Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht, mise en scène de Georges Wilson
Notice
En 1964, Georges Wilson met en scène Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht, au TNP. Extrait du spectacle.
Éclairage
La pièce de Brecht, Maître Puntila et son valet Matti, a fait l'objet de quatre versions différentes. La première date de 1940, mais la version connue aujourd'hui, la seule publiée, n'apparaît que dix ans après. Brecht a lui-même précisé l'origine de cette œuvre, inspirée des récits et du texte d'un écrivain finlandais, Hella Wuolijoki, que Brecht rencontra en Finlande pendant son exil. C'est en effet une anecdote rapportée par Wuolijoki qui forme le point de départ de la fable : dans les années vingt, un de ses oncles au cours d'une nuit d'ivresse s'était procuré de l'alcool légal chez un vétérinaire après une équipée en voiture. Brecht se montra enthousiasmé par le thème du paysan ivre, et reprit dans sa pièce la description de la course à l'alcool, tout en modifiant le personnage de Puntila pour approfondir l'idée de la division de son être. Il écrit donc sa pièce sur le modèle du Volksstück, un genre très ancien de pièce populaire qui usait déjà de l'adresse critique à travers prologues, épilogues, chansons et mise en abyme, pour faire réfléchir l'homme à sa condition. Il semble que Brecht ait été aussi beaucoup influencé par le roman de Diderot, Jacques le Fataliste et son maître, auquel il fait allusion à la fin de son travail sur Puntila. Les deux œuvres proposent une variation sur le motif très ancien du couple maître-valet, et s'attachent aux procédés de distanciation.
Créée au Schauspielhaus de Zurich en juin 1948, Maître Puntila et son valet Matti est montée par Georges Wilson en 1964, au Théâtre National Populaire qu'il dirige depuis 1963. Georges Wilson interprète Puntila, Charles Denner le valet Matti, Judith Magre joue Eva. L'extrait montré dans le document est tiré de la première scène de la pièce, intitulée « Puntila trouve un homme ». Il s'agit de la rencontre, paradoxale, entre Puntila et son chauffeur, puisque celui-ci vient le voir pour lui réclamer ses gages et quitter ce maître irrespectueux du travail et de la personne des autres. Or ce n'est qu'au terme des douze tableaux de la pièce qu'il parviendra en effet à reprendre sa liberté. Car Matti découvre en Puntila une personnalité à double facette. Homme généreux lorsqu'il est ivre, capable d'ouvrir son cœur et sa bourse, il redevient quand il est sobre le gros propriétaire terrien campé sur ses intérêts, prêt à balayer d'un revers de main cette humanité inférieure qu'il considère du haut de sa montagne dans l'avant-dernier tableau, faisant l'éloge douteux d'une nature « pure » et fortement nationalisée. L'ambiguïté du personnage tient d'autre part à sa nature de monstre, singulier, isolé, atteignant à une « grandeur presque mythologique » selon les termes de Brecht qui le compare à Bouddha et aux rois homériques. Le dramaturge indique enfin que Puntila est toujours « en représentation ». Il se présente de fait comme un formidable acteur, fascinant Matti, l'engageant sans cesse à rentrer dans son jeu. Aussi Matti est-il obligé de reconnaître que « quand il a bu, il a vraiment le feu sacré. [...] et quand il est saoul, je ne voudrais pas qu'il me méprise. »
Face à ce maître qui rompt avec la tradition, Matti plante un valet non moins original, sur son quant-à-soi, qui lutte pour préserver son intégrité. Placé devant Puntila (et sa fille Eva) comme devant la tentation de perdre son âme, séduit par le personnage et finalement compromis par lui, il parvient à s'en détacher, à briser l'illusion spectaculaire, et plie bagage à la fin de la pièce. Face aux extravagances du maître, s'il a semblé s'égarer un moment, il a si bien paru ployer sa conduite et son langage qu'il a pour finir su demeurer à distance de Puntila, tout en lui jouant la comédie de la participation : « Il est temps que tes valets te tournent le dos. / Un bon maître, ils en auront un / dès que chacun sera le sien. » Le bref extrait présenté suffit à démontrer l'ample rondeur du jeu de Wilson, parfaitement adapté au personnage, et le profil souple mais déterminé du valet Matti-Denner.