Volpone de Ben Jonson au Théâtre Sarah Bernhardt

10 novembre 1963
05m 43s
Réf. 00486

Notice

Résumé :

Paul-Louis Mignon présente la mise en scène de Volpone, pièce de Ben Jonson mise en scène par Jo Tréhard, spectacle du Théâtre de Caen présenté à Paris, au Théâtre Sarah Bernhard (qui deviendra quelques années plus tard le Théâtre de la Ville). Long extrait du spectacle.

Date de diffusion :
10 novembre 1963
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )

Éclairage

Ben Jonson (1572-1637) est considéré comme l'auteur dramatique le plus important du théâtre élisabéthain après William Shakespeare (« Shakespeare fut l'Homère ou le père de nos poètes dramatiques ; Jonson en fut le Virgile, le modèle du style travaillé » Dryden). Auteur de 25 pièces, il écrit également des masques (divertissements de cour). Son œuvre reflète sa culture et son esprit. Fasciné par Londres et ses contemporains, dans un désir de réforme du spectacle théâtral populaire, il ouvre la scène anglaise à la comédie de mœurs. En 1605, il écrit Volpone, son chef d'œuvre.

Avec l'aide de son valet Mosca, Volpone, riche vénitien sans héritier, se fait passer pour très malade. Trois respectables citoyens (Voltore, Corbaccio et Corvino) révèlent leur cupidité et leur espoir d'hériter. Corbaccio va jusqu'à déshériter son propre fils et Corvino, comme nous le voyons dans cet extrait, jette littéralement sa femme dans les bras de Volpone pour en récolter quelques récompenses. La ruse se retourne d'abord contre les trois intéressés : Volpone feint la mort après avoir signé un testament en faveur de... Mosca ! Mais Volpone à son tour se voit obligé de se montrer afin que son argent ne soit pas effectivement donné à Mosca. Tous seront punis.

Nous savourons dans cet extrait toute l'ironie de l'auteur qui met dans la bouche de Corvino tous les mots du mari outragé par les tromperies de sa femme... sauf que loin d'être outré par sa fourberie, il enrage de sa vertu et de son refus de se montrer « gentille » avec Volpone ! Il renverse ainsi la situation et transforme la traditionnelle scène du mari trompé pour en faire une dispute odieuse d'un homme cupide prêt à sacrifier sa femme et son honneur.

