Mère Courage de Bertolt Brecht, mise en scène de Jean Vilar
Notice
En 1951, Jean Vilar met en scène la pièce de Bertolt Brecht, Mère Courage. Il reprend ensuite ce spectacle en 1959 et en 1960, au Festival d'Avignon. Extraits de la pièce dans la distribution de 1960.
Éclairage
C'est en 1949 que Bertolt Brecht et Hélène Weigel fondent le Berliner Ensemble à Berlin, après la création de Mère Courage, et en 1954 la troupe berlinoise fait sa première tournée à Paris, où elle présente ce même spectacle. La découverte du travail du Berliner Ensemble, de l'œuvre et de l'esthétique brechtiennes est une révélation sans égal pour le milieu artistique et intellectuel de l'époque. Elle va influencer de façon absolument décisive la conception et la pratique du théâtre en France, en rompant avec la tradition aristotélicienne, et en substituant à un théâtre de l'illusion un théâtre dit épique, reposant sur le principe de distanciation. Influencé par Erwin Piscator, Brecht considère que la mission du théâtre est d'analyser les conflits sociaux. Il va donc à son tour travailler à élaborer un théâtre politique et didactique qui, sans aucunement renoncer au plaisir de la représentation ni au jeu des émotions, traite résolument les grandes problématiques de son époque et fasse appel à l'esprit critique du spectateur. Pour y parvenir, il propose de réintroduire la narration et les commentaires dans le genre dramatique, et de réformer le jeu de l'acteur. À l'instar d'Artaud, Brecht est également très marqué par le théâtre oriental qu'il découvre à travers l'acteur chinois Mei Lanfang. Il reprend à son compte l'utilisation scénique des symboles et la présence sur scène du récitant. Mais là où, dans le théâtre oriental, les fonctions du récitant et de l'interprète sont distinctes, elles se trouvent réunies dans la dramaturgie brechtienne où l'acteur est appelé à se distancer de son personnage, pour en commenter la conduite. Enfin, l'action dramatique est fragmentée, selon le principe généralisé du montage.
Mère Courage et ses enfants est à cet égard une pièce exemplaire. Écrite en 1938, elle met en scène Anna Fierling, une cantinière qui tire sa carriole sur les routes pendant la guerre de Trente Ans, accompagnée de ses deux fils et de sa fille Catherine. La pièce se déroule en 12 tableaux qui correspondent aux douze années pendant lesquelles Courage arpente les champs de bataille, à l'affût du moindre profit, vendant tout ce qu'elle trouve pour amasser de l'argent et ainsi protéger et élever ses enfants. Elle fait donc commerce de la guerre au nom de l'amour maternel. Or la guerre va lui tuer ses trois enfants. La dialectique qui sous-tend la pièce est exprimée par une alternance, perceptible dans le document, entre des scènes où l'on voit Courage perdant un à un ses enfants, et d'autres où elle est montrée dans son activité de commerçante. Ce procédé souligne la contradiction de l'action de Courage, qui finira dépouillée de tout.
Jean Vilar met en scène Mère Courage dès 1951, au Théâtre de la Cité Jardins, à Suresnes. À Germaine Montero revient la création du personnage d'Anna Fierling. Chanteuse renommée, Germaine Montero est à même d'interpréter les nombreuses chansons dont Brecht étaye sa pièce, et qui constituent autant de contrepoints distancés vis-à-vis de l'action et du personnage, à la manière des chœurs antiques. Faute de documents, on ignore quelle était la mise en scène de Vilar en 1951. Mais lorsqu'il reprend la pièce au TNP en 1959 et en 1960, toujours avec Germaine Montero dans le rôle-titre, la scénographie et le jeu de l'actrice évoquent immanquablement la mise en scène de Brecht et le jeu d'Hélène Weigel, qui sont comme cités de bout en bout. Malgré son grand talent, Montero à qui manque la formation brechtienne ne peut égaler la subtilité de l'interprétation de Weigel, que Dort décrivait en ces termes : « Intensité et vitalité, concentration et extériorisation, tension et humour... [...] un tel jeu qui pousse à la limite toutes les possibilités en apparence contradictoires du théâtre et pourrait par là même sembler brisé, incohérent, s'enracine dans la réalité. [...] Hélène Weigel ne cesse de nous enseigner le théâtre, cet art singulier qui est non reproduction mais réflexion de la vie. »[1]
[1] Bernard Dort, L'Écrivain périodique, Paris, P.O.L, 2001, p. 271.