La Noce chez les petits bourgeois, mise en scène de Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil
Notice
En 1974, Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil présentent La Noce chez les petits bourgeois, de Bertolt Brecht, au Théâtre de l'Espérance. Extrait du spectacle.
Éclairage
La Noce chez les petits bourgeois est une œuvre de jeunesse de Brecht. Pièce en un acte, elle fut écrite dès 1919, mais ne parut pas avant 1961. Comme l'expliquent Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil qui décident de créer cette pièce en France en 1968, au Théâtre de Bourgogne, « Brecht, dans ses toutes premières pièces, est allé chercher son inspiration du côté de la comédie bavaroise, telle qu'elle était pratiquée par Karl Valentin. » [1] Sur un motif unique, celui du repas de noce, Brecht développe une séquence aussi sanglante que désopilante qui tient à la fois de la critique sociale et du jeu de massacre. Autour d'un couple qui a attendu cinq mois pour se marier, parce que le marié tenait à construire lui-même tous les meubles du foyer, allant jusqu'à confectionner la colle, le repas de noce réunit quelques parents et amis qui vont se livrer à un règlement de compte méthodique, et à toutes les infractions vis-à-vis des codes de la morale, de la décence, de la civilité, de l'amour et de l'amitié. Un à un, tous les éléments du mobilier vont se disloquer, tandis que la façade sociale se lézardera. L'extrait présenté dans le document montre la fin de la pièce : les « convives » sont partis, laissant un champ de ruines. Le marié tire la mariée vers le lit nuptial, qui s'effondrera à son tour.
La Noce chez les petits bourgeois fait ainsi découvrir le Brecht d'avant les grandes œuvres du théâtre épique, et un dramaturge qui a déjà saisi quel potentiel comique et dramatique recèle le tout récent art cinématographique. Son œuvre fait en effet irrésistiblement penser au film de Buster Keaton, La maison démontable (1920), où l'on voit un couple de jeunes époux s'installer dans une maison livrée en pièces détachées que le marié entreprend d'assembler, mais qui finit par s'écrouler après le repas de noces. On songe d'ailleurs à tout ce courant de films muets américains, aux gags de Chaplin comme à ceux de Laurel et Hardy. Cet aspect visuel et grotesque, essentiel dans la pièce de Brecht, ressort nettement de la mise en scène de Vincent et Jourdheuil, par l'emploi du cadre de scène resserré, des couleurs présentes à la fois dans la scénographie et dans les maquillages, et des nez postiches qui stylisent le jeu tout en l'imprégnant d'une esthétique expressionniste. Ce parti pris de mise en scène contribue ainsi à éloigner l'interprétation des personnages d'une approche trop réaliste ou trop psychologique, et maintient le spectacle dans l'esprit du cabaret.
La Noce chez les petits bourgeois fut représentée pour la première fois en décembre 1926 à Francfort, dans une mise en scène de Melchior Vischer. Après avoir monté la pièce au Théâtre de Bourgogne en 1968, Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil la reprirent à Paris, d'abord au Cyrano-Théâtre, en 1973, avec Jany Gastaldi et René-Marie Feret dans les rôles principaux, puis au Théâtre de la Ville, en 1974, avec Jean-Pierre Malo et Michèle Foucher. C'est un extrait de cette dernière reprise, filmée en direct lors d'une tournée au TNS de Strasbourg, que l'on peut voir ici
[1] Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil, « Le Théâtre de l'Espérance », Travail théâtral n°16, Lausanne, La Cité Éditeur, 1974.