptai l'Empire, Rome me fit jurer de maintenir ses droits : Il les faut maintenir. Déjà plus d'une fois Rome a de mes pareils exercé la constance. Ah ! si vous remontiez jusques à sa naissance, Vous les verriez toujours à ses ordres soumis. L'un, jaloux de sa foi, va chez les ennemis Chercher, avec la mort, la peine toute prête ; D'un fils victorieux l'autre proscrit la tête ; L'autre, avec des yeux secs et presque indifférents, Voit mourir ses deux fils par son ordre expirants.