Victor ou les enfants au pouvoir de Roger Vitrac, mise en scène de Jean Anouilh et Roland Piétri
Notice
En 1962, Jean Anouilh et Roland Piétri mettent en scène Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac, au Théâtre de l'Ambigu. Interview de Georges Neveux à propos de Roger Vitrac et extraits du spectacle.
- Roger Vitrac - Auteur
- Georges Neveux - Auteur
- Jean Anouilh - Mise en scène
- Roland Piétri - Mise en scène
- Claude Rich - Acteur(trice)
- Uta Taeger - Acteur(trice)
- Alain Mottet - Acteur(trice)
- Hubert Deschamps - Acteur(trice)
- Marie-Claire Chantraine - Acteur(trice)
- Monique Mélinand - Acteur(trice)
- Bernard Noël - Acteur(trice)
- Nelly Benedetti - Acteur(trice)
Éclairage
Si l'on excepte Pierre Albert-Birot et Tristan Tzara qui lui ont ouvert le chemin, Roger Vitrac est le seul auteur surréaliste à avoir créé une véritable œuvre dramatique, riche de plusieurs pièces. Né en 1899, il arrive à Paris en 1910. Grand admirateur d'Alfred Jarry et de Raymond Roussel, il écrit d'abord, entre 1922 et 1924, trois pièces qui révèlent également l'influence profonde qu'exerce sur lui le surréalisme : Le Peintre, Entrée libre, Les Mystères de l'amour. En 1926, c'est avec Antonin Artaud et Robert Aron qu'il fonde le Théâtre Alfred Jarry, où il fait d'abord représenter Les Mystères de l'amour, en 1927. Artaud en signe la mise en scène. Elle est louée par les critiques, qui cependant apprécient peu la pièce. En revanche, la représentation de Victor ou les enfants au pouvoir, en décembre 1928 à la Comédie des Champs-Élysées, est très attendue, le texte ayant suscité une vive curiosité à l'endroit du personnage sonore et malodorant d'Ida Mortemart.
Victor ou les enfants au pouvoir met en scène Victor Paumelle, le fils unique d'un couple de bourgeois. « Terriblement intelligent », il fait 1 mètre 80 et s'apprête à fêter son neuvième anniversaire. À cette occasion, il est décidé « à être quelque chose », à « devenir un homme, ce qui ne signifie rien ». Aussi entreprend-il de démasquer les adultes, dont il dévoile une à une les infamies, les veuleries, les infidélités. L'extrait est tiré de la scène 3 de l'acte I, où Esther Magneau, la petite fille des amis du couple Paumelle, révèle à Victor la liaison de sa maman, Thérèse Magneau, avec le père de Victor, Charles Paumelle. Dès lors, Victor pousse chaque adulte dans ses retranchements, attaquant violemment la sainte trilogie des valeurs bourgeoises, famille, patrie, armée. Mais deux révélations vont faire basculer la situation, conduisant Victor au désespoir et au suicide : il découvre qu'Esther est sa demi-sœur, et par la bouche de l'étrange Ida Mortemart, au nom prédestiné, il apprend le mystère de l'amour. Sa mort entraînera celle de son entourage. La dernière image du spectacle montre les deux parents de Victor abattus d'un coup de revolver au pied du lit de leur fils mort.
Interprétée par une troupe de très jeunes comédiens, auxquels les critiques rendent hommage ainsi qu'à la mise en scène d'Artaud, la pièce fait néanmoins scandale. Ni la critique ni les spectateurs ne perçoivent la profonde singularité d'une œuvre qui, pour la première fois dans l'histoire du théâtre, met un enfant au centre de l'intrigue, et expose le motif rebattu de l'adultère à travers ses yeux et sa sensibilité. Et le public prend pour enfantillage ces personnages de la transgression et du mystère que sont le fou et la pétomane, détenteurs d'un savoir qui précipitera Victor dans la mort. Si la pièce est à cet égard représentative du théâtre de Vitrac, qui ne cessera d'opposer le temps de l'enfance « voisine de la mort », à la « honte du monde adulte », elle l'est aussi de son destin de dramaturge méconnu. En introduisant dans son théâtre la logique du rêve, en mêlant la satire et l'humour, le grotesque et le tragique, en refusant les esthétiques convenues, il livre à son époque une œuvre d'autant plus déroutante qu'aucune théorie ne vient en faciliter la saisie. D'autre part, Vitrac reste isolé dans son entreprise, évoluant en marge des cercles surréalistes assez peu attentifs au domaine théâtral.
C'est à Jean Anouilh que l'on doit la redécouverte, posthume, du théâtre de Vitrac. Selon lui, Vitrac avait trouvé « avec Victor ou les enfants au pouvoir les vrais rapports de la vérité et de la farce, la formule de ce comique noir, [...] où je vois pour ma part, le théâtre de demain. » [1] Constatant l'injuste oubli dans lequel était tenue cette œuvre malgré la mise en scène de Planchon en 59, Anouilh décide de la monter à son tour avec Roland Piétri, en 1962, au Théâtre de l'Ambigu. Claude Rich et Uta Taeger y sont admirables dans l'expression de la nostalgie et de la mort de l'enfance.
[1] Henri Béhar, Vitrac, théâtre ouvert sur le rêve, Lausanne, L'Âge d'homme, 1993, p. 19.