Comédien, metteur en scène et directeur de théâtre, Jo Tréhard (1922-1972) a eu un rôle fondamental dans la vie théâtrale de Caen. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale il s'installe à Caen et devient directeur d'une salle municipale, « Le Tonneau » (1949-1962), puis du Théâtre-Maison de la Culture et d'une troupe permanente (1963-1968) et, finalement, de la Comédie de Caen qui deviendra centre dramatique national (1969-1972). Il représente ainsi une des grandes figures de la décentralisation théâtrale.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Journaliste
Deux pièces ce soir, qui ont pour décor l’Italie. Volpone et Le système Fabrizzi. Volpone c’est le théâtre de Caen que dirige Jo Tréhard, qui le présente pour 15 jours au théâtre Sarah Bernhardt, dans un décor de Pace. Occasion pour le parisien d’apprécier le travail toujours plus intéressant qui est fait dans les théâtres de province. Le nouveau aussi c’est que Volpone n’est pas la pièce tirée par Jules Romains et Stefan Zweig du classique anglais Ben Johnson, mais l’original lui-même dans une adaptation de Joël Masson. Bien sûr nous y retrouvons, mais avec un éclairage très différent, cet étonnant caractère de Volpone, levantin joueur et jouisseur, autour de qui s’agite la société vénitienne du XVIe siècle et parmi elle Corvino l’armateur qui n’hésite pas à offrir sa femme, avec l’espoir d’hériter de Volpone qui passe pour très malin. Corvino, c’est Henri Poirier, Célia sa femme, Françoise Godde, Volpone, Georges Riquier, et Mosca, Alain Mottet.
Alain Mottet
Si vous voulez approcher Monsieur. Monsieur le signor Corvino est ici. Il est venu vous voir.
Georges Riquier
Ah !
Alain Mottet
Et ayant pris connaissance de la consultation qui s’est faite dernièrement sur votre santé, il vient vous offrir en gage de sa fervente et loyale affection, sa propre femme. La plus belle et la plus chaste des femmes, la beauté la plus précieuse de Venise, pour qu’elle vous réconforte et vous guérisse.
Georges Riquier
Merci mon bon Mosca. Hélas, je suis fini, non, c’est vouloir enflammer une pierre, c’est vouloir qu’une feuille morte reverdisse. Il est vain de s’opposer au ciel, han, Mosca. Ahan, dis-lui que je le remercie de sa bienveillance et dis-lui aussi ce que j’ai fait pour lui.
Alain Mottet
Vous avez entendu Monsieur ? Approchez-vous de lui avec votre femme.
Henri Poirier
Ne me résiste pas toi ! Signor Volpone.
Georges Riquier
Han.
Henri Poirier
Mais tu vois Célia, ce n’est rien. Approche, approche !
Françoise Godde
Monsieur, tuez-moi plutôt. Je boirai du poison, j’avalerai des charbons ardents, n’importe quoi !
Henri Poirier
Sois damnée ! Je vais te traîner d’ici à la maison par les cheveux. Crier dans la rue que tu es une putain, te fendre la bouche jusqu’aux oreilles, te déchirer le nez, comme quand j’ai cru… Ah ne me pousse pas à bout. Cède ! Ah, tu me répugnes. Je vais acheter un esclave que je tuerai auquel je te lierai toute vive et je vous pendrai tous les deux à mon balcon, inventant quelques crimes monstrueux que je tracerai au vitriol sur cette poitrine obstinée.
Françoise Godde
Monsieur, faites ce que vous voudrez, je suis votre martyre.
Henri Poirier
Célia, ne me tentez ainsi, je ne l’ai pas mérité. Célia, Célia, pense que c’est ton mari qui t’en supplie. De grâce ma chérie, tu auras des bijoux, des parures, tout ce que tu pourras imaginer, tout ce que tu demanderas, mais embrasse-le au moins, ou même touche-lui simplement la main. Pour moi, Célia je t’en supplie rien qu’une fois, je m’en souviendrai. Ah, tu veux ma ruine hein, tu veux me déshonorer !
Alain Mottet
Allons, gentille dame, réfléchissez !
Henri Poirier
Mais non, mais non, elle attendait son heure. Ah corbleu c’est ignoble, vraiment ignoble. Tu n’es qu’une locuste ! Ah oui, par le ciel, une fieffée locuste. Crocodile aux larmes toujours prêtes.
Alain Mottet
T-t-t-t-t, allons, Monsieur calmez-vous, elle va réfléchir.
Françoise Godde
S’il vous suffisait de ma vie.
Henri Poirier
Mais si elle consentait au moins à lui parler, pour sauver ma réputation. Mais non, mais non, par méchanceté vouloir ma ruine !
Alain Mottet
Et oui, toute votre fortune est maintenant entre ses mains. Mais ce n’est que par pudeur. Si vous n’étiez pas là elle y viendrait plus facilement. Quelle femme consentirait à cela devant son mari ? Non, t-t-t, je vous en prie partons, et laissons là ici.
Henri Poirier
Douce Célia, tu peux encore tout racheter. Je ne t’en dis pas davantage sinon tu es perdue. Non, non reste ici. Reste !
Françoise Godde
Oh Dieu, et vous ses saints anges, comment la bonté s’est-elle enfuie de tous les coeurs, comment les hommes osent-ils vendre si facilement leur honneur et le vôtre ? Faut-il que la vertu s’avilisse de la sorte, que toute pudeur soit bannie, et cela pour de l’or.
Georges Riquier
Oui Célia, c’est vrai de ces âmes vulgaires, de tous ces Corvino qui vendraient leur part de paradis argent comptant s’il trouvaient preneur. Pourquoi cette stupeur Célia de me voir ressuscité ? Ce miracle est l’effet de ta beauté divine.