La Moscheta de Ruzzante par Marcel Maréchal
Notice
Un long extrait présente une scène de La Moscheta d'après la pièce de l'auteur italien Angelo Beolco dit Ruzzante (vers 1502-1542), mise en scène et jouée en 1969 par Marcel Maréchal, avec la Compagnie du Cothurne qu'il codirige avec Jean Sourbier.
Éclairage
La Moscheta est le parler musqué des gens de la ville, par rapport au parler paysan. Angelo Beolco (vers 1502-1542) est connu pour ses comédies, écrites en dialecte de sa ville natale de Padoue, dans lesquelles il met en scène le monde paysan. Lui-même excellent acteur, il crée au fil de ses pièce un personnage qui deviendra son pseudonyme : Ruzante (ou Ruzzante). « Avec Ruzante, le paysan, objet depuis des siècles d'une satire cruelle, cesse d'être une caricature pour devenir un véritable personnage de théâtre, qui domine la scène. [...] Les paysans de Ruzante [sont] livrés à leur misère, et pour [eux] la ville est un monde étranger et hostile. » [1] Ruzante aura beaucoup de succès pendant la seconde moitié du XVIe siècle, en tant qu'auteur et entant qu'acteur. Il sera considéré par Dario Fo dans son discours de réception du prix Nobel comme le véritable père de la commedia dell'arte. En effet il va fixer dans ses comédies des types fixes qui ne sont pas sans rappeler ceux de la commedia. Ainsi le personnage de Ruzante présente déjà certaines caractéristiques d'Arlequin.
Dans La Moscheta (écrite entre 1528 et 1531), au sortir d'une guerre provoquée par l'aristocratie vénitienne qui y entraîne les paysans puis qui, une fois le conflit résolu, laisse ces derniers à leur propre sort, Ruzante voulant éprouver la fidélité de sa femme, se trouve confronté, par ses ruses, au parler musqué des gens de la ville à laquelle il ne parvient pas à s'adapter.
Marcel Maréchal a monté la pièce à trois reprises : en 1962 au Théâtre des marronniers (Lyon), en 1968 à Sail-sous-Couzan et en 1969 au Théâtre du huitième (Lyon). Comme le précise le critique et essayiste Bernard Dort dans son texte consacré au spectacle de 1969, c'est donc une longue maturation, un long travail qui a donné naissance à cette dernière mouture, véritable aboutissement d'une réflexion sur la pièce, mais aussi sur le théâtre. La première mise en scène fut fidèle au texte et à la tradition scénique italienne dont la mise en scène de Gianfranco De Bosio (en 1950) était le dernier digne représentant. La conception de Maréchal va considérablement évoluer au fil du temps, notamment avec le choc de 1968. Dans la version présente, qui est une adaptation de la pièce, Ruzante n'est plus un paysan padouan du XVIe siècle mais un sous-prolétaire « Portugais » des banlieues. « C'est dans un amas de décombre, carcasses de voitures, déchets d'une décharge publique, écume de la société de consommation, que se joue le spectacle. La scène est encombrée, l'espace est occupé – par la scénographie et par les acteurs – tant horizontalement que verticalement. C'est « un spectacle direct et presque primitif » [2], tel que l'a voulu Maréchal (IMMEDIATEMENT sensible, PHYSIQUEMENT sensible, à un public qui n'aurait AUCUNE culture historique ou littéraire ») [3].
« C'est donc le jeu qui est au centre de la représentation. La Moscheta raconte l'échec d'un déguisement » [4], celui d'un paysan qui a voulu se faire passer un homme de la ville, au parler musqué. Ainsi, « Les héros de Ruzante instaurent, dans l'arène de leur vie quotidienne, la royauté du jeu qui est l'essence du théâtre », précise Marcel Maréchal [5].
[1] Mario Baratto, in Ruzante, La Moscheta, Collections : Théâtre ouvert collection dir. par Lucien Attoun, Paris, Stock, 1970.
[2] Bernard Dort, in « La Moscheta : splendeurs et misères du théâtre », in Théâtre en jeu : essais de critique 1970-1978, Paris, Seuil, 1979.
[3] Marcel Maréchal in Ruzante, La Moscheta, Collections : Théâtre ouvert collection dir. par Lucien Attoun Paris, Stock, 1970.
[4] Bernard Dort, op. cit.
[5] Marcel Maréchal, op. cit.