Bérénice de Racine, mis en scène par Klaus Michael Grüber à la Comédie-Française

27 décembre 1984
04m 05s
Réf. 00264

Notice

Résumé :

Extrait du spectacle, tiré de la scène 4 de l'acte II, puis interview de Jean-Pierre Vincent, administrateur de la Comédie-Française, qui appuie le choix d'une mise en scène statique en rappelant la raréfaction des effets opérée par Racine en son temps et défend le metteur en scène allemand Klaus Michael Grüber face aux réflexes nationalistes de certains critiques.

Date de diffusion :
27 décembre 1984
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

La Bérénice de Racine, de même que le Tite et Bérénice de Corneille créé la même année, répond à une commande : la princesse Henriette d'Angleterre, épouse du frère du Roi, vient de vivre avec le souverain une liaison passionnée à laquelle leurs devoirs respectifs imposaient de mettre fin, et aurait demandé une tragédie sur ce sujet à Racine, qui lui avait déjà dédié son Andromaque. Racine prend alors toute la teneur de son intrigue dans une phrase de l'historien latin Tacite : « Quant à la reine Bérénice, à laquelle il avait, dit-on, promis le mariage, il la renvoya aussitôt de Rome, malgré lui, malgré elle ». Corneille aurait alors vu dans le dilemme amoureux de Titus un sujet propre à lui faire reconquérir ses lauriers de premier auteur tragique, et se serait lancé avec son Tite et Bérénice dans une entreprise de concurrence, suivant en cela une pratique courante des théâtres parisiens. C'est cependant la pièce de Racine qui l'emporte auprès du public, qui délaisse une fois de plus la production d'un Corneille vieillissant.

Premier metteur en scène allemand invité à la Comédie-Française, Klaus-Michael Grüber impose pour la saison 1984-1985 l'une des mises en scène les plus mémorables de la tragédie de Racine. Dans un décor minéral et nu, il oppose à un Titus sculptural et impérial (Richard Fontana) une Bérénice orientale à la lourde perruque (Ludmila Mickaël), superposant aux deux personnages les figures plus anciennes d'Antoine et de Cléopâtre. Très statiques, les comédiens ne s'approchent jamais les uns des autres, comme pour figurer leur incapacité à se rejoindre, et donnent à entendre une diction chuchotée qui produit une impression d'épuisement.

Voir Bérénice mis en scène par Antoine Vitez (1980) et par Lambert Wilson (2008)

Céline Candiard

Transcription

(Silence)
Journaliste
Le mieux est de voir un extrait de cette Bérénice , l'une des grandes scènes de la tragédie de Racine, lorsque Bérénice, reine de Palestine, va renoncer à son amour pour Titus, l'empereur de Rome. Parce que Titus doit céder à la raison d'Etat. Ludmila Mikaël est Bérénice. Richard Fontana Titus. Les voici filmés par Christian Héraud.
Richard Fontana
Plût au ciel que mon père, hélas ! vécût encore ! Que je vivais heureux !
(Silence)
Ludmila Mikaël
Seigneur, tous ces regrets De votre piété sont de justes effets ; Mais vos pleurs ont assez honoré sa mémoire : Vous devez d'autres soins à Rome, à votre gloire. De mon propre intérêt je n'ose vous parler. Bérénice autrefois pouvait vous consoler ; Avec plus de plaisir vous m'avez écoutée. De combien de malheurs pour vous persécutée, Vous ai-je pour un mot sacrifié mes pleurs ! Vous regrettez un père. Hélas, faibles douleurs ! Et moi (ce souvenir me fait frémir encore), On voulait m'arracher de tout ce que j'adore ; Moi, dont vous connaissez le trouble et le tourment Quand vous ne me quittez que pour quelque moment ; Moi, qui mourrais le jour qu'on voudrait m'interdire De vous...
Richard Fontana
Madame. hélas ! que me venez-vous dire ? Quel temps choisissez-vous ? Ah ! de grâce, arrêtez.
(Silence)
Richard Fontana
C'est trop pour un ingrat prodiguer vos bontés.
(Silence)
Ludmila Mikaël
Pour un ingrat, Seigneur ! Et le pouvez-vous être ? Ainsi donc mes bontés vous fatiguent peut-être ?
Journaliste
Voilà donc un extrait de cette Bérénice . On le voit, c'est une mise en scène résolument statique, on peut le dire, sans grands effets, sans déclamation. C'est voulu, ça.
Jean-Pierre Vincent
Oui, c'était un peu voulu par Racine, il me semble. Ca n'est pas une pièce pleine de bruit et de fureur. C'est une pièce pleine de soupirs et de chuchotements, et de choses à peine dites. Quand on lit le théâtre de Racine et qu'on tombe sur Bérénice , on voit bien qu'il y a une raréfaction des effets. C'est quelque chose, comme une cantilène, sur un désespoir profond. Un désespoir sans solution. C'est peut-être la seule vraie tragédie du répertoire français. C'est-à-dire que c'est une pièce où il n'y a pas de solution - et pas de mort. C'est-à-dire que la tragédie est en nous, elle n'est pas seulement en Titus et Bérénice, elle est en nous.
Journaliste
Mais ce que les critiques reprochent finalement le plus à cette mise en scène, c'est peut-être qu'elle a été réalisée par un Allemand, Klaus-Mickaël Grüber, qui est un des grands contemporains.
Jean-Pierre Vincent
Et qu'on affuble en plus parfois du titre d'"universitaire", ce qui est une insulte supplémentaire à celle de "boche".
Journaliste
Mais les critiques regrettent peut-être qu'il ait monté l'un des textes les plus classiques de la littérature française.
Jean-Pierre Vincent
Vous savez, Klaus Michael Grüber est un immense artiste, et depuis quelques années, après avoir fait un certain nombre de spectacles, qu'on a dits extravagants, comme un spectacle sur le poète Hölderlin dans le stade olympique de Berlin en plein hiver par moins quinze, ou des choses comme ça, est revenu sur le plateau du théâtre à l'italienne pour monter des textes essentiels des mythes nationaux. Il a monté Faust en allemand. Il a monté aussi en allemand Hamlet. Et quand nous lui avons proposé de venir à la Comédie-Française, il y avait tout à parier pour qu'il veuille s'affronter au coeur du coeur de notre culture, pour essayer de nous dire, modestement, de nous renvoyer une image, de nous dire un peu qui nous étions. Et je dois dire que les comédiens, qui en ont vu d'autres, et des meilleures, ont été surpris et ravis de rencontrer un homme qui, à leurs dires, qui, ils n'ont jamais rencontré un homme qui écoutait la langue française avec autant de sensibilité, et qui leur renvoyait cette langue